Le plus grand danger est que la liberté se perde non par un coup de force, mais par un glissement imperceptible.
Hannah Arendt
3 ans. Une éternité. Bien trop longtemps que je n’ai pas pris le chemin du clavier pour venir te rendre visite. Qu’il est bon de te revoir ! Même si ce n’était pas au programme, j’aime cette sensation familière : m’installer de nouveau dans ta cuisine avec une boule de laine entre les mains et, cette fois, deux lettres tirées de ma poche. Deux courriers qui ont tout changé. Deux papiers qui m’offrent l’occasion de tirer une nouvelle fois sur le fil d’un sac de nœuds qu’il est urgent de démêler. Comme au bon vieux temps…
Tu peux constater que j’ai troqué mes jeans troués pour un pantalon cargo plus sage. Quelques cheveux blancs s’invitent, mes tatouages hurlent un ton plus bas — c’est la quarantaine, paraît-il. Me voilà donc, posé sur ton plan de travail entre ta machine à café et le four micro-ondes. Tu constates que j’ai fait un peu de sport depuis La Pelote de laine, tu te demandes où j’étais passé toutes ces années et pourquoi j’ai des faux airs de Jésus sous Xanax. Il faut dire que je ne suis plus tout à fait le même. J’ai pratiqué la gratitude avec un millier de personnes, médité sur les collines du Volvestre, appris beaucoup sur ma conscience, mes forces, mes failles. J’ai exploré la maïeutique socratique, la méditation, le tatouage, la peinture, l’écriture de textes-médecine, avec des hauts et quelques bas.
Bien sûr, j’ai tenté d’incarner ce que j’avais écrit dans La Pelote bleue : être un phare, être ingouvernable par la peur, être moi-même. Être libre.
Immense défi…
Et pour être franc, rien n’a vraiment changé dans la société, même si un réveil (discret) s’amorce. Bien sûr, j’ai ma part de responsabilité : je ne suis pas tout à fait un modèle, je n’ai pas réussi à « construire le monde d’après ». Ma vie reste prise dans les filets du système pour tout un tas de raisons d’excuses. On peut vouloir s’affranchir de l’ancien monde sans y parvenir. La preuve : regarde les deux lettres que je viens de faire glisser devant toi. Elles sont datées du 12 mai 2025, tamponnées par l’académie de Toulouse.
Ayant pris nos distances vis-à-vis du système, avec ma femme, il nous était difficile de laisser une école publique que nous estimions délabrée conditionner nos enfants. A nos yeux, la machine craque, entre les postes non pourvus, l’absentéisme en hausse, les bâtiments vétustes, le niveau qui chute (classement PISA), et des milliards qui ne se transforment plus en savoirs. Sans parler du programme EVAR(S), l’éducation à la vie affective et relationnelle, et à la sexualité — à raison de 3 séances par an. En tant que parent, on refuse que l’institution s’installe dans l’intime. À l’École, on attend d’abord l’instruction.
En ce qui nous concerne, le plus jeune a végété en CM1, son frère a subi deux années de harcèlement, allant jusqu’au dépôt de plainte. Alors, en mars 2025, dans les délais, nous avons déposé un dossier pour chacun de nos deux plus jeunes enfants. On a respecté les règles : salle de classe aménagée à la maison, supports pédagogiques sélectionnés, organisation familiale pensée au millimètre. Pas un mot plus haut que l’autre dans nos échanges avec l’académie : inutile de rappeler à l’institution que l’école publique est devenue une machine à obéir plus qu’à apprendre.
Mais voilà : depuis la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 — la fameuse loi « séparatisme » — l’Instruction en Famille n’est plus un droit, mais une faveur. Avant, tu déclarais. Aujourd’hui, tu demandes. Avant, tu étais souverain. Aujourd’hui, tu attends qu’un fonctionnaire t’accorde l’autorisation d’élever ton propre enfant.
Et le Directeur Académique a tranché. Refus pour le grand. Et refus pour le petit. Froid. Chirurgical. Comme si une machine avait rédigé la réponse.
On l’ignorait, mais l’académie de Toulouse se distingue par un des taux de refus les plus élevés en France : 90% pour les nouvelles demandes.
Tu m’étonnes que le pays soit passé de 72 000 élèves instruis à « la maison », à 30 644 en quatre ans. Une chute brutale de près de 58 %.
Alors j’ai lu. J’ai relu ces foutus courriers. Et même avec tous les exercices de cohérences cardiaques et toutes les méditations du monde, j’ai senti la laisse de la « démocratie » se resserrer autour de ma gorge.
