Ce qui s’est passé, c’est l’accoutumance graduelle des gens, petit à petit…
Milton Mayer
Merci d’être encore là, avec mon fil doré dans les mains. Merci de me faire confiance jusqu’ici sans savoir où je t’emmène, ni ce qu’il y a au bout du chemin. Ta patience t’honore, ta curiosité est précieuse. Et à présent, je vais avoir besoin de toute ton ouverture d’esprit, car je dois te confesser la deuxième tentation qui a traversé mon esprit durant ma réflexion de fond.
Je t’avais promis toute la vérité. Et pour tenir ma promesse, je ne dois pas te cacher ce coin sombre de ma pensée.
Si j’ai rêvé d’exil l’espace d’un instant, une part de moi, sans doute la plus cupide et la plus lâche, a effectué un pas en arrière durant l’écriture de ce bouquin. Une sorte de rétractation de la raison, un repli de mon innocence, alors que je suivais minutieusement mon fil d’or pour me rendre au cœur de la pelote.
Imagine que, dans cet instant de trouble, mon double maléfique me rende visite pour me susurrer de vilaines choses à l’oreille.
Des trucs du genre « Bon, tu as compris que tu ne pouvais pas fuir, ni à l’autre bout de la planète, ni aux confins de l’Ariège. Tu vois bien que la cathédrale du Nouvel Ordre Mondial est presque terminée… Pourquoi tu t’acharnes à aller contre le courant ? Tu te prends pour qui à vouloir changer le monde ? »
J’ai dégluti, j’ai secoué la tête, histoire de chasser mes idées les moins lumineuses, mais mon double avait déjà semé la graine dans mon esprit. Et s’il disait vrai ?
Après tout, le système en place est si vaste, si bien rôdé, il n’y a que des coups à prendre en voulant lutter. Peut-être que, précisément, cette matrice est la réponse la plus logique, la plus adaptée à la société telle qu’elle se présente à l’heure où je te parle ? Peut-être que je n’ai rien compris, que la « beauté » de la matrice m’échappe et que je suis né rebelle ascendant complotiste ?
Pourquoi les érudits, les influents et les créatifs les plus puissants de la Terre seraient forcément « du mauvais côté » et moi du bon ? C’est vrai, après tout… mon idée romantique d’un monde qui se réveille à temps pour briser ses chaînes est peut-être totalement à côté de la plaque.
C’est là que mon double m’a décoché une flèche empoisonnée : « Tu es intelligent Matthieu… Assez malin pour comprendre qu’en réalité, le système déroule un tapis rouge à qui sait flairer les rails qu’il installe… Maintenant que tu y vois très clair, tu pourrais être opportuniste… »
Puisqu’on se dit tout : oui, j’y ai pensé. Sans doute parce que je suis fatigué de trimer et de ne jamais « finir le mois » depuis que je me suis « réveillé ». Peut-être parce que j’y ai vu, durant quelques secondes, la possibilité de financer ma petite ferme dans le trou du cul du monde.
Et j’y ai probablement réfléchi parce que j’ai cette fâcheuse tendance à aller tout au bout de toutes mes idées. Je crois que c’est le meilleur moyen d’observer si mon raisonnement tient la route ou s’il se dissous à la lumière de la vérité.
Allez, tirons un peu sur ce fil et voyons où ça va nous mener…
En fait, avec la matrice, il y a une voie courte, cynique, « dans le sens du poil ». Cette voie facile consiste à livrer exactement ce que le système réclame déjà. Et il le réclame fort, avec des budgets publics qui pleuvent chaque jour sur TED, le portail officiel des marchés de l’UE. Tu as des milliers d’avis publiés quotidiennement, des centaines de milliards d’euros de commandes chaque année.
A cet instant, mon double maléfique ne m’a pas lâché. Il a murmuré « Tu veux t’enrichir vite ? Va là où l’argent coule quand l’État modernise, centralise et numérise. »
Il suffit de reprendre les dossiers des affaires du monde pour constater que les occasions ne manquent pas, c’est précisément là que la matrice t’ouvre les bras : quand tu collabores à bâtir la cathédrale. Il suffit d’être un peu visionnaire, un peu espiègle et sans trop de scrupules.
Côté énergie, on a déjà les compteurs intelligents, le délestage à distance, les normes ISO pour les voitures électriques et les bâtiments. Un opportuniste lancerait des applis de « pilotage de conso », des services de flexibilité, du conseil pour décrocher les subventions de rénovation. Bref, la version dark de moi-même transformerait le rationnement en business.
En ce qui concerne l’identité et la monnaie, il suffit de lorgner du côté de l’EUDI Wallet obligatoire d’ici 2026. Sans oublier l’euro numérique en phase finale, avec des API privées pour paiements conditionnels. Autrement dit, c’est le jackpot pour celui qui développe des fintechs conformes, des solutions de vérif d’âge, de traçage des diplômes, de scoring carbone.
A propos du dossier « ville et habitat », les appels d’offres pleuvent déjà pour les capteurs, les plateformes de data urbaine, ou encore les logiciels de « smart city ». En jouant sur les passeports de rénovation, les permis de louer numérique et les jumeaux urbains… Il y a de quoi s’en mettre plein les poches pour un arriviste.
N’oublie pas l’essor des jumaux numériques : tout ce que tu pourras clôner numériquement aura de la valeur. Avec une croissance annuelle moyenne (CAGR) de 33 à 45 % selon les régions ainsi qu’une valeur estimée entre 65 et 240 milliards de dollars d’ici 2030, c’est un marché qui peut faire de toi le nouveau Elon Musk.
En ce qui concerne la santé, l’Espace européen des données de santé (EHDS) entre en vigueur 2029, avec une réutilisation encadrée de tes données. Pour un opportuniste, c’est une mine d’or. Une start-up d’IA médicale, d’échanges de dossiers et de « mise en conformité AI Act » ferait carton plein.
Tout ce qui touche à l’information est une machine à cash. Avec le Digital Services Act couplé à l’AI Act on a, aujourd’hui, l’obligation de détecter les deepfakes et les contenus « à risque ». C’est du pain béni pour tous les marchands d’IA de censure, de modération automatisée, de « vérité certifiée ».
En termes de sécurité et de défense, il y aussi de quoi se frotter les mains. Entre le paquet « Readiness 2030 » et les achats d’armes centralisés à Bruxelles, on a des opportunité pour la cybersécurité, la surveillance algorithmique, tout ce qui est drones ou logiciels de gestion de crise.
