Faida – Chapitre 27

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Les Chaînes de la Déception

Gianni

Quelques semaines avant l’accident…

La propriété des Rossi se dresse devant moi, imposante et silencieuse, une forteresse qui semble m’écraser sous son poids. Je progresse à contrecœur, pleinement conscient de ce qui m’attend à l’intérieur depuis la signature chez le notaire. Incapable de repousser l’amertume qui monte en moi, je sais que tout a changé depuis que j’ai « sauvé » Giulia. Nos tensions n’ont cessé de s’aggraver, et la situation devient chaque jour plus intenable.

Les murs de la villa sont lourds de souvenirs, des souvenirs que je préférerais oublier. Chaque pièce, chaque meuble raconte une histoire que je tente d’esquiver, mais qui me rattrape inlassablement. Les remarques de mon père résonnent encore dans ma tête. « Tu manques de vision, Gianni. Ne pose pas de questions inutiles et fais ce que je te demande. Pour une fois, essaie de ne pas me décevoir. » Ces paroles me hantent, me rappellent que, pour eux, je ne suis qu’un pion dans un jeu de pouvoir où je n’ai jamais trouvé ma place.

Quand je pousse la porte, l’odeur de tabac froid et de cuir vieilli me prend à la gorge. C’est presque suffocant, tout comme l’atmosphère oppressante de cette maison. Chaque objet semble figé dans le passé me rappelle que rien n’a vraiment évolué ici. Je m’avance vers la grande table en chêne, ce lieu où tout se décide. Les regards pesants de ma famille se tournent vers moi, pleins de reproches tacites. Pour ne pas changer.

Je suis accueilli par le regard impatient de mon père, assis en bout de table. Il n’a même pas besoin de poser la question ; je sais ce qu’il attend. Son regard fixe ma mallette en cuir, parce qu’elle contient une copie du testament de Giovanni Esposito.

— Alors, tu as signé ?

— Il faut croire que oui. Et sans ton armée de juristes…

J’ai du mal à cacher ma petite satisfaction, mais mon père a toujours le don de plomber l’ambiance en une phrase. 

— Montre les papiers et voyons le désastre.

Sa voix est lourde, chargée de sous-entendus. Mon estomac se noue. Un pincement au cœur m’envahit lorsque je tends lentement les documents. J’ai signé. Et avec cette signature, j’ai scellé un destin que je ne maîtrise plus. Le poids de ce geste me pèse encore. 

Mon père parcourt chaque feuille dans un silence religieux, arquant parfois un sourcil. Je m’en veux d’espérer stupidement une forme de validation, comme un petit garçon en quête d’approbation. Mais avec lui, ce n’est jamais gagné. Il cesse sa lecture, puis il émet un raclement de gorge, comme pour adouber la signature.

— Ce navire, Gianni, c’est peut-être la dernière chose que je verrai…

On dit que les attentes des autres sont des chaînes plus lourdes que nos propres échecs. Il tousse puis poursuit d’un ton cassant.

— Ne fais pas de ce projet un fiasco, comme tu en as l’habitude.

Ses mots sont comme des coups de poignard. Il ne m’accorde jamais la moindre chance. Mes poings se crispent, et je tente de contenir la rage qui bouillonne en moi. Mais cette froide détermination, cette volonté de prouver que je ne suis pas un raté, me maintient debout. Je ne peux pas flancher maintenant, pas après tout ce qui s’est passé.

Je prends une grande inspiration, ravalant ma frustration.

— Pour l’instant, je contrôle la situation.

Mes mots sonnent faux. Mon père rattrape les papiers avec un détachement presque indifférent, mais je décèle la satisfaction dans ses yeux. Poursuivant son analyse, il déplie les derniers documents d’un geste sec et les pose sur la grande table en chêne, là où toutes les décisions importantes ont toujours été prises. C’est autour de cette table que se jouent les moments cruciaux, là où chaque parole pèse lourd de conséquences.

— Bien. C’était inévitable. Tu ne pouvais pas échapper à ça, finalement.

Tandis qu’il parcourt de nouveau les lignes, je garde le silence, mes poings serrés discrètement. Chaque fibre de mon corps est tendue, mais je conserve une façade impassible.

C’est alors qu’Angelo, mon homme de confiance, prend la parole. Assis un peu en retrait, il fait tourner son briquet entre ses doigts, cliquetant doucement à chaque mouvement. La flamme vacille une fraction de seconde avant de s’éteindre, et il répète ce geste d’un air absent. Je devine qu’il aurait bien allumé une cigarette, mais il s’abstient par respect pour la santé de mon père.

— C’était un coup bien pensé de Giovanni Esposito.

Angelo continue de jouer avec son briquet, ses yeux rivés sur les documents.

— Il savait que te mêler à cette histoire te forcerait à abandonner tout le reste. Ce navire va te bouffer tout ton temps, Gianni. Pas de gestion des projets, pas de supervision. Il a frappé là où ça fait mal. Il a fait ça pour causer un maximum de dégâts, et tu le sais.