En tant qu’homme. En tant que père. En tant que citoyen.
Pourtant, le Code civil depuis 1804 sous Napoléon introduit la notion d’autorité parentale (nommée à l’époque « puissance paternelle »)… 1804, bordel ! On reconnaît aux parents le droit et le devoir d’élever et d’éduquer leurs enfants.
La loi Jules Ferry du 28 mars 1882 rend l’instruction obligatoire, pas la scolarisation via son article 4.
« L’instruction primaire est obligatoire pour les enfants des deux sexes âgés de six ans révolus à treize ans révolus. Elle peut être donnée soit dans les établissements d’instruction primaire publics ou libres, soit dans les familles, par le père de famille lui-même ou par toute personne qu’il aura choisie. »
L’article Art. 26 §3 de la déclaration universelle des droits de l’homme (ONU, 1948), le stipule : « Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants. »
Même la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH, 1950) va à l’encontre de cette décision : « L’État respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques. »[1]
L’instruction en famille est historiquement un droit, ancré dans la loi française et dans le droit international. Mais la Macronie, avec la réforme de 2021, a transformé ce droit en une permission conditionnelle, donnée par l’État.
Déjà, je suffoquais devant les injonctions infantilisantes du quotidien comme « Manger cinq fruits et légumes par jour », « Manger-Bouger »[2] ou « Tous vaccinés, tous protégés »
On nous parle comme à des enfants indisciplinés. On colle un Nutri-Score sur les paquets de chips (un « B » sur des Doritos !) pendant que les pubs pour le sucre et le gras envahissent les écrans de nos gosses. On ose appeler ça de la prévention. D’ailleurs, l’Italie, elle, a préféré bannir ce label. Nous, on l’avale à la petite cuillère.
Alors quand ces deux lettres du rectorat sont arrivées, je n’ai plus eu le moindre doute : c’était la goutte d’eau de trop, le déclic pour reprendre ma plume et partager avec toi un épais dossier à détricoter, à 360°. Celui de nos libertés confisquées. C’est un chantier immense, mais passionnant. Vital. Urgent.
Car, dans nos sociétés modernes, la liberté ne disparaît pas d’un coup. Elle se ronge, morceau par morceau, jusqu’à ce qu’un jour tu te réveilles et qu’il n’en reste rien.
Alors j’ai entamé un vaste travail de recherche, de documentation et de réflexion. Entre deux chapitres, quelques semaines plus tard, j’ai fait quelque chose de très simple : du tri dans la maison. C’était un geste presque anodin, j’ai fait le vide, chargé la voiture, direction la décharge. Une corvée d’un samedi matin qui allait m’expliquer mieux que n’importe quel discours comment on dresse un citoyen, même lorsqu’il habite 500 mètres après la fin du monde.
Je t’expose la scène…
La voiture est pleine à craquer de cartons, de sacs de tontes, d’herbes sèches et de vêtements à donner. En route pour la déchèterie du village. A mon arrivée, je ne reconnais plus l’endroit. Il y a un portail flambant neuf, tout est fraîchement goudronné suite à des travaux récents. Et je découvre une borne à l’entrée. La barrière ne bouge pas. Un agent municipal s’avance.
— Personne ne rentre sans badge maintenant.
Il me connaît, au moins de vue. On habite le même bled, et j’ai déjà fréquenté les lieux une bonne dizaine de fois. Je lui explique qu’on n’a jamais été prévenus et que la voiture déborde. Rien à faire.
— Allez à la mairie, c’est trois minutes pour obtenir le badge.
Je fais demi-tour en essayant de garder mon sang-froid. Trente minutes plus tard — pas trois — la mairie me délivre une jolie carte magnétique liée à ma carte grise et à mon foyer. A partir de cet instant, on va compter, horodater, analyser mes passages à la décharge pour nourrir des statistiques et prendre des décisions futures. C’est l’antichambre du contrôle, bientôt on pourra moduler l’accès avec des plafonds de passages, une facturation au-delà d’un seuil et plus si affinité… On m’annonce que l’activation sera effective sous 24 h. De retour à la déchèterie, muni de mon Saint Graal encore inactif, l’agent finit par m’ouvrir avec son propre badge (ce qu’il pouvait faire d’emblée…).
Je souffle, puis je balance tout haut le fond de ma pensée avec un brin d’ironie :
— Donc, à partir d’aujourd’hui, on sera tracés ici aussi. Vivement les poubelles connectées pour nous taxer, pas vrai ?
Sa réponse tombe. Sèche, sidérante d’indifférence :
— Ah ça, monsieur… c’est pas mon problème.