Je pourrais continuer encore longtemps, mais tu as déjà compris que si tu veux « jouer le jeu » du système, les appels d’offres sont là, publiés chaque semaine sur Tenders Electronic Daily, il n’y a que l’embarras du choix. Tout ce qui touche au numérique, climat, santé, défense, data est financé massivement.
Et c’est cynique : plus la crise est grande, plus les fonds coulent à flot. Une inondation ? Jackpot pour les applis carbone. Une cyberattaque ? On ouvre les vannes pour les wallets sécurisés. Une pandémie ? Les plateformes de santé et passeports vaccinaux (re)fleurissent.
Bref, un opportuniste malin pourrait se faire une fortune en se mettant au service de la cage. Mais, il y a un mais… C’est précisément comme ça qu’on glisse tous ensemble vers un horizon plus sombre.
Tu vois comment les choses basculent ? Ce n’est pas avec un putsch en noir et blanc, mais par une addition de petites lâchetés très bien rémunérées. On ne signe pas « pour la dictature », on facture un module de vérif d’âge, un algorithme de tri, un tableau de bord de « crise ». C’est juste du business. C’est juste un contrat. C’est juste un virement. Au bout du compte, on vend juste son âme au diable. On place l’abondance matérielle au-dessus de toute chose.
À la fin, ce n’est pas un tyran qui gagne, c’est juste la somme de nos compromis. Hannah Arendt avait un nom pour ça : la banalité du mal. C’est-à-dire le mal fait par des gens ordinaires, occupés à « bien faire leur boulot ».
Regarde l’histoire quand elle se met à glisser sur la mauvaise pente. En Allemagne, nos chers voisins n’ont pas validé le troisième Reich d’un coup. Ils ont perdu pied petit à petit, sans moment décisif où se lever ensemble. C’est le constat clinique de Milton Mayer. Il décrit un engrenage par étapes, trop lent pour déclencher la clameur, trop rapide pour qu’on s’y oppose seul.
Paxton l’a montré aussi : les régimes autoritaires enfilent leurs perles grâce aux élites « respectables » qui ouvrent la porte, au nom de l’ordre, de la modernisation, de l’intérêt supérieur.
Et Havel, depuis Prague, nous souffle le mécanisme intime de ce glissement. Tant que l’épicier continue d’afficher le slogan dans sa vitrine, le mensonge tient, la machine tourne sur la docilité de millions de gestes.
Aujourd’hui, la tentation prend une forme élégante, celle du capitalisme de surveillance, où l’optimisation et la donnée se vendent comme des « progrès » pendant que la vie intérieure devient la matière première. Le confort paie, la liberté coûte. Si on vend nos outils au plus offrant, on finit par louer nos chaînes.
Shoshana Zuboff, professeure émérite de la Business School de Harvard, définit le capitalisme de surveillance comme « l’appropriation unilatérale de l’expérience humaine privée comme matière première gratuite, traduite en données comportementales. » Il n’y a pas de définition plus exacte de l’époque dans laquelle on se trouve.
Umberto Eco disait « Le fascisme originel peut revenir sous les déguisements les plus innocents ». Le glissement administratif-numérique auquel on assiste via le contrôle par les normes, le déluge d’identifiants, le scoring à tout va et les marchés publics se rapproche dangereusement d’un autoritarisme légaliste post-démocratique. Moi, j’appelle ça « la démocrature de la procédure ». Un bien joli nom pour dire qu’on assiste à l’instrumentalisation du droit et des processus (élections, règlements, normes) afin de légitimer un contrôle durable du pouvoir, sans recourir à la violence ouverte. C’est la signature typique des régimes autoritaires contemporains.
Alors oui, mon double maléfique avait un plan pour s’enrichir. Mais il avait tort sur l’essentiel. On ne « gagne » rien à bâtir la cage, on y enferme seulement nos enfants.
Et l’histoire a déjà tranché… les régimes autoritaires ne montent jamais en puissance sans intendants zélés. C’est la coopération ordinaire des prestataires, cadres et techniciens qui baisse le coût de la contrainte. Car chaque « exécutant » augmente la surface de contrôle.
Donc, si tu retires cette coopération et que tu la remplaces par des usages utiles, le système doit alors payer plus cher pour tenir. Mon fil d’or, c’est l’inverse exact de cette obéissance lucrative. C’est refuser de prêter ta main à ce qui te mutile, c’est choisir de « vivre dans la vérité » même si ça coûte, et c’est fabriquer des outils qui desserrent la prise au lieu de la renforcer.
Ce fil d’or ne te demande pas d’ « être pur », il t’invite juste à transférer ton temps, ton attention et tes compétences hors de la cage.
L’objection « il faut bien continuer à vivre et payer ses factures » est légitime. Tu dois nourrir ta famille, et c’est vrai qu’on ne saute pas sans filet. Personne ne te demande quitter ton job à la lecture ce livre. Mais on peut remplacer pas à pas les briques qui verrouillent comme les modules d’identification intrusive, le scoring punitif, etc. Et on a le droit, peut-être même le devoir, de se fixer des lignes rouges qui déterminent ce que tu ne fabriques plus pour entretenir la cage.
L’argument « Si je ne le fais pas, quelqu’un d’autre le fera » ne tient pas : chaque retrait augmente le coût de contrôle du N.O. M. , ça retarde les déploiements de l’agenda 2030, expose les dérives du système. Les effets viennent par seuil, quand assez de gens se retirent d’un maillon, le dispositif cale.
La liberté, comme l’a écrit Rosa Luxemburg, « c’est toujours la liberté de celui qui pense autrement. » Aussi, le système gagne quand on croit qu’il n’y a aucune alternative. Pourtant, il existe des manières de tenir, de respirer, de reprendre sa place.
A ce stade, on ne peut pas faire exploser la cage, mais on peut la rendre inutile. Pas à pas, on peut construire à côté jusqu’à ce que ses portes n’ouvrent plus sur rien.
Comment on fait ?
On peut commencer par protéger ce qui doit l’être. Ce qui revient d’abord à essayer de tenir le socle des libertés concrètes. Ça passe par la Constitution, le droit au recours, et des droits fondamentaux comme payer en espèces, qui reste un symbole de notre liberté individuelle. Ça ne vend pas du rêve, mais sans ça, tu n’as que l’option « subir ».
