Sous les Flots, des Vérités
Giulia
Quelques semaines avant l’accident…
Le soleil commence à poindre à l’horizon, et ses rayons dorés s’étirent lentement sur le port de Positano. Les premières lueurs du matin dansent sur les vagues, transformant la mer en un miroir scintillant. Pourtant, malgré cette sérénité, je ressens une aura mystérieuse qui enveloppe l’étendue marine, comme si les profondeurs recelaient des secrets chuchotés par les courants. Un doute insidieux se glisse en moi, se mêlant au vent salin, chargé d’une incertitude palpable. Les reflets sur l’eau, fragments d’histoires oubliées, m’invitent à déterrer des vérités cachées, tandis que chaque vague murmure une réalité que je redoute d’affronter.
L’air, habituellement frais, est aujourd’hui lourd de promesses voilées. Mes cheveux, encore humides de rosée, collent à mon front. Chaque gouttelette glacée prolonge un frisson qui émerge de l’aube, écho de l’anxiété que je m’efforce de masquer. Chaque mouvement, chaque ordre que je donne, porte la marque d’une assurance forgée dans les tempêtes du passé, mais derrière cette façade, mon esprit vagabonde, tiraillé entre le devoir et une peur sourde.
Mon regard se porte sur mon fidèle Pietro, ses mains noueuses crispées sur un cordage. Aussi vaillant que loyal, il a ce regard de ceux qui ont vu trop de tempêtes et qui s’accrochent désespérément au présent. Tandis que le chalutier revient doucement au port en longeant la jetée, je m’approche de lui, mes pas résonnant doucement sur le bois du quai.
— Je vais devoir te confier l’activité de pêche pendant quelque temps, je ne peux pas être partout en ce moment.
Pietro fronce les sourcils, tirant une dernière fois sur la corde qu’il enroule autour de sa main. Il me scrute un instant avant de répondre, sa voix rauque éraflée par les années passées en mer.
— C’est en lien avec Ezio ?
Je soupire, secouant la tête doucement avant de répondre, une pointe de tristesse mêlée à l’agacement dans ma voix.
— Non, mon frère est rivé à sa console, comme d’habitude. Et avec son bracelet électronique, je crois qu’il n’est pas près de recommencer les conneries.
Pietro secoue la tête en silence, ses yeux plissés se fixant un instant sur moi, comme s’il devinait ce que je n’ose pas dire. Ses doigts continuent de serrer la corde, un geste machinal.
— Cette baston générale… une sale histoire, hein ? T’étais là ce soir-là, toi aussi. Une de plus avec les Rossi.
Mon cœur se serre un peu, le souvenir de la violence d’Ezio dans ce bar refaisant surface. C’était brutal, incontrôlable. Une simple dispute qui avait dégénéré en un affrontement sanglant, aggravé par le fait que ceux qu’il avait frappés faisaient partie de la famille du clan Rossi.
— Ouais, Pietro. Une sale histoire. Il a été jugé pour violences aggravées. C’est pas un enfant de chœur, tu le sais bien. Et il est allergique aux Rossi, comme tous les gamins de pêcheurs de Positano. Rien de nouveau, hein ?
Pietro hoche la tête avec un sourire amer.
— Les Rossi et nous, c’est dans le sang, hein ? Tu crois que ça changera un jour ?
Je détourne les yeux, regardant le port qui s’étend devant nous. J’ai beau manœuvre doucement pour accoster en douceur, mon esprit est ailleurs. Je sens que ce qui m’attend est plus grand que ces vieilles rivalités, mais je n’ose encore l’admettre.
— Je ne sais pas, Pietro. Mais ce qui est sûr, c’est que je dois m’occuper de La Speranza. Je te fais confiance pour gérer ici.
Pietro me scrute un moment, son visage durci par les années s’adoucissant légèrement alors que je hausse le ton en m’adressant au reste de l’équipage.
— Allez, bougez-vous pour décharger la marchandise. Le marché nous attend.
Ma voix ferme tranche l’air du matin avec l’autorité nécessaire, maintenant l’unité parmi mes hommes. Sous ma direction, le port s’anime. Le claquement des caisses, le clapotis des vagues contre les coques des bateaux, les rires des marins, tout est familier, presque rassurant. Mais au milieu de cette harmonie, je sens une dissonance subtile s’installer, quelque chose que j’ai du mal à dompter, surtout quand mes yeux se posent sur la silhouette de la frégate de mon grand-père. Un frisson parcourt ma colonne vertébrale, je retiens mon fidèle second d’une voix plus sensible que je l’aurais souhaité.
— Pietro, tu te souviens des jours de gloire du bateau de mon grand-père ? Au hasard, en juin 1986 ?
Le vieux loup des mers lève les yeux vers moi, et, sous son bonnet usé, son regard se durcit sous l’effet d’un souvenir douloureux. Ses larges épaules se raidissent, comme si le fardeau d’un passé inavoué venait de s’abattre sur lui. Les rides autour de ses yeux se creusent davantage, chaque ligne se faisant l’écho d’une histoire qu’il a gardée enfouie.
— Giulia, oublie ça. Je ne sais pas ce que tu cherches mais… T’es en train de t’embarquer dans quelque chose de trop gros pour toi.
Ses mots résonnent en moi comme un avertissement solennel. Le silence qui suit, rompu seulement par le clapotis des vagues, est lourd de non-dits. Un frisson glacé me parcourt l’échine, mais une nouvelle détermination naît de cette peur que je refuse de laisser m’arrêter. Je sais que ce territoire doit être exploré. Et pour y arriver, si j’en crois ce bon vieux Luigi, je dois être éclairée par un certain Giuseppe Falcone.
Le cœur lourd, mais la tête haute, je jette un dernier coup d’œil aux hommes qui s’activent encore sur le quai. Leur silhouette, découpée dans la lumière dorée du matin, semble soudain appartenir à un autre monde, un monde simple et sûr que je dois peut-être quitter pour affronter les ténèbres du passé. Après un coup d’œil sur ma montre, un soupir m’échappe.
— Pietro, je dois partir. Tu gères ici ?
Le vieil homme hoche la tête, son regard empreint de sagesse et de résignation.
— Vas-y, Giulia. Je m’occupe de tout. Mais fais gaffe à toi. Y’a des secrets qui devraient rester cachés.
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