La liberté confisquée : Chapitre 12

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L’avenir n’est pas ce qui va arriver, mais ce que nous allons faire.

Henri Bergson

Merci d’être toujours là après un autre chapitre sacrément long. Et merci de vouloir aller toujours plus loin, toujours plus haut. Même si de belles étincelles d’espoir nous ont éclairé dans les pages précédentes avec des initiatives qui réchauffent le cœur, on reste encore et toujours dans le noir. Je suis désolé de devoir l’écrire d’une manière aussi cash, ce n’est qu’en regardant les choses telles qu’elles sont qu’on pourra prendre de la hauteur.

Je t’ai partagé mon cri du cœur, l’envie, le besoin, l’absolue nécessité de foutre en l’air la cage, de dynamiter la cathédrale du Nouvel Ordre Mondial. Ne va surtout pas croire que c’est un caprice.

Parce qu’on ne bâtit pas monde de liberté sur des fondations prêtées par le geôlier. Tant que l’argent, les portes d’accès, la narration et la surveillance restent chez « nos maîtres », l’alternative est un jardin sous perfusion, qu’ils peuvent débrancher quand ça leur chante.

Quand je parle de « renverser le système », je ne fais pas allusion à une lubie de salon. C’est moralement défendable. Je vais même plus loin : il n’y a rien de plus légitime. Parce qu’on ne parle plus d’erreurs ponctuelles de la part des élites, mais d’une méthode devenue une routine.

Ils gouvernent en déclarant l’état d’exception sur des crises provoquées ou exploitées. Ils étirent les pouvoirs, et, au passage, ils mordent dans les libertés et même jusque dans le portefeuille.

On a vu très concrètement des comptes gelés parce que des gens n’avaient pas la « bonne » opinion ou n’allaient pas à la « bonne » manif. Puis on a vu des juges qui admettaient plus tard que c’était disproportionné. Si l’État peut couper ton argent pour te faire taire, on a basculé dans une autre catégorie de régime, point.

Et en parlant d’un régime qui glisse, que dire en France du contournement parlementaire à répétition ? Sous Élisabeth Borne, l’article 49.3 a été utilisé 23 fois en 18 mois. On a assisté à la banalisation d’un outil d’exception pour faire passer les budgets et les réformes majeures malgré des majorités introuvables.

Que penser de la tentative de perquisition chez Mediapart après des révélations sur l’affaire Benalla (4 fév. 2019) ? Et de la convocation par la DGSI de la journaliste du Monde Ariane Chemin après ses enquêtes également sur Benalla ? Cet interrogatoire n’est pas un signal fort envoyé aux sources et aux rédactions ?

Que dire du harcèlement et du sabotage qu’a subi la journaliste de radio Kerne, en  Bretagne, menacée après une enquête sur l’agro-industrie ?

Comment se sent la liberté de la presse après la tentative d’intimidation sur les journalistes de Disclose auditionnés en 2020 pour avoir révélé des liens entre des élus et des groupes d’extrême droite ?

Et après que plusieurs journalistes ont été contrôlés, agressés ou poursuivis lors des manifestations des Gilets jaunes ?

D’ailleurs, sommes-nous toujours en démocratie quand Amnesty dénonce dès 2018 des blessures graves et l’emploi excessif de la force contre manifestants et lycéens ? En 2020 on a même connu des vagues d’interpellations préventives et des condamnations pour infractions « fourre-tout ».

Je pourrais te parler de la commissaire aux droits humains du Conseil de l’Europe qui s’alarme d’arrestations de personnes… mêmes en simple proximité des cortèges, et de gardes à vue massives ensuite classées sans suite.

Je pourrais m’étendre sur la « nasse », tu sais, la manœuvre d’encerlement des manifestants utilisée par les forces de l’ordre dans notre beau pays.

Mais ce que tout ça raconte, c’est que ce pouvoir teste, durcit, banalise et ne craint pas grand-chose tant que la rue est contenue et que les juges arrivent après.