En théorie, on peut changer les règles, pas seulement les subir, justement. Quand elles étouffent, on tente de reprendre la main sur leur création via des conventions citoyennes, des référendums, des lois qui protègent le cash, le numérique, l’énergie autonome. Plus facile à dire qu’à faire, surtout en ce moment. C’est loin d’être parfait, mais ça montre qu’un peuple peut écrire ses limites et cesser d’être une clientèle.
En pratique, on pourrait reprendre la main sur nos outils pour que nos conversations existent sans intermédiaire. Plutôt que de dépendre de géants, on pourrait choisir des messageries libres et fédérées (comme Matrix), ainsi que le chiffrement de bout en bout, ou encore des des serveurs partagés. J’admets que ça demande un effort, mais sans ça, tu offres l’accès à tout.
Parce que la liberté commence aussi dans le disque dur, on pourrait résister en choisissant mieux où on stocke nos données. Dans l’idéal, on ne veut pas de revente, pas de pub intrusive, et pour les données sensibles, on aimerait basculer chez des hébergeurs éthiques et responsables.
On réfléchit à décentraliser ce qui peut l’être en commençant par l’identité, les paiements et les données. Ce qui veut dire moins de points de contrôle unique, plus de systèmes partagés et ouverts. Concrètement, ça se traduit par une hygiène numérique, c’est un peu comme ouvrir deux fenêtres. C’est long, personne n’a envie d’y passer ses soirée, mais ça fait circuler l’air, et ça empêche d’étouffer.
Et puis il faudrait reprendre peu à peu le contrôle du quotidien. Le vrai. Que ce soit pour l’eau, les semences, le pain, le bois ou les soins. Ça ne change pas ta vie en une semaine, mais ça a le mérite d’amortir les chocs. On pourrait aussi se tourner du côté du low-tech utile avec des jardins partagés, des toits en serre, des plantes comestibles en ville. Ça ne nourrit pas une famille nombreuse, mais ça permet de reprendre un minimum de contrôle, et puis ça apprend à un enfant d’où vient une tomate.
Rien n’empêche de tisser des liens à l’aide de réseaux d’entraide, des banques de temps ou des monnaies locales. Un billet qui circule entre voisins reste utile ici et maintenant. L’idée, c’est de garder la valeur dans le périmètre du quotidien.
On pourrait décider ensemble, dès que c’est possible des budgets participatifs, des aménagement partagé. Ça nous permettrait d’habiter autrement, dans des hameaux sobres, des ateliers collectifs, des bâtiments en open-source.
Et si on fabriquait, on réparait et on mutualisait les outils ? On se mettrait à transmettre une école du geste, de la matière et du faire ensemble.
On pourrait tout à fait éveiller le discernement, tu ne crois pas ? Je ne te parle pas d’une croisade contre les écrans mais d’une éducation au média, au doute, à la méthode. On pourrait cultiver le bon sens et la remise en question. Comme savoir reconnaître une preuve, un sophisme, une émotion qui nous manipule. Le bon sens et l’esprit critique seraient la condition pour participer à la vie commune et écrire l’Histoire.
On pourrait commencer à veiller sur les lois. Avec des observatoires citoyens qui lisent le Journal Officiel, qui suivent les amendements, qui documentent les lobbys, pourquoi pas ? A bien y réfléchir, la lumière ne punit pas, elle dissuade.
On pourrait, avant toute chose, guérir aussi nos propres blessures. Sans pour autant devenir des saints, plutôt dans le but de cesser de transmettre nos peurs à nos gamins. D’après moi, ça passe par le fait de savoir respirer, remercier, marcher, parler sincèrement, dire la vérité et se pardonner. J’estime que la docilité prend racine dans nos plaies encore à vif. Alors on pourrait défaire le nœud à l’intérieur pour mieux briser les chaînes à l’extérieur. Tu as, par exemple, mes textes-médecine en libre accès qui peuvent t’aider.
On pourrait « enchanter » autant que possible, après tout, l’art n’est pas du luxe, mais une marche d’escalier pour prendre de la hauteur. Qu’est-ce que tu dirais d’un théâtre qui rend le public auteur, d’une fresque qu’on peindrait ensemble, d’un récit capable de changer la pente d’une vie ? Au fond, il est possible que la beauté soit le moteur secret du monde.
Dans la foulée, on pourrait désobéir avec douceur à chaque fois qu’il le faudrait. C’est-à-dire refuser ce qui grignote nos libertés. Je pense à certains identifiants intrusifs, certaines injonctions absurdes. Ce qui revient aussi à boycotter, faire grève avec imagination. N’oublie pas que l’épicier de Havel retire le slogan de sa vitrine : il retire alors son consentement, sans rien casser.
On pourrait profiter de notre élan pour élargir le droit de la Nature. Il est peut-être temps de reconnaître que la biosphère n’est pas un stock à consommer mais un vrai sujet, non ? Selon moi, les fleuves et les forêts devraient avoir voix au chapitre, on pourrait écrire ça noir sur blanc pour qu’aucun bilan ne puisse l’effacer. Mais je suis peut être trop perché.
Enfin, rien n’empêche d’inventer. On pourrait se pencher sur une science ouverte, des fablabs, des bio-ateliers, des prototypes bricolés qui marcheraient vraiment. On hackerait le futur au service du vivant, et pas l’inverse. Ça serait modeste, concret, et ça serait surtout reproductible.
Tu vois, à travers ces gestes, mine de rien, il y aurait un seul et même mouvement : il s’agirait de cesser d’alimenter la machine, de poser notre attention sur ce qui compte vraiment, et d’avoir l’énergie pour recommencer le lendemain. Encore et encore.
Parce qu’il est clair que la cage ne va pas craquer d’un coup. Elle va s’effriter jour après jour, dès qu’on va arrêter de serrer ses boulons nous-mêmes.
Mais maintenant qu’on a posé nos doigts « théoriques » sur ce qui vit et palpite, sur ce qui est vrai, sur ce qu’on peut partager… il nous faut ouvrir les bonnes portes, celles du réel. Avec des preuves concrètes. Je te parle de lieux, de pratiques, de décisions qui existent déjà, ici et ailleurs. En clair, on a besoin d’identifier des brèches qui n’attendent que nos mains pour s’élargir.
Si tu tires sur ce fil doré, tu vas découvrir un florilège d’exemples lumineux qui rappellent comment on a déjà desserré des étaux ici et là. Déroule ce fil d’or comme on déplie une carte. Tu prends ce qui te parle, tu laisses le reste. Et peut-être que demain, tu ajouteras ton propre point lumineux sur cette même carte.