On dirait bien que les pièges les plus subtils se referment lentement, nous laissant croire qu’on contrôle encore le jeu. J’ignore si le grand-père de Giulia l’avait envisagé sous cet angle, mais je dois admettre qu’Angelo a raison. Laisser tomber mes autres activités pour restaurer La Speranza ? Ce serait rompre l’équilibre fragile d’une machinerie bien huilée, et pourrait déboucher sur une catastrophe financière pour nous, un coup fatal pour la famille. J’essaie de rassurer tout le monde.

— Je peux tout gérer. Je vais superviser La Speranza tout en m’occupant des affaires courantes. Ce n’est qu’une question d’organisation.

Mon père me condamne d’un ton tranchant.

— Ne me prends pas pour un imbécile, Gianni. Tu ne peux pas être partout. Si tu t’investis dans cette restauration, tu n’auras plus le temps de gérer nos projets.

Il me fixe, ses yeux brillants de scepticisme. Ses mots me blessent, mais je ne réagis pas.

— La meilleure option pour toi, c’est de te concentrer sur le navire pour que cette mascarade dure le moins longtemps possible.

Je déteste l’idée d’abandonner mes responsabilités, de laisser les autres gérer ce qui m’appartient. Tommaso, mon cousin, expert dans l’art de s’immiscer et de fouiner dans mes affaires, se penche en avant. Mon irritation monte instantanément. Son air suffisant et sa manière de se mêler de tout m’horripilent. Il fait glisser les documents vers lui, feuilletant les pages comme s’il cherchait à y dénicher un avantage.

— Une chance que je puisse m’occuper du projet hôtelier à ta place, Gianni.

Avec son sourire narquois, il a le don de malmener mon self-control.

— Il est évident que les Esposito sont coincés avec nous dans cette affaire de restauration. C’est notre occasion de les affaiblir.

Son ton est froid, détaché, comme s’il parlait de chiffres, pas de personnes. Aucune émotion ne teinte sa voix, seulement une logique glaciale. Il me lance un regard provocateur.

Je le fixe un instant, mon agacement grandissant. Va-t-il rester ici éternellement ? Finalement, je murmure avec acrimonie.

— Et toi, Tommaso, tu comptes retourner chez ton père un jour, ou tu squattes ici encore longtemps ?

— Tu n’as qu’à en parler à ton oncle Massimo, si ça te dérange.

Mon cousin me répond d’un regard suffisant avant de se replonger dans les documents. Ce type est insupportable. Toujours assis face à moi, il affiche un sourire de défi. Il se penche vers mon père et prend la parole d’un ton doucereux.

— En attendant… Je pourrais prendre en charge certaines affaires à la place de Gianni. Je pourrais gérer quelques projets… alléger un peu sa charge. Après tout, ce ne serait pas la première fois que je sauve la situation.

Sa voix est mielleuse, mais je perçois la menace qui couve. Je n’avais jamais réalisé à quel point un sourire pouvait dissimuler une ambition prête à tout dévorer. Tommaso se verrait bien prendre les rênes de tout ce que j’ai construit. Son hypocrisie arrogante m’agace profondément, et mes poings se serrent sous la table.

— Je ne crois pas que ce soit nécessaire. Je peux tout gérer, pas besoin de toi pour ça.

La tension monte. Tommaso croise les bras, visiblement amusé de me voir perdre patience.

— Ah, vraiment ? Tu ne vas pas t’effondrer sous la pression ?

Je me lève brusquement, les muscles tendus, prêt à exploser. Je me déteste de réagir aussi facilement à ses provocations.

— Tu veux que je te montre ce que c’est que la vraie pression ?

— Gianni !

La voix de mon père claque comme un fouet, et tout le monde se tait. Il ne tolérera pas que cette réunion tourne au vinaigre. Son regard dur se pose sur moi, puis sur Tommaso.

— Ça suffit. Tommaso, apprends à rester à ta place. Tu t’occupes du projet hôtelier, point. Ne dépasse pas tes prérogatives. Maintenant, sors d’ici. 

Le cousin s’exécute, la défaite pesant sur ses épaules. Le silence qui suit est pesant. Mon père reprend les documents avec un geste précis, prêt à clore la discussion. Il me lance un regard glacial, sa voix se fait plus tranchante :

— Et toi, joue la fine avec La Speranza. Vois comment transformer ce merdier en opportunité. 

Le poids de sa présence, de ses décisions, nous impose l’ordre. Angelo claque une dernière fois son briquet avant de parler calmement, jetant un regard vers moi.

— Ton père a raison. Concentre-toi sur La Speranza, Gianni. Je veillerai à ce que Tommaso ne dépasse pas les bornes. Et surtout, ne fais pas tout foirer.

Je hoche la tête sans un mot. À cet instant, mes pensées sont déjà ailleurs, tournées vers la confrontation à venir avec Giulia. Je sais déjà que cette collaboration forcée… c’est plus que je ne peux supporter.

Si cette histoire te plaît, partage-la avec ceux que tu aimes ! Ensemble, faisons voyager ce roman.

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A propos de l'auteur

Matthieu Biasotto

Auteur indépendant toulousain, rêveur compulsif et accro au café. J'écris du thriller, du suspense avec une touche existentielle.

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