Loin des tempêtes
giulia
Je monte à bord, le souffle encore chaud des mots échangés avec Massimo. Chaque phrase m’a marquée, et pourtant, à chaque pas, l’air devient plus respirable. Le vent, salé, claque sur mon visage, comme pour effacer les traces d’un passé qui s’agrippe encore. Derrière nous, Positano reste immobile, ses secrets ancrés dans le décor, proche mais déjà flou.
Les vagues martèlent la coque, en écho à mes pensées éparses. Sous la façade pittoresque, les mensonges se tordent comme des racines anciennes. J’aimerais croire qu’ici, tout s’allège, que les fardeaux glissent dans l’écume, mais c’est tatoué en nous, tout ça. Les sacrifices, les conflits… Ce n’est pas le vent qui les effacera.
Un regard vers Gianni. Son calme est mon unique repère. Le visage encadré de mèches sombres, il fixe l’horizon, impassible, où moi je ne vois que le néant. Sa chemise ouverte, prise dans le vent, révèle la force tranquille qui émane de lui. Dans ce chaos, il est l’ancre.
Mon cœur cogne encore. Une part de moi espère que la tempête est passée, mais une autre sent Positano, là, suspendue au-dessus de nous, prête à nous rattraper au moindre faux pas. Cette paix qui pointe à l’horizon, est-ce une illusion ?
Elena s’avance, ses yeux passent de Gianni à moi. Elle sait. Elle a traversé ce même conflit. Sa voix brise le silence, et ses mots me frappent comme un écho.
— Vous êtes sûrs de votre décision ?
La question me fouille, appuie là où j’hésite. Suis-je prête ? Prête à effacer tout ça, à tout abandonner ? Ses mots me renvoient cette incertitude que j’essaie de dissimuler.
— Sûre et certaine.
Ma voix est un murmure, mais chaque mot pèse, suspendu dans l’air. Plus qu’une réponse, c’est un point final. Un départ sans retour. Une partie de moi veut croire à ce renouveau, mais l’autre sait que les cicatrices resteront là, bien visibles, à jamais.
Gianni s’approche, ses yeux croisent les miens. Il ne dit rien, mais dans son regard, je vois cette promesse muette : plus besoin de revenir en arrière. Le passé est derrière, la douleur reste là, accrochée comme une brûlure qu’on porte à même la peau.
On se regarde. Pas besoin de mots. On a franchi cette ligne ensemble. On a choisi de ne plus laisser la haine dicter nos vies. On a décidé de vivre.
Elena agrippe le Luce Di Mare, ses doigts se crispent une dernière fois sur le bastingage. Un instant, elle hésite, puis je donne un coup sec du pied contre la coque. Elle hoche la tête et nous regarde nous enfoncer dans le large, seule face à l’horizon, tandis que nous glissons vers notre propre liberté.
Je tourne la tête vers Gianni, l’homme qui m’a maintenue debout en pleine tempête. Il est là, inébranlable, solide comme un roc dans le chaos qu’on vient de laisser derrière. Sur son visage, je devine les traces invisibles de nos batailles – cette fatigue qui traîne, cette lassitude, mais aussi cette flamme tenace. Un feu fragile mais vivant, celui qui nous a portés ici, ensemble, à travers chaque épreuve.
Avec sa carrure imposante, ses cheveux noirs en bataille, il dégage cette force tranquille qui me calme. Malgré tout ce qu’on a traversé, malgré les coups, il est toujours mon ancre, cet homme dont la volonté de me protéger reste inflexible. Maintenant que la faida s’est effacée, sa force reste, simple et immuable. Nos regards se croisent, et une chaleur monte en moi. Ce silence partagé est notre langage, et dans ses yeux, tout est dit : on n’a plus besoin de se battre.
Tout ce qu’on a enduré nous a menés ici, là où l’amour peut enfin l’emporter sur la haine. Libres, enfin. Nos cœurs peuvent battre sans crainte, sans cette épée suspendue au-dessus de nous. Un soulagement profond s’infiltre, mais les doutes, toujours, rôdent en silence. Gianni, cet amour indéfectible, est la seule chose qui apaise encore la tempête en moi. C’est lui qui m’a guidée à travers l’enfer.
Il m’attire contre lui, et dans cette étreinte, le passé semble s’effacer, même pour un instant. La chaleur de son corps, la fermeté de ses bras, me chuchotent une promesse silencieuse : nous sommes intouchables. Ce contact dit tout. C’est le début d’une nouvelle vie, même si les ombres du passé nous guettent encore.
Un sourire mélancolique effleure mes lèvres. Le passé, avec ses douleurs, ne s’efface pas si facilement. Ces cicatrices invisibles sont la preuve qu’on a survécu, ensemble. Gianni se tourne vers l’horizon et laisse échapper un long soupir, celui d’un homme enfin libre de ses chaînes, mais conscient que d’autres batailles attendent peut-être.
— Cette guerre de clans n’est plus la nôtre.
Ses mots, simples, se mêlent au vent et m’apportent une paix que je n’espérais plus. Il a raison. Nous avons une nouvelle histoire à écrire, une histoire où notre amour prend toute la place.