En France, ça défriche au ras du sol. Il y a ces territoires qui refusent de laisser des vies sur le bas-côté. Des « Territoires zéro chômeur de longue durée » où on invente des emplois utiles cousus à la main, taillés pour le lieu et par le lieu.
Côté énergie, on voit des kilowattheures qui reviennent direct dans la poche des gens du coin. Oui, c’est possible et ça existe déjà. Un peu partout, des collectifs montent des parcs solaires, des éoliennes, du bois-énergie, tout ça porté, financé et géré par les habitants eux-mêmes.
Côté numérique, on sort gentiment du bocal. Le réseau des CHATONS, lancé par Framasoft, fédère des hébergeurs éthiques et décentralisés pour rendre nos échanges à nouveau maîtrisables, loin des GAFAM.
Sur l’habitat, tu sais qu’il existe des communes qui « osent » l’urbanisme réversible avec des « Hameaux Légers ». Ce sont des lieux sobres, participatifs et accessibles, qui ne figent pas ton existence dans le béton, ni dans un permis de construire.
Et côté monnaies locales, tu as tout d’abord l’Eusko, au Pays Basque. C’est la plus grande monnaie locale d’Europe avec environ 4,5 M d’eusko en circulation, 4 300 particuliers, 1 400 pros et 6,5 millions d’eusko de transactions en 2024. Pas mal, non ?
Les exemples de monnaies alternatives ne manquent pas… Tu as, entre autres, le Léman en Suisse, le Chiemgauer en Allemagne ou encore le Mumbuca au Brésil.
Le monde n’attend pas. À Taïwan, la délibération publique est devenue une pratique industrielle : le processus vTaiwan combine discussions en ligne et rencontres physiques, s’appuyant sur Pol.is pour cartographier les opinions et construire un consensus visible, jusqu’à inscrire les accords dans la loi.
D’une certaine manière, Barcelone a réinventé la « smart city ». Avec Decidim, elle met la démocratie participative au cœur. Et avec DECODE, elle donne aux habitants le contrôle de leurs données. Ici, chacun peu choisir ce qu’il partage, et pourquoi.
En Allemagne, la transition n’appartient pas qu’aux mastodontes. Il y a plus de mille coopératives d’énergie, deux cent vingt mille sociétaires, des TWh produits… la preuve par les chiffres qu’une énergie tenue par le peuple, ça peut marcher.
De l’autre côté de l’Atlantique, les Community Land Trusts retirent le foncier de la roulette spéculative. A Burlington, dans le Vermont, le Champlain Housing Trust garde les maisons abordables « pour toujours » grâce à la propriété foncière communautaire. Ici, on applique une règle toute simple : le terrain reste inaliénable, l’accès au logement, garanti.
La brèche existe aussi dans l’assiette. On a l’Open Food Network qui change la donne. C’est un logiciel libre et un réseau mondial qui équipe des hubs pour relier producteurs et mangeurs sans intermédiaires rapaces. Et la déclinaison française tourne déjà.
Même les plateformes, on peut les recoder et en voici la preuve : CoopCycle fédère des coopératives de livreurs à vélo avec une plateforme open source réservée… aux coops. Bref, c’est l’anti-Uber Eat par le code et le droit.
Tous ces exemples montrent comment on contourne la cage sans s’y casser les dents. Et quand on cherche des solutions, il arrive que l’Histoire nous répondent également. Si on jette un coup d’œil dans le rétroviseur, on s’aperçoit qu’il y a déjà eu des exemples inspirants par le passé.
La Charte des Forêts d’abord. En 1217, juste après la Magna Carta, l’Angleterre rappelle que les bois, l’herbe, l’eau ne sont pas un coffre privé pour les aristos. Cette vieille brèche juridique, mais toujours vive dit « ce qui est à tous ne s’achète pas, ça se protège ».
Puis on a Gandhi et sa fameuse Marche du Sel en 1930. Cette grande action de protestation en Inde illustre la désobéissance non-violente efficace contre une rente d’État.
Sous les régimes qui bâillonnent, il y a eu le samizdat. L’imprimerie souterraine qui circule de main à main, hors des tuyaux officiels.
Et, plus proche de nous, on a la révolution tranquille des logiciels libres. GNU, la GPL, le copyleft… On encadre juridiquement la liberté de copier, modifier, partager. C’est un antidote à la prison numérique, mais c’est surtout un cadre légal qui tient depuis des décennies.
Ok, ça c’est pour la colonne vertébrale. Maintenant, tirons sur le fil de la tactique à mettre en place. Autrement dit, ce qu’on peut faire dès demain matin pour contourner la cage.
D’abord, il est impératif de mutualiser la monnaie. Tu as des réseaux B2B qui l’ont prouvé : WIR en Suisse depuis 1934, Sardex en Sardaigne. On s’accorde du crédit entre nous, on fait tourner l’économie réelle quand la banque serre le robinet.
Dans les top priorité, on doit reprendre le fil du réseau. A côté de « l’Internet des géants », il nous faut l’internet des gens. En Catalogne, des voisins ont tiré leurs propres câbles et antennes : ça s’appelle un réseau communautaire (Guifi.net). À New York, d’autres montent des petits routeurs sur les toits, relient les immeubles en maillage, et basta (NYC Mesh).
Même logique pour la donnée… tu peux stocker tes infos dans un « pod » que tu contrôles (Solid, l’initiative de Tim Berners-Lee). Là, les applis viennent frapper à ta porte, pas l’inverse.
Côté algorithmes publics, deux villes ont joué franc jeu. Amsterdam et Helsinki publient ce que leurs IA font et pourquoi. Ici, exit la boîte noire. On sait quels outils tournent, où, et dans quel but. La transparence change déjà la musique, tu ne trouves pas ?
Dans un tout autre registre, quand ça brûle quelque part, on cartographie les zones de crises pour sauver des vies. Via OpenStreetMap, des citoyens tracent des routes, des villages et des dispensaires pour faciliter le travail des secours.
Tu veux fuir les méga-plateformes de réseaux sociaux ? Le « Fediverse » existe. Il s’agit de réseaux sociaux fédérés (Mastodon pour le texte, PeerTube pour la vidéo) qui fonctionnent de manière décentralisée, sans pub et open source. Parce que ton fil d’actu devrait être rempli de ce qui compte le plus pour toi, et pas de ce qu’une entreprise pense que tu devrais voir.