Reprenons notre fil pour nous hisser hors de France et poursuivre la réflexion. Tu vas comprendre où je t’entraîne…

D’un point de vue plus global, les infrastructures qui font tourner nos vies, comme les paiements, les hébergeurs, les réseaux, les magasins d’apps, sont devenus des leviers politiques.

Aux États-Unis, on a déjà vu des campagnes coordonnées qui étranglent des secteurs entiers en les privant d’accès bancaire : pas besoin d’interdire, il suffit de fermer le robinet. C’est l’exemple de l’Operation Choke Point. Quand l’accès au système de paiement devient une faveur, la dissidence n’a plus d’oxygène.

Ajoute à ça des médias essoufflés, coincés entre la pub, la concentration et la dépendance aux grands acteurs… tu obtiens une asphyxie douce. Plus élégante que la censure à l’ancienne, mais tout aussi dangereuse. Les voix alternatives existent, mais elles respirent… mal. Très mal.

Donc, quand un appareil  d’état peut geler tes ressources, te museler et surveiller ton corps… vouloir dire « non » n’est pas un caprice. C’est un devoir, une hygiène intérieure. Et vouloir renverser un système qui ment, empoisonne, vole le temps et asservit n’est pas une pulsion de colère, c’est un réflexe de survie au nom de la Vie, la vraie.

Alors on fait quoi ?

Vouloir construire « à côté », sur le papier, c’est noble. Sauf que dans la vraie vie, tu te heurtes à des portes qui ne t’appartiennent pas. Par exemple, les grandes plateformes et les magasins d’apps tiennent les clés. Le règlement européen en la matière leur permet de pouvoir de fixer unilatéralement les conditions d’accès.

Toute application qui n’entre pas par leurs guichets reste invisible, non monétisable, introuvable. Tu peux avoir la meilleure idée du monde, si le portier ne t’ouvre pas, ton projet ne sera vu par personne.

À ça s’ajoute la grande machine à « modérer ». Officiellement, c’est pour la sécurité. Concrètement, dès que ton contenu ressemble à un risque réglementaire, on serre la vis. Ce n’est pas la censure à coups de matraque, c’est la frontière de ce que tu peux dire qu’on repousse d’un cran vers le centre. Au final, tu t’auto-censures pour ne pas être banni.

Côté argent, ce n’est pas mieux, si ta banque ou ton prestataire de paiement juge que tu « coûtes » en conformité, il coupe le robinet. Ils appellent ça le « de-risking ». Pas besoin de procès ni d’illégalité, on ferme ton compte « par prudence ». Sans canal bancaire, l’alternative s’éteint faute d’oxygène.

Et pendant que tu t’acharnes à faire pousser un jardin libre, la couche techno-sécuritaire avance tranquillement. Avec ses capteurs, ses algorithmes, ses obligations de signalement. L’exception devient permanente, les yeux restent allumés. Tu peux bâtir, oui, mais sous un plafond bas, avec la sensation diffuse d’avoir un filet au-dessus de la tête.

Au bout du compte, tout ce que tu souhaites créer « à côté » est toléré tant que c’est décoratif. Dès que ça devient efficace, le système peut le neutraliser proprement. Sans bruit, sans drame, juste en refermant les vannes, dans l’indifférence la plus totale.

Il nous faut donc encore dézoomer si on veut pouvoir penser « en grand » et déchirer le voile du fatalisme.

Si je me fie à ma mémoire, lors de l’écriture de ce manuscrit… c’est à partir de cette section que le fil a commencé à se dérouler franchement, et que ma réflexion a pu prendre tout son envol. Comme si ce paragraphe défonçait enfin les murs de ce que je croyais être une impasse. Dans ma toute première « Pelote de laine », le principe directeur, la fibre même de la laine, c’était de suivre le fric pour obtenir des réponses.