Je hoche la tête, laissant ses paroles m’apaiser. J’aimerais croire en ce futur, loin de la faida. Mais les souvenirs sont là, tapis, prêts à resurgir.
— Et si tout ça nous rattrape ?
Gianni prend ma main, ses doigts chauds enroulant les miens avec une douceur qui me ramène à nous, loin des fantômes. Ce lien entre nous, plus fort que tout.
— Giulia, tu as risqué ta vie pour moi. Je ne te laisserai plus jamais affronter ça seule.
Ses mots, pleins de promesses, calment mes blessures invisibles. Il est là, avec moi, et c’est tout ce qui compte.
— Je suis tellement désolé pour tout…
Sa voix tremble, chargée de regrets.
— On a tous fait des erreurs.
Je lui donne un léger coup de coude, un sourire complice aux lèvres, essayant d’alléger l’atmosphère.
— Mais on s’est sauvés, chacun notre tour.
Il esquisse un sourire.
— Un point partout.
Je prends une grande inspiration, remplie soudain d’un sentiment de complétude.
— Je veux croire qu’on peut vraiment se reconstruire, loin de tout ça.
Ce mot, « reconstruire », pèse dans l’air. C’est plus qu’un désir, c’est une nécessité. Bâtir quelque chose de solide sur les ruines de notre passé. Nos cicatrices, laissées par les trahisons et la violence, ne s’effaceront pas d’un coup, mais elles deviendront notre force. Ce qu’on a enduré, ces blessures invisibles, seront les fondations d’un avenir qu’on s’apprête à façonner.
Le bateau fend l’eau, chaque vague nous arrache un peu plus à ce que nous laissons derrière. Ce n’est pas juste un départ, c’est un saut dans le vide, une renaissance. Le ciel, rosé d’or et de pourpre, semble nous bénir d’un nouveau commencement, comme si l’univers entier ouvrait la voie. Reconstruire exigera tout de nous : la patience, le courage, l’espoir. La mer, immense et infinie, symbolise autant notre fuite que notre liberté. Mais je le sais, le chemin sera sinueux, semé de doutes.
À mes côtés, Gianni fixe l’horizon, perdu dans ses pensées, le vent ébouriffant ses cheveux noirs. Il cherche des réponses dans cette étendue sans fin. Tout est flou devant nous, incertain, mais rempli de promesses. Chaque vague qui nous éloigne de Positano emporte un fragment de notre passé, même si son poids reste accroché, lourd et tenace. L’avenir, vaste comme la mer, nous attend, à construire pierre après pierre, avec cette crainte constante que le passé n’émerge à nouveau des profondeurs.
La mer, calme mais imprévisible, devient un miroir de notre futur. Elle promet liberté, mais rappelle aussi les dangers tapis dans l’inconnu. Chaque vague murmure que notre route sera marquée de tempêtes, mais qu’elle recèle aussi des instants de beauté et de renouveau.
Gianni finit par rompre le silence.
— On ne peut pas fuir éternellement.
Sa voix grave fend l’air, pleine de cette vérité qu’on a essayé de repousser.
— La faida fait partie de nous, de ce qu’on est.
Ses mots tombent, durs, inévitables. Ce qui nous a façonnés reste là, gravé. Son regard se pose sur moi, intense, sincère, et sous la douleur, je vois cette flamme, cette détermination à ne plus laisser le passé gouverner notre avenir.
— Mais je te promets qu’on ne laissera plus ce qu’on a vécu nous contrôler.
Sa voix résonne, solide, touchant quelque chose en moi, là où l’espoir sommeille encore. Notre passé ne s’effacera jamais, mais on peut refuser d’en être prisonniers. Malgré tout, cette peur s’accroche, comme une ombre collante.
Je pose une main sur son bras, mes doigts cherchant une certitude dans son regard. Gianni m’a toujours rassurée, mais aujourd’hui, il me faut plus. J’ai besoin d’une garantie.
— Alors promets-moi, quoi qu’il arrive, on reste ensemble.
Il comprend ce que je lui demande. Dans ses yeux, je lis la réponse, nette, sans hésitation.
— Je te le promets. Jusqu’au bout.
Son baiser vient sceller cet engagement. Sobre, mais chargé de tout ce qu’on a traversé. Dans ce geste, il y a notre amour, forgé par l’adversité. C’est une promesse de traverser l’inconnu ensemble, coûte que coûte.
Le soleil descend, baignant nos visages dans une lumière douce. Ce crépuscule a quelque chose de différent. Il porte en lui le début d’un nouveau jour. Un jour où nous serons enfin libres – libres de nos chaînes, de nos peurs, libres de vivre sans retenue. Main dans la main, nous contemplons l’immensité de la mer, comme une promesse de lendemains plus cléments.
— Ensemble. Jusqu’au bout.
Ces mots, bas mais assurés, contiennent tout ce que je ressens pour lui. C’est notre promesse, notre avenir, et cette fois, il n’appartient qu’à nous.
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