Pour l’info qui ne lèche pas les bottes, regarde l’exemple de The Bristol Cable. C’est une coop de lecteurs, ce qui veut dire qu’une personne = une voix. Ici, le contrat est clair : tu payes l’indépendance, tu lis sans laisse.
On peut arrêter de laisser la terre bradée aux mains des spéculateurs. Terre de Liens rachète des fermes, les extirpe du Monopoly et installe des paysans.
Si on se penche du côté des droits de la nature, en Espagne, le Mar Menor a obtenu une personnalité juridique. En Colombie, c’est le fleuve Atrato. Ça change la donne. Un fleuve peut désormais attaquer en justice ceux qui lui portent préjudice.
Dans un tout autre registre, Open Source Ecology publie des plans ouverts de machines agricoles, de briques de chantier, de presses, etc. Tu télécharges, tu fabriques, tu améliores. Et pour que la connaissance se répande même en zone blanche, Kiwix met Wikipédia hors-ligne sur une clé USB.
On nous a fait croire que la démocratie, était la nomination d’un pantin tous les cinq ans. Mais si on regarde en Islande, on voit que la ville de Reykjavik a une plateforme où les habitants proposent, votent et suivent les projets. On a des idées qui deviennent des lignes budgétaires et on en voit la trace.
Il en existe encore des tas et des tas. Et tu sais quoi ? Il existe aussi des oasis autonomes, des endroits où ça tourne déjà, au soleil, sous la pluie, avec des mains sales et des idées claires.
En Loire-Atlantique, une famille vit hors-réseau depuis des décennies. Eau, courant, toilettes sèches, récup’, bricolage malin… Loin du fantasme survivaliste, la Maison autonome est une routine qui marche, ouverte aux curieux. On sort de là en se disant : « ok, c’est faisable ».
Plus près de chez moi, en Ariège, l’éco-village de Pourgues teste une vie collective sobre et une gouvernance alternative. Là-bas, tout est à taille humaine, qu’il s’agisse des décisions prises ensemble, de l’entraide, des conflits gérés ou des champs cultivés. Tu viens, tu vis, tu apprends.
En Saône-et-Loire, Eotopia pousse le curseur encore plus loin. On a de la low-tech, de l’économie du don, des habitats frugaux. C’est radical et serein à la fois via une combinaison qui réclame peu d’argent, beaucoup de lien, et où tout ce qui compte redevient visible.
En Ardèche, le Viel Audon a relevé un hameau en ruine à force de chantiers participatifs. Grâce à des gamins, des étudiants et des voisins, on obtient une ferme, des fromages et une école du « faire ».
Côté énergie, les Centrales villageoises posent des panneaux sur les toits du coin et rendent l’électrique aux habitants. On voit enfin des kWh qui reviennent à la maison, et une fierté locale qui ne se compte pas qu’en euros.
A Villeurbanne, le Village Vertical montre qu’on peut se loger sans se perdre. Ce projet est une coop d’habitants, composée d’espaces partagés et de décisions en commun. L’immeuble devient une petite cité, on s’éloigne de la boîte à dormir.
Tu veux des maisons qui respirent ? Les Kerterre, ce sont de jolies petites maisons construites en chanvre et en chaux, légères et discrètes, qui s’intègrent harmonieusement dans la nature, comme si elles faisaient partie du paysage.
Au Portugal, Tamera a repensé notre rapport à l’eau avec des lacs paysagers, des terrasses, des sols qui retiennent l’humidité. Et quand l’eau revient, le reste suit… les arbres, les oiseaux et les récoltes. Sans parler du moral qui remonte d’un coup.
Regarde Vauban à Fribourg. C’est un quartier quasi sans bagnoles, avec des maisons à énergie positive. Tu vis, tu pédales, et ton toit produit plus que tu ne consommes. À Davis, en Californie, le Village Homes a planté des vergers comestibles au bord des rues, tout le monde peut récolter, la circulation est ralentie exprès, et des fossés ont été creusés pour mieux gérer l’eau de pluie.
Et puis il y a le Pays de Galles, avec sa politique One Planet Development. Si tu veux une éco-ferme très sobre en pleine campagne, il te « suffit » de prouver ton autosuffisance en terme de nourriture, d’énergie ainsi que de revenus et l’État te dit « Ok ». C’est pas beau ?
Tout ça pour te dire que c’est du concret, beaucoup de choses existent déjà un peu partout. C’est peu médiatisé, parce qu’il ne faudrait pas que ça nous donne des idées… Mais il y a bel et bien des brèches ouvertes par des gens ordinaires qui ont arrêté d’attendre d’avoir la permission.
Tu n’as pas besoin de tout copier. Ni d’adhérer à toutes les idées. Tu piques un concept, tu en parles à tes voisins, et tu laisses pousser la graine que tu viens de semer autour de toi.
Avec ces exemples lumineux, le moral revient après tant de chapitres rudes. Mine de rien, ça veut dire que tous ces gens ont déjà ouvert les yeux, qu’ils ont déjà pensé à tout ça et qu’ils sont déjà passés à l’action avant d’obtenir des résultats inspirants. Tu n’es donc pas tout seul. Moi non plus. On n’est pas une poignée d’illuminés. On est plutôt une chaîne discrète de mains qui travaillent pour la Vie.
Si tout ça existe déjà, c’est donc que le décor peut changer. Et pour comprendre à quel point il peut bouger, on a besoin de faire un pas en arrière dans l’Histoire et de prendre un peu de hauteur.
Si tu dézoomes vraiment, l’architecture actuelle composée des États-nations modernes, de la finance mondialisée, des forums d’élites, de la gouvernance par les normes et les plateformes, n’est qu’un éclair sur la frise du temps humain. Notre époque nous semble interminable, mais elle n’est rien à l’échelle de la planète. Homo sapiens, c’est environ 300 000 ans d’histoire. Alors que l’ordre politico-économique qui te semble « omniprésent » n’a, au mieux, que quelques dizaines ou quelques centaines d’années.
Concrètement, l’essor des États-nations modernes se situe dans le sillage de la Westphalie en 1648, la première matrice de souveraineté territoriale. À l’échelle de l’espèce, c’était hier.
L’Ordre monétaire et commercial « mondial » prend forme en 1944 à Bretton Woods avec la création du FMI et de la Banque mondiale.
Le Forum de Davos (WEF) est né en 1971. Là encore, c’est tout récent…
Bref, le « Nouvel Ordre » n’est pas l’horizon de l’humanité. Au contraire, c’est une configuration historique toute fraîche, et donc révisable. Ça, c’est une bonne nouvelle.