Ici, la règle d’or, c’est de prendre toujours plus de hauteur. Un peu comme un aigle qui survole les montagnes pour mieux comprendre le terrain et choisir le bon moment pour foncer.

Alors accroche-toi à ce fil doré, on prend de l’altitude…

On l’a déjà vu : que tu l’appelles système, matrice, cathédrale ou Nouvel Ordre Mondial… on parle d’une sorte de religion séculière. Une religion avec ses dogmes, ses prêtres, ses temples, ses sacrements, et, forcément… ses failles.

Eh oui, même une religion techno-laïque finit par se casser la gueule. Généralement, ce n’est pas un effondrement façon gratte-ciel dynamité. Ça commence discrètement, ça s’effrite de l’intérieur.

Les sociologues de la religion l’ont montré : un culte meurt quand il cesse de tenir ses promesses, quand ses prêtres se discréditent, ou quand ses rituels deviennent absurdes. Robert Bellah parlait de « religion civile » pour désigner ces systèmes qui donnent du sens collectif sans référence au sacré. Emilio Gentile, lui, a décrit les « religions politiques » du XXe siècle comme le fascisme, le nazisme, le bolchevisme ou le communisme. Elles ont toutes fini par s’écrouler sous le poids de leurs propres contradictions.

Le Nouvel Ordre Mondial, si on le lit comme une religion séculière, n’échappe pas à cette loi.

Alors, tirons doucement sur les points de vulnérabilité de ce culte que j’aimerais tant voir tomber de mon vivant…

La première faille, c’est la crise du mythe fondateur. Toute religion vit d’un récit servant de socle. Ici, le mythe se résume à  « plus de sécurité grâce à plus de contrôle ». Mais quand les promesses ne tiennent plus – par exemple quand des systèmes d’identité numérique ou de paiement tombent en panne – le mythe se fissure. Joseph Tainter a montré que les sociétés complexes s’effondrent quand le coût de la complexité dépasse ses bénéfices.

La deuxième brèche, c’est lorsque le système devient tellement routinier et répétitif qu’il perd toute son énergie et son attrait. À force de répéter les mêmes règles et de fonctionner comme une machine sans inspiration, il finit par s’user de l’intérieur. Weber l’avait flairé : un système qui se prend trop au sérieux, qui s’enferre dans ses règles et ses démarches, ça finit par endormir tout le monde. Trop de normes, trop de « procédures », et l’élan d’origine s’écroule, tout le monde sature. Quand la règle devient une fin en soi, la bureaucratie produit alors une usure interne par excès de procédures.

Ensuite, on a les scandales des prêtres, bien entendu ! Dans l’Église, ce sont les abus couverts. Dans les religions politiques, ce sont les purges. Ici, il s’agit de fuites massives de données, de collusions avec des intérêts privés, de mensonges officiels. Chaque scandale ronge la confiance. Et dieu sait qu’on est servi de ce côté-là…

La quatrième faiblesse, c’est l’échec eschatologique. Une religion vit aussi d’une fin du monde annoncée. Quand l’apocalypse n’arrive jamais, la crédibilité s’effondre. Giorgio Agamben a montré que l’ « état d’exception » permanent finit par devenir grotesque.

Les schismes représentent à l’évidence une faille supplémentaire. Quand des « hérésies » crédibles apparaissent, le monopole du vrai s’effrite. Dans le cas du Nouvel Ordre Mondial, ce sont les monnaies locales, les coopératives, les circuits hors-ligne, les oasis autonomes abordés dans le chapitre précédent. Comme toute Église face à la Réforme, le système doit alors composer.

Enfin, la profanation du « sacré » est la dernière fissure. Le temple devient vulnérable quand il cesse d’impressionner. Les mégafuites de données biométriques ou les piratages massifs sont l’équivalent de la profanation des hosties au Moyen Âge. Le noyau « sacré » de la machine devient risible.

