Faida – Chapitre 37

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La Vérité Enfouie

gianni

Nos pas résonnent contre les pavés de la Via dei Mulini, un écho lourd, presque oppressant, tandis que la grande plage s’étend un peu plus bas. Le Bar del Marinaio, d’ordinaire animé de rires et de conversations, est étrangement silencieux ce matin, vidé de sa vie. À l’intérieur, l’ambiance est pesante. Giuseppe Falcone, seul, est adossé à une petite table près de la fenêtre. La lumière terne du jour filtre à travers les rideaux, révélant à peine sa silhouette. Devant lui, une bouteille à moitié vide, témoin d’une solitude sans fin. Ses mains tremblent légèrement, marquées par des années de secrets. Quand il lève les yeux vers Giulia, un sourire las fend son visage, usé par le temps et les regrets.

— Giulia… tu as bien changé. Que fais-tu ici ?

La voix de Giuseppe est lente, alourdie par les années et les souvenirs. Elle semble s’effiler, comme une corde prête à céder. Ses mots glissent, inoffensifs, mais son regard raconte le reste : fatigue, regrets, et ce vide infini laissé par la mer à ceux qui l’ont trop contemplée.

— La dernière fois que je t’ai vue, tu n’étais qu’une enfant…

Son souffle s’éteint dans cette constatation amère. D’un geste fatigué, il invite Giulia à s’asseoir. Elle prend place en silence, et je m’installe à ses côtés. Le cuir de la chaise gémit sous mon poids, comme si même les meubles du café ressentaient cette tension oppressante. Chaque geste de Giuseppe est une énigme. Son mutisme en dit bien plus que ses paroles. Cet homme a traversé des tempêtes que peu d’êtres pourraient supporter. J’imagine qu’on ne passe pas une vie en mer sans en porter les marques, sans laisser des fragments de soi dans ses profondeurs. Sur son visage, je devine l’usure de celui qui a trop vu et gardé trop de secrets. Des vérités que je suis bien décidé à lui arracher.

Les banalités échangées sont sans importance, Giulia n’est pas là pour ça. Son regard se durcit, sa voix se fait plus tranchante, chaque mot prêt à découper la vérité qu’elle poursuit depuis des années. Ce n’est plus une enfant.

— Giuseppe, vous avez passé votre vie en mer avec mon grand-père et mon père. Tout ça doit vous paraître loin, mais j’ai besoin de savoir…

Le silence qui tombe est lourd, pesant comme l’accalmie avant une tempête. Giuseppe reste figé, son regard fuyant, mais son visage se crispe sous le poids de souvenirs trop douloureux. Chaque seconde accroît la tension, comme une vague prête à se fracasser sur les rochers. Dans ma tête, le bruit des vagues s’intensifie, comme si la mer elle-même murmurait des réponses que personne ici n’ose formuler. Giuseppe avale une longue gorgée de son verre. Ses doigts tremblent à peine, mais je perçois ce qu’il tente de cacher. Le bruit sourd du verre posé résonne comme un jugement.

— C’est vrai… J’ai navigué avec eux.

Ses yeux, voilés par des années à scruter l’horizon, se perdent dans le vague, cherchant refuge dans des vagues imaginaires.

— Des hommes respectés, oui. Mais la mer… elle nous pousse à des choix difficiles, elle ne donne jamais sans reprendre.

Chaque mot le replonge dans des moments qu’il préférerait effacer, des décisions qui pèsent encore sur sa conscience. Il s’interrompt, son visage se ferme, comme celui d’un homme qui a trop donné. Ses traits se contractent sous le poids de souvenirs sombres qui le hantent. C’est là qu’on comprend que la Méditerranée ne se contente pas de prendre des vies ; elle grignote aussi les âmes, lentement, sans qu’on s’en aperçoive.

— Il y a des histoires qu’on ne raconte pas. Même pas à toi.

Quand il évoque ces récits qu’il voudrait garder dans l’ombre, Giulia se redresse. Ses muscles se tendent, son regard se durcit, prête à se déchaîner. Je sens la tension monter sous ma peau. Les vérités sont là, toutes proches, mais elles nous échappent encore, glissant comme du sable entre nos doigts. Giuseppe s’enferme dans son silence, mais nous sommes là pour bien plus que des demi-mots.

— Quelles histoires, Giuseppe ? Qu’a fait mon père ?

Sa voix devient plus insistante, comme une flèche tirée dans le noir. Giulia, dans toute son essence, ne lâchera rien tant qu’elle n’aura pas obtenu les réponses. Elle se penche vers lui, son regard acéré, tandis que Giuseppe se recroqueville, tel une épave échouée tentant de résister à la marée.

— Parfois, la mer cache des secrets que personne ne devrait déterrer. Jacopo, ton père…

Giuseppe inspire profondément, ses mots arrivent lentement, comme s’ils émergeaient d’un océan de souvenirs amers.

— … Il a toujours voulu te protéger de ces vagues qui emportent tout.

Je fronce les sourcils, mes pensées se brouillent. Le père de Giulia, la mer, les secrets. Il manque une pièce essentielle, quelque chose m’échappe. Giulia, elle, ne lâche rien.

— Giuseppe, pourquoi ces secrets sont-ils si dangereux ?

Le vieil homme murmure, sa voix n’est qu’un souffle.

— Parce que certaines vagues ne reviennent jamais.

Ces mots tombent comme des pierres, mais ils ne nous apprennent rien de concret. Je sens la fatigue m’envahir. Mes nerfs sont à vif. Sans réfléchir, je saisis fermement le poignet de Giuseppe, l’empêchant de reprendre son verre. Mes doigts se serrent autour de son bras, et je plonge mon regard dans le sien. Ma voix gronde, rugueuse.

— Je n’ai pas toute la journée. Arrête de tourner autour du pot et dis-nous ce que tu sais. Parce que si je dois revenir, crois-moi, ce ne sera pas aussi amical.

Ceux qui refusent d’affronter la vérité la laissent pourrir, jusqu’à ce qu’elle explose. J’enserre son bras un peu plus fort. Ma menace est claire, froide. Je veux être sûr que le message passe.

— Parole de Rossi. Chiaro ?

Je ne voulais pas être aussi brutal, mais la fatigue et l’énervement ont pris le dessus. Giulia me dévisage, tandis que Giuseppe pâlit. S’il y a bien une situation où la réputation de notre clan est utile, c’est dans ces moments-là. Il sait que je ne plaisante pas. Les vagues de ses angoisses refoulées remontent.

— On… On les appelle… les navires fantômes.

Ces mots résonnent dans la pièce comme une légende urbaine. Mon cœur s’emballe, tout semble se figer. Ce que je croyais être un mythe prend une réalité effrayante. Giulia, elle aussi, est secouée.

— Navires fantômes ?

Giuseppe hoche lentement la tête, évitant nos regards.

— Certains bateaux ne reviennent jamais. Certains marins non plus, quand on passe de l’autre côté.

Sa voix se perd dans l’air, chargée de secrets trop lourds