Si le cauchemar dans lequel on vit à présent n’est qu’un montage récent, il est peut-être temps de proposer notre propre « vision » du monde, d’offrir les fondations d’un nouvel âge. Et, ça tombe bien, parce que maintenant qu’on s’est hissés un peu plus haut, on a une vue bien dégagée sur le monde. Et il y a plein de choses intéressantes sur lesquelles poser notre regard afin de donner un coup de pouce à notre ingéniosité collective et de proposer autre chose.
Tu te souviens, lorsque j’ai comparé le Nouvel Ordre Mondial à une religion ? On a démonté leur catéchisme, et on a vu que leur « vision » s’inspirait fortement de briques idéologiques existantes. À nous d’écrire notre propre liturgie en explorant les apports idéologiques regorgeant de petites choses qui n’attendent qu’à être piochées, examinées et recylcées.
La Brique du Mutualisme
L’idée-mère du mutualisme, c’est celle d’une économie bâtie comme une réciprocité organisée : produire, échanger, s’entraider sans tutelle de rente.
En d’autres termes, on fait en sorte que la richesse générée par nos échanges profite directement à ceux qui la produisent, au lieu d’être captée par un intermédiaire qui n’apporte pas de réelle valeur mais profite simplement de sa position.
Proudhon pose la critique du droit d’aubaine (la rente qui prélève « quelque chose pour rien ») et réclame des formes d’organisation qui émancipent les producteurs. De son côté, Kropotkine montre que l’entraide n’est pas une morale molle mais un moteur d’évolution chez les animaux et les sociétés humaines. Bref, coopérer n’est pas une utopie ; c’est un avantage adaptatif.
Ce qu’on peut garder de cette brique, ce sont les coopératives (propriété et gouvernance partagées), les caisses de crédit mutualisé (finance au service des membres), les banques de temps (1 heure rendue = 1 heure reçue). Avec ce trio on a une base matérielle, financière et sociale aux échanges sains, non prédateurs.
Ce qu’on délaisse par contre, c’est le juridisme fumeux et les usines à gaz. Si un dispositif demande trois avocats et 18 réunions pour prêter 200€, on passe à côté de l’esprit mutualiste. La règle c’est qu’il faut que ce soit simple, lisible, opposable.
La brique de la Non-violence stratégique
Son principe fondamental est de retirer ouvertement notre accord face à l’injustice, en cherchant à toucher la conscience des individus plutôt qu’à exercer une pression physique.
Thoreau a établi le concept de désobéissance civile, mettant en avant la primauté de la conscience sur la loi. Gandhi l’a transformé en une méthode globale appelée satyagraha, ou « force de la vérité » ; Martin Luther King l’a démontrée de manière incontestable dans sa Lettre de la prison de Birmingham ; enfin, Havel a décrit la « vie dans la vérité », qui permet de fissurer les régimes fondés sur le mensonge.
Sur un siècle, les campagnes non violentes ont eu environ deux fois plus de succès que les campagnes armées. Et on observe qu’elle produisent à chaque fois des issues plus démocratiques. Elles mènent aussi plus souvent à une démocratie durable.
On peut on peut s’inspirer de sa discipline (les formations et les consignes claires), de ses symboles nets (les gestes, les visuels, le vocabulaire), et de ses campagnes temporisées comme les boycotts coordonnés, les grèves ciblées, bornées dans le temps.
En revanche, on évite la moraline culpabilisante qui fatigue et divise. On s’écarte de la posture passive parce qu’attendre n’est pas résister. Et surtout, on se rappelle que la non-violence n’est pas de l’inaction : c’est une stratégie offensive pour retirer notre coopération.
La brique de l’Écologie radicale
Le noyau de l’écologie radicale, ce sont des outils conviviaux, une échelle humaine et une sobriété joyeuse. C’est l’autonomie comme élégance.
Je t’en ai déjà parlé, Ivan Illich défend des outils qui augmentent l’autonomie plutôt que la dépendance aux méga-systèmes. Il appelle « conviviaux » les outils qui permettent aux personnes d’agir sans tutelle technocratique. Ça évite à l’outil de monter sur le trône et de nous asservir…
Arne Naess et George Sessions formalisent la plateforme de l’écologie profonde. Ils définissent la valeur intrinsèque du vivant, la responsabilité de réduire nos atteintes.
Murray Bookchin relie l’écologie et l’auto-gouvernement communal. C’est ce qu’on appelle la social ecology et le municipalisme libertaire : des communes capables de décider et de produire à leur mesure.
Je te propose de garder l’approche low-tech incluant tout ce qui est réparable et sobre et de conserver les circuits courts pour rapprocher la production et l’usage. On met dans notre sac à dos, les « communautés d’énergie » et d’intérêt. C’est-à-dire, des citoyens qui s’organisent pour produire et partager leur énergie.
En revanche, on oublie le purisme qui s’inscrit dans l’exclusion ainsi que le catastrophisme anxiogène qui paralyse. Ce qui nous intéresse, c’est l’efficacité tranquille.
La brique du Personnalisme
L’essence de cette brique, c’est la personne d’abord : elle n’est jamais un moyen, toujours une fin. En philosophie, le « personnalisme » place la personne comme principe éthique et politique central.
Le personnalisme vise donc des institutions et des pratiques qui protègent la dignité concrète des personnes, pas des abstractions (comme des chiffres, des chartes ou des intérêts privés).
Mounier en a posé le cadre avec son manifeste. Simone Weil a détaillé nos besoins et nos obligations contre le « déracinement » qui broie les êtres.
Sur cette base, on peut garder l’articulation entre la personne et la communauté sans individualisme sec, ni collectivisme qui écrase. On garde aussi les obligations réciproques claires. Ce qui implique des devoirs envers autrui et le lieu. On laisse de côté tout ce qui ressemble à des chartes morales sans effets concrets.
La brique des Anarchismes d’entraide
En clair, ce sont des groupes à taille humaine qui s’entraident, décident là où ils vivent, et révoquent leurs délégués dès qu’ils commencent à dévier.
Il n’y a pas de chef permanent. Ce sont des mandats courts, précis et impératifs. Tu fais ce pour quoi on t’a mandaté, point barre.
Le tout est relié en fédération, en quartier, en commune et en région, pour mutualiser ce qu’on ne peut pas faire seul.