Tu vois donc qu’en théorie la cathédrale peut tomber. Mais si ça doit se produire, elle ne s’écroulera pas comme une tour un 11 septembre… elle se délitera comme une vieille Église qui n’arrive plus à convaincre, qui perd ses fidèles, qui croule sous ses propres rites absurdes et ses scandales.

Si tu tires un peu plus sur notre fil, tu peux légitimement te demander « Alors, pourquoi cette religion est si indéboulonnable ? »

Quand on le regarde de plus près, le culte du N.O.M. paraît très solide parce qu’il cumule plusieurs verrous qui se renforcent mutuellement. Et il y a plusieurs raisons à ce triste constat.

Premièrement, parce qu’à chaque choc exploité, le système ajoute des règles « temporaires »… qui restent. C’est ce que la littérature appelle l’effet cliquet. Les pouvoirs d’exception s’étendent plus qu’ils ne régressent.

On le documente autant dans l’économie politique des crises que dans l’analyse contemporaine des pouvoirs d’urgence. Autrement dit, l’État et les grandes organisations gagnent du terrain pendant la tempête, et n’en rendent qu’une partie après.

Cette religion tient encore debout parce que l’État, via ses canalisations techniques, irrigue totalement nos vie. Michael Mann indique qu’il y a deux façons pour l’Etat d’exercer son pouvoir : parfois en imposant brutalement ses décisions, mais surtout en s’infiltrant partout dans la vie quotidienne grâce à ses règles, ses formulaires et ses réseaux. Comme tout passe par lui, il devient difficile de s’en défaire.

Si la cathédrale des élites est si mûre, c’est aussi parce que les standards gagnants deviennent nos chaînes. En gros, plus tu avances, plus tu es coincé…

Les économistes parlent de path dependence et de rendements croissants. En fait, une fois qu’un système ou une habitude est adoptée par beaucoup de monde, il devient de plus en plus difficile de changer. Plus il y a de personnes qui l’utilisent, plus ça coûte cher et demande d’efforts pour passer à autre chose. C’est comme pour le clavier d’ordinateur ou les applications qu’on utilise tous les jours : plus on s’y adapte, plus on reste coincé parce que tout le monde fait pareil.

D’ailleurs, même quand on « pourrait » changer, on ne le fait pas. Parce que notre cerveau déteste changer. Changer implique des efforts : il faut réapprendre, transférer ses données, perdre ses repères. Ce sont les fameux « coûts de changement » qui nous retiennent, comme l’a expliqué l’économiste Klemperer. D’autres chercheurs, Samuelson & Zeckhauser, ont montré qu’on reste attaché à ce qu’on connaît, même si ce n’est pas la meilleure option. Bref, on s’accroche surtout par inertie.

Comme si ça ne suffisait pas, il y a une autre bonne raison : tout le monde finit par agir de la même façon. On appelle ça l’isomorphisme. Les chercheurs DiMaggio et Powell expliquent que les organisations finissent fatalement par se ressembler parce qu’elles sont soumises à trois types de pressions. Celles de la loi (on doit obéir aux règles), l’envie de copier ceux qui semblent réussir (on imite le « premier de la classe »), et la pression des métiers eux-mêmes qui imposent leurs habitudes.

Résultat ? Même quand on croit faire différemment, tout le monde adopte plus ou moins les mêmes fonctionnements, ce qui réduit les vraies possibilités de changement.

Comment ne pas évoquer la rente économique du système ? En plus de ses aspects idéologiques, ce modèle est très profitable. Comme l’explique Shoshana Zuboff avec le concept de « capitalisme de surveillance », nos moindres faits et gestes deviennent des données qu’on revend pour prédire et influencer nos choix. Tant que ça rapporte un max de blé – que ce soit par la publicité, les notes, le scoring ou la vente de solutions de sécurité toutes faites – il existe des groupes puissants qui ont tout intérêt à ce que rien ne change.