La barrière s’est ouverte, les bras m’en sont tombés. Il n’avait pas compris ce qui se cachait derrière le badge. Et, comme souvent en France, tant que ça ne nous atteint pas, on s’en accommode. C’est ce qu’on appelle le biais du lointain et de l’anonymat bien établi par la recherche.
Quoi qu’il en soit, aux confins du Volvestre, devant un dispositif qui compte mes passages et donc mes volumes de déchets, j’ai senti, très concrètement, la laisse du système me serrer à nouveau d’un cran. J’imagine qu’en ville, on s’habitue aux lecteurs de plaques, mais sentir ça, ici, dans le trou du cul du monde, ça a quelque chose d’étrangement inquiétant. Comme si l’ombre du contrôle pouvait me rattraper, même en pleine forêt.
Rousseau disait « L’homme est né libre, et partout il est dans les fers. », ce matin-là, j’ai saisi toute la portée de cette pensée.
Je suis remonté en voiture avec l’idée simple de tout laisser, de partir pour rouler et me faire petit avec ma famille. En mode nomade, dans un vieux « Fiat Ducato » qu’on peut me prêter. Mauvaise nouvelle : même la liberté sur route a désormais ses badges invisibles. On enchaîne.
Le droit français resserre partout les mailles autour du « nomadisme ». Via le code de l’urbanisme (R111-33) et les pouvoirs de police du maire (L2213-2), les zones pour camper se font rare. Le bivouac est très souvent prohibé dans les parcs nationaux, les réserves, et sur le littoral. Sans parler des arrêtés municipaux qui mènent la vie dure aux camping-cars… « vivre léger » se heurte à des murs juridiques à chaque étape.
J’ai compris que la route n’était plus tout à fait une promesse de liberté, mais un prétexte de plus pour nous cadenasser. Et là, j’ai réalisé qu’il s’agissait d’un mouvement plus global : partout, en Europe, les mêmes barrières se dressent.
S’il te venait, comme moi, l’envie de partir respirer en Espagne et au Portugal, sache que le camping sauvage avec un véhicule est interdit. C’est même strictement contrôlé, notamment sur les plages et dans les parcs nationaux. Pas mieux pour la Croatie, la Slovénie, le Pays-Bas, la Belgique ou encore le Danemark.
En Grèce, on a durci le ton pour rendre la vie impossible à la communauté des nomades avec la loi 5170/2025, votée début 2025. Adieu le camping nocturne autour des plages, forêts, sites archéologiques. Impossible pour les propriétaires privés de proposer plus d’un emplacement gratuit pour camping-cars.
Au Luxembourg, en Suisse ou en République tchèque : c’est la même chose, interdictions strictes concernant tes envies de camping « libre ».
Pour ceux qui auraient envie de se bricoler un van à moindre frais et se créer un cocon dans une vieille camionnette « passe-partout », les choses se corsent également.
Depuis mai 2018, tout utilitaire aménagé pour être utilisé comme camping-car doit être homologué VASP lors du contrôle technique. Sans ça, ton abri nomade sur roues est systématiquement recalé.
Mais en 2025, la surveillance s’est intensifiée : un van aménagé non homologué peut être immobilisé lors du contrôle technique, voire verbalisé, avec une amende pouvant atteindre 750 €.
On commence peu à peu à sentir la morsure de la conformité, tu ne trouves pas ? Comme si vouloir vivre autrement était une faute.
Tu t’en doutes, tout ça dépasse largement le domaine de l’instruction en famille, de l’accès aux déchèteries ou du nomadisme. « La liberté est menacée chaque fois qu’on cesse de veiller sur elle comme sur un feu fragile. », j’emprunte ces mots à Simone Weil avant d’évoquer un autre exemple frappant :
Je me souviens d’une vidéo montrant une grue qui arrache une tiny house comme on arrache une dent. A l’image, on voit le couple qui l’avait construite pleurer en silence. Pourtant ce genre d’habitat alternatif, c’est sobre, c’est écologique et réversible. Mais ça ne respectait pas les lignes froides du PLU.
Parce que depuis la loi ALUR (2014), ces « résidences démontables » sont encadrées par l’article R.111‑51 du Code de l’urbanisme : entre 5 et 20 m²[3], on exige une déclaration préalable ; au-delà, il faut un permis de construire. Montrer patte blanche, toujours.
Cerise sur le gâteau, la mairie peut, au moindre écart, infliger jusqu’à 500 € par jour d’amende — et exiger la destruction du bien aux frais du propriétaire. Autant dire que ça calme n’importe qui.