C’est l’entraide comme loi sociale : chez Tolstoï, il s’agit un anarchisme chrétien non-violent qui place la conscience au-dessus de la contrainte étatique. Il expose la non-violence chrétienne dans Le Royaume de Dieu est en vous. Il prône la non-résistance au mal par la force et refuse l’obéissance à un pouvoir jugé immoral.
Bakounine insiste sur le fédéralisme et les mandats impératifs, responsables et révocables. Kropotkine documente l’entraide comme un facteur d’évolution.
Si je trouve cette brique particulièrement séduisante, il est nécessaire de s’écarter du romantisme du chaos. L’anarchisme dont on parle est organisé, fédératif, responsable… tout l’inverse du tout-venant caricatural.
La brique des Utopies concrètes
L’essence de cette brique consiste à montrer que « ça marche » quand on s’y met sérieusement. Ici, la production ainsi que l’éducation, la santé et la gouvernance locale peuvent être désintermédiées (au moins en partie) par des communautés organisées.
C’est la fameuse « phalange » de Charles Fourier. Un projet de communautés productives et coopératives, pensées pour l’épanouissement des personnes avec un travail choisi et une rotation des tâches.
C’est aussi le cas de New Lanark façonné par Robert Owen via son « paternalisme bienveillant ». C’est un village-usine réformateur avec des logements décents, une école, la santé, et la limitation du travail des enfants. Cet exemple unique est même devenu un site UNESCO pour son modèle social exporté.
Les Kibbutzim, sont un autre exemple d’utopie concrète. On a là des coopératives intégrales comprenant l’agriculture, l’industrie et l’éducation qui ont structuré une part de l’implantation et de l’économie. Le tout, avec un fonctionnement démocratique et égalitaire (du moins, au départ).
Dans un kibboutz, les bénéfices sont réinvestis dans l’établissement après que les membres ont reçu nourriture, vêtements, logement et services sociaux et médicaux. Les adultes disposent de logements individuels, mais les enfants sont généralement logés et pris en charge collectivement. La cuisine et les repas sont partagés.
Tu as aussi l’exemple des Zapatistes (Chiapas), tu sais ce mouvement indigène né publiquement en 1994 (EZLN) qui dit : terre, dignité, autonomie.
Avec des communautés qui s’auto-organisent (école, santé, justice locale) dans les zones qu’elles contrôlent. L’idée c’était de chercher une démocratie communautaire qui respecte les usages indigènes et la pluralité.
On peut également se pencher sur l’exemple de Rojava au Nord-Est de la Syrie qui s’appuie sur un Contrat social écrit. L’idée centrale ici, c’est une démocratie locale en réseau qui s’appuie sur l’égalité femmes-hommes, le pluralisme ethno-linguistique ou encore l’écologie.
Avc ces quelques exemples, tu vois qu’il existe déjà des preuves de concept où la coopération prime sur la rentabilité, où l’échelle humaine passe devant la démesure, et où l’autonomie reliée est une pratique très concrète.
On pourrait garder ce côté « expérimentation » qui permet de s’adapatater au terrain. Les modèles cités ont évolué vers des formes hybrides. On pourrait envier l’autosuffisance partielle que ces projets dégagent concernant la nourriture, l’énergie, les soins de base ou encore l’apprentissage.
Parce que l’exemplarité contamine, on pourrait mettre dans notre sac à dos, l’aspect « Portes ouvertes ». New Lanark servait de vitrine qu’on pouvait visiter (et c’est vrai aujourd’hui encore).
Et on s’écarte de ce qui tue ces oasis, c’est-à-dire le sectarisme et les dogmes. Dès que ça se ferme, ça dérive et puis ça meurt.
La brique Mystique de l’amour
Ici, il s’agit de l’amour comme une force politique : la dignité, le pardon et l’humanité reliée. La tradition Ubuntu fait de la personne une personne par les autres : « Je suis parce que nous sommes ». C’est le fondement d’une justice restaurative plutôt que punitive (Tutu l’a explicitement mobilisée pour la Truth Commission sud-africaine). Je t’invite à consulter mes liens et à t’en imprégner.
Côté anarchisme chrétien (Tolstoï, puis Dorothy Day), on met en actes l’hospitalité, la non-violence et la responsabilité personnelle. Ça se traduit par des maisons d’accueil qui répondent au besoin humain avant la procédure.
J’aimerais beaucoup qu’on garde de cette brique l’accueil inconditionnel qui consiste à ne laisser personne sur le bord de la route, couplé à des limites claires : des règles simples et opposables. C’est tout à fait l’esprit Ubuntu (reconnaître l’autre comme digne) et la pratique des cercles restauratifs : tout le monde parle, tout le monde répond de ses actes.
Il y a juste à ne pas confondre pardon et absence de responsabilité. Et on s’écarte du moralisme qui vise à culpabiliser au lieu de reconstruire.
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À l’échelle d’Homo sapiens, on a vu que les empires passent comme des orages d’été. Je te propose de poser nos briques comme on rebâtit une maison après l’orage.
Avec les personnes comme fondations, des murs dressés par les communs, le toit de la non-violence au-dessus de la tête, et le feu d’un amour profondément humain pour survivre à l’hiver.
De cette maison, on peut ensuite en faire un quartier, une preuve que « ça marche, parce qu’on s’est pris par la main ».
Pour pouvoir continuer à tirer sur ce fil de plus en plus intéressant, il nous faut, cela dit, adopter un certain état d’esprit. Résister aux systèmes de domination nécessite de changer notre rapport au monde.
Le chamanisme et le taoïsme offrent des cadres pour y parvenir : le premier réhabilite la relation vivante avec la nature et l’invisible, le second enseigne le wu wei, l’action en accord avec le flux des choses plutôt que contre elles.
Ces traditions, documentées dans des textes comme le Zhuangzi, ne proposent pas des dogmes plaqués, mais des pratiques de décentrement qui affaiblissent l’emprise des logiques utilitaires.
Comme je l’avais exploré dans La Pelote bleue, la physique quantique montre que la réalité n’est pas figée. L’incertitude, l’intrication et la dépendance au contexte (comme dans l’expérience du chat de Schrödinger ou la dualité onde-corpuscule) révèlent que les phénomènes n’existent souvent qu’en relation. Ce qui suggère une interdépendance fondamentale, moi je le vois comme une métaphore puissante pour penser notre rapport au monde.