Enfin, cette secte prospère grâce au mythe de la « sécurité » comme ultime argument. À force d’invoquer la peur — qu’elle soit sanitaire, terroriste ou numérique — on nous vend toujours plus de contrôle au nom de la sécurité. Au bout du compte, les mesures d’exception deviennent la norme et on allonge la liste des règles sans trop se demander si ça a encore du sens. La société finit même par réclamer elle-même ce tour de vis supplémentaire, convaincue que plus de surveillance, c’est forcément mieux.

Si je dois faire un résumé… Ce culte tient parce qu’il est encastré dans nos routines, à chaque fois qu’on doit payer, s’identifier ou circuler. Il est incrusté dans nos réseaux avec ses compatibilités et ses standards. Il est gravé dans nos organisations à base de procédures et de conformité. Il est tatoué dans notre économie en s’appuyant sur les rentes de données. Et il est même imprimé dans nos têtes, ce qui explique le biais du statu quo. En gros, on a affaire à une écologie de dépendances.

En fait, la religion du Nouvel Ordre Mondial a tout simplement colonisé nos idées, nos comportements, chacun de nos gestes. En clair, elle a transformé des croyances en habitudes via des boucles de récompense, de peur et de confort. J’insiste sur ce point, car il est important de comprendre comment ça marche.

Décrire la mécanique, côté humain, est assez simple. Et ça tombe bien, car toutes les ficelles utilisées par le système sont largement documentées.

En premier lieu, il s’agit, ni plus ni moins, de nos réflexes mis en cage. Tout commence par le credo psychologique. On déteste perdre plus qu’on aime gagner. C’est la théorie de l’aversion de la perte de Kahneman & Tversky qui explique pourquoi nos choix sont très prudents dès qu’un gain « sûr » est en jeu.

Alors on accepte les contrôles pour éviter l’embrouille, le retard, l’insécurité, bien plus facilement que pour gagner un soupçon de liberté.

On choisit la facilité du présent — sous forme de reconnaisance faciale, de paiement sans contact, etc. — et on repousse ce qu’il nous en coûte réellement à plus tard : que ce soit la dépendance ou la traçabilité. C’est l’hyperbolic discounting de Laibson.

Quand c’est « officiel », estampillé par l’État ou la banque, l’anxiété retombe et on dit amen. On nomme ça la science de la persuasion. Et si le chemin le plus contrôlé est aussi le plus simple, il finit par devenir non seulement la norme, mais carrément la morale. Et ça, ça se nomme, comme on l’a déjà vu, le « biais du status quo. »

Le tout est renforcé par les rites qui programment nos corps. Les QR codes, les badges, les portiques… La répétition fait loi, le bénéfice immédiat conditionne. Chaque fois qu’on « obéit », une micro-récompense tombe : l’accès est validé, la friction est effacée. C’est le conditionnement opérant de Skinner.

Le scroll infini et les notifs jouent la même partition. On a une récompense variable, petit shoot de dopamine qui nous fait revenir le lendemain. Et quand ça se mêle à de la gamification sociale avec des likes, des statuts, des notes carbone demain… l’obéissance prend des allures d’un jeu sordide.

Puis il y a la paroisse, nos pairs, notre tribu. On regarde autour et tout le monde scanne, tout le monde valide… alors on fait pareil, même si ça nous écorche. C’est la preuve sociale de Cialdini et la conformité façon Asch : suivre le troupeau, même à contrecœur.

On protège l’accès de nos enfants à l’école, au sport, au boulot, et on avale les rites du N.O.M. pour ne pas qu’ils soient exclus. Quand c’est flou, on copie la majorité. Economiquement, c’est rationnel à court terme. Socialement, c’est vital.

Les temples, eux, gagnent par défaut. Plus un système a d’usagers, plus il coûte cher d’en sortir. Voilà l’effet de réseau décrit par Katz et Shapiro : on paie cher pour décrocher de la banque, de l’identité ou de la messagerie.