Tu l’as compris, le rêve de vivre léger, celui qui traverse l’esprit de nombreuses âmes « éveillées », s’effondre peu à peu sous la griffe du béton administratif. Quand je m’en suis rendu compte, j’ai senti une brûlure : si même l’humus, la sobriété, la terre deviennent illégaux, qu’est-ce qu’il nous reste ?
La liberté matérielle s’est retirée peu à peu depuis ses dernières années… maintenant, c’est la liberté de posséder, de choisir, même de rêver, qui glisse comme de l’eau tiède.
Comme l’a prophétisé Ida Auken dans un essai du WEF[4] de Davos en 2016 : « Vous ne posséderez rien, et vous serez heureux. » Cette utopie froide exprime, à mes yeux, la dépossession sous toutes ses formes — les biens, le sol, et même la liberté de penser.
Et c’est précisément là où je veux en venir avec cette pelote : notre liberté, sous toutes ses formes, est en train de fondre comme neige au soleil.
Sur ce triste constat, laisse-moi te tendre mon premier fil de laine et t’accompagner en douceur. J’aimerais que tu tires délicatement dessus pendant que je te dépeins rapidement un kaléidoscope composé de mesures, de décrets et de lois qui convergent dans le même sens.
Car toutes ces interdictions arrivent au compte-goutte, sous prétexte de sécurité, d’écologie ou de santé publique. Mais elles forment, tu le sentiras au bon moment, un grand tout.
Prêt ? On y va sans forcer…
Si ton poulailler est clos, couvert, et qu’il dépasse 5 m² au sol avec une hauteur supérieure à 1,80 m, il devient imposable (taxe sur abri de jardin, etc.)
En France, l’eau de pluie reste légale pour arroser ton jardin (encore heureux !), mais utiliser cette eau à l’intérieur de ton domicile exige une déclaration obligatoire en mairie — et tolérance n’est pas autorisation.
Si tu veux te griller une cigarette, bon courage. Il est interdit de fumer dans les parcs, sur les plages, aux abords des écoles, des bibliothèques ou des abribus depuis le 1er juillet 2025.
On a eu droit aux ZFE (Zones à Faibles Émissions), souviens toi des vignettes Crit’Air. Ok, seules Paris et Lyon restent soumises à ces restrictions, mais nos dirigeants ont tenté de l’imposer partout.
Continuons dans la même veine, tu sais que depuis le 2 mai 2025, l’usage des voies de covoiturage est strictement contrôlé : si tu y roules seul dans ta bagnole, tu es en infraction.
L’installation de nouvelles chaudières au fioul est interdite depuis juillet 2022. À partir de 2025, ce sera le cas aussi pour les chaudières à gaz dans le neuf, avec de possibles extensions dans l’existant.
À compter de janvier 2025, les locations de courte durée (type Airbnb) doivent être enregistrées auprès de la mairie en tant que « meublé de tourisme », même pour quelques semaines par an. Ça commence à faire beaucoup de trucs à déclarer à ta mairie…
Tu savais qu’il te fallait un permis obligatoire pour les cabanes supérieures à 20 m², même dans ton propre jardin ?
On supprime des boîtes aux lettres dans les communes de moins de 1 000 habitants. Imagine un village où les anciens doivent faire 10 km pour poster une lettre. C’est ça, le progrès sous l’ère Macron.
En sautant du coc à l’âne, je te pose ça là : tu ne peux pas prélever de l’eau dans les rivières sans autorisation.
Depuis 2008, la vidéo-verbalisation permet de te coller une prune grâce à des caméras de surveillance, sans présence humaine. Elle est largement déployée dans les villes depuis quelques temps.
Grâce à la loi « Sécurité globale » de 2021, les drones sont autorisés pour la surveillance. On a la désagréable impression d’être dans un épisode de Black Mirror.
Je pourrais continuer ce prologue encore longtemps en piochant dans les différents postes de notre quotidien, car la réalité est implacable : depuis deux mandats sous Macron, nos libertés se portent mal. Très mal. Tu vois bien que les mailles se resserrent. Ce que je tiens aujourd’hui entre mes mains, ce n’est pas une simple pelote de laine. C’est une corde qu’on nous passe doucement autour du cou. Et la question est simple : est-ce qu’on va continuer à sourire pendant que le pouvoir serre le nœud ?

[1] Protocole additionnel, art. 2
[2] PNNS (PROGRAMME NATIONAL
NUTRITION SANTÉ) insufflé par notre chère Agnès Buzin, ministre de la Santé de l’époque.
[3] ou 40 m² selon la zone.
[4] World Economic Forum