Pour résister, commence par des actes simples comme privilégier le silence, couper les écrans le soir, ou se reconnecter aux saisons. Ces gestes, comme célébrer le pain du dimanche ou soigner un jardin, sont des formes de désobéissance douce. Ce sont des rituels qui réintroduisent du sacré dans le quotidien et renforcent l’autonomie intérieure.
Écrire ses rêves, ralentir, offrir sans publier, pleurer librement et tenir une main avec attention sont aussi des formes de résistance. Ces actes réaffirment l’intime contre l’efficacité, la relation contre la performance. Jung souligne l’importance des rêves comme voie d’accès à l’inconscient, tandis que des penseurs comme Nietzsche ou des mouvements contemporains voient dans la lenteur une arme contre la pression sociale.
Retrouver le sens du sacré, c’est refuser de se laisser réduire à un simple consommateur. Ça permet de sortir de la logique marchande, de ne plus être manipulable par les promotions ou la publicité, et de voir les mécanismes de domination. C’est ce que Nietzsche appelait « voir derrière le rideau ».
Ce retour au sacré, loin d’être naïf, est une une façon concrète de résister à l’uniformisation de la société de consommation, en remettant l’humain, les liens et la vie au centre.
Alors, oui, continue à payer tes factures pour l’instant, fais tes papiers dans les temps, mais n’offre pas ton centre, préserve ton essence. Garde une chambre sans wifi dans ta poitrine. Une pièce « hors-système » où personne ne badgera jamais.
A ce stade de la pelote, je n’essaie pas de te convertir à quoi que ce soit. Je te partage mes notes, les réflexions peuplant mes carnets. Avec elles, je te propose de te souvenir que tu n’es pas qu’un estomac et un agenda.
Je veux te rappeler que ta valeur ne se calcule pas en productivité. Je veux te rappeler que la Terre n’est pas une carrière mais une mère. Je veux te rappeler que tes émotions ne sont pas des pannes, ce sont des marées. Je veux aussi te rappeler que que ton imaginaire est un territoire libre et souverain : s’il est occupé, tout le reste suit.
Au bout du compte, le plus grand vol des élites n’est pas passé par une loi, ni par un portique. Il est passé par une simple idée. Celle qui murmure que tu n’es qu’un corps qui consomme. Reprends cette idée, froisse-la puis jette-la au feu, et tu sentiras déjà la serrure céder. Parce que la liberté commence quand tu redeviens infiniment vivant.
Je t’en prie, tire encore un peu ce sur petit fil doré, et laisse-moi dérouler la suite… Doucement. Tout doucement.
Parce que reprendre ta liberté, c’est d’abord reprendre le tempo. La lenteur est aussi une tactique. Réhabilite l’ennui. Laisse une chaise vide dans ta journée. Coupe les notifications par défaut, n’ouvre ton téléphone que lorsque toi tu le décides.
Souviens-toi des saisons : cuisine ce qui pousse, marche sous la pluie, fête les solstices et les équinoxes. Dans ton emploi du temps, bloque deux heures à rien foutre et défends-les férocement.
Plus facile à écrire qu’à faire, mais ce sont pourtant ces gestes minuscules qui brisent les grandes chaînes. On t’a dit « le temps, c’est de l’argent » sauf que la traduction réelle est « ton temps, c’est notre richesse. » Alors refuse de vendre ta vie à la découpe. Ralentis, sans violence mais sans négocier. C’est aussi comme ça que la cathédrale se fissure, quand tu cesses d’être locataire de ta propre journée.
Garde en tête que la sécurité vient des liens humains, pas de la surveillance. Connais tes voisins, échange et coopère sur des repas partagés, des outils en commun, des trajets groupés ou même des cercles de parole. Un lieu vivant se protège par la confiance, pas par le contrôle.
On n’a pas besoin de surveillance omniprésente, mais de relations de confiance. N’oublie pas que chaque liberté est retirée « pour ta sécurité ». À force d’être protégés de tout, on devient prisonniers de tous. Choisis de vivre dans le village, pas de te réfugier le bunker… les murs rassurent, mais les voisins te sauvent.
Change l’imaginaire. C’est vital. Fabrique des rêves dans lesquels tu veux vivre. Écris tes utopies comme une recette. Puis reprends soin de toi comme on reprend une terre.
Le sommeil passe avant l’écran, profite de la lumière du matin, et savoure des siestes courtes. Tu peux me croire, cinq minutes de cohérence cardiaque peuvent être utiles quand le système cherche à te cogner.
Marche en forêt pour ne pas t’oublier. Écris ta charte de souveraineté perso, comme une promesse à ton enfant intérieur. Quelque chose qui pourrait dire :
Mon corps n’est pas un problème à résoudre.
Mes émotions sont des guides.
La médecine est une alliée, pas un maître.
Aucun logiciel n’a le droit d’évaluer mon humanité.
Je signe pour la prévention, la sobriété, la connaissance de moi.
Quand tu sais ce qui t’appartient, tu redeviens un pays. Un pays souverain. Donc, tu deviens plus difficile à coloniser.
Alors disons-le tout net, à la lueur de tout ça, on se sent un peu mieux. On respire davantage. On a des portes qui s’ouvrent, des preuves par l’exemple, des brèches dans lesquelles on peut s’engouffrr dès demain matin. Mais…
(il y a toujours un « mais »…)
Mais il y a un truc qui me gêne dans ce chapitre. Un sentiment d’inachevé. L’impression diffuse qu’on ne fait qu’effleurer la surface. Face à l’organisation tentaculaire, huilée et planifiée du Nouvel Ordre, ces solutions ressemblent parfois à un kit de survie malin pour passer entre les mailles. Une espèce de check-list pondue par l’IA pour se sentir un peu moins écrasé.
On dirait de la liberté bricolée. Futée, mais fragile. Je ne peux pas m’en contenter. Je ne veux pas apprendre à mieux vivre dans la cage, je veux qu’on retire cette putain de cage.
Et pour ça, on doit arrêter de se laisser piéger par la verticalité. Parce que les élites tiennent cette fichue verticalité. Là-haut, ils ont les budgets, les normes, les mégaphones, le tempo, l’autorité.
On ne peut pas jouer la symétrie. Pas sur leur terrain. Si on s’aligne, on perd fatalement tout avantage. Alors on va devoir dézoomer dans les prochains chapitres. Prendre encore de la hauteur, jusqu’à ce qu’on cesse d’être des résistants intermittents et qu’on devienne enfin une civilisation en construction. Tu prends le prochain fil ? On tire dessus ensemble…