Les standards et l’interop nous guident dans un couloir unique, sans échappatoire. C’est voulu et c’est documenté par Klemperer. Et ça porte d’ailleurs le doux nom de coûts de changement et verrous. On nous vend de la résilience centralisée. De la fluidité, du service garanti… et du coup on débranche nos plans B. Plus de cash, plus de carnet papier, plus de numéros en mémoire. Résultat : on devient totalement dépendants. La critique du « frictionless » comme idéologie de design est désormais largement documentée.

Reste le clergé intérieur, le plus pernicieux. Je te parle de tout ce qu’on se raconte à soi-même pour tenir. « Je n’ai rien à cacher », « c’est pareil partout après tout »… On se berce de rationalisations.

Alors l’exception devient la routine. L’urgence prolongée n’étonne plus, on ajuste nos attentes, on baisse la tête. Et à force de petits renoncements, on finit par ne plus tenter d’autres voies. C’est la fameuse impuissance acquise, la résignation douce.

Et tu veux savoir pourquoi l’emprise de cette fichue religion a pris si vite ces dernières années ?

C’est parce qu’elle a surfé sur la vague des crises en série. 2008, terrorisme, pandémie, énergie, ombre de la guerre : chaque secousse ajoute une couche, un cran de cliquet.

C’est aussi parce que la finance et la techno ont fusionné. La donnée est devenue monnaie, et la docilité mesurable s’est mise à rapporter. C’est le fameux capitalisme de surveillance dont je t’ai parlé.

C’est parce qu’on a sanctifié l’esthétique du lisse : toute friction est suspecte, on préfère du fluide et de l’immédiat à du rugueux et de la lenteur.

Et enfin, c’est parce qu’on a brandi de grandes causes morales avec des mots clés totems comme « sécurité », « santé », « environnement » pour enrober des outils intrusifs dans une promesse de vertu. Les élites savent que les slogans courts gagnent sur la complexité. C’est exactement ce que montrent les travaux d’influence sociale à ce sujet.

Ce que j’essaie de te dire, c’est que le système nous prend simplement par nos failles les plus banales. Et c’est précisément pour ça que cette religion est si solide. Si elle a tant de croyants, c’est parce qu’elle sert trois faims fondamentales.

La faim d’apaisement : promettre la sécurité, c’est promettre le sommeil. La liturgie du contrôle dit « dors, on veille ». Beaucoup signent pour dormir.

La faim d’efficacité : la fluidité est notre idole discrète. « Zéro friction » est un dieu poli. Or, dans ce bas monde, le sacré le plus puissant est celui qui gagne du temps. Qui veut se battre contre un dieu qui te fait gagner dix minutes ?

La faim d’innocence : si la machine décide, je ne suis plus responsable. Le contrôle externalise la faute, c’est le fameux « je n’ai fait qu’appliquer la procédure. » Offrir l’innocence morale, c’est offrir un paradis. On y accourt.

Tu vois, on n’est pas seulement enfermés par une force extérieure… on est surtout captifs d’un troc aussi simple que malsain : moins d’angoisse contre moins d’autonomie.

Du coup, sortir de cette secte revient à changer ce qu’on adore. Ça nécessite de se réconcilier avec l’incertitude, d’accepter l’inconfort, de retrouver la lenteur, d’aimer sans badge, de croire sans QR Code. Là réside sans doute la vraie hérésie : reprendre en main nos faiblesses pour préserver notre liberté.

Mais pour pleinement le comprendre et l’intégrer, il va nous falloir prendre encore un petit peu de recul. Car c’est seulement en s’élevant sans répit que notre point de vue nous permettra d’apercevoir la sortie… Je te donne rendez-vous dans le prochain chapitre pour qu’on tente de se hisser un cran plus haut.


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A propos de l'auteur

Matthieu Biasotto

Auteur indépendant toulousain, rêveur compulsif et accro au café. J'écris du thriller, du suspense avec une touche existentielle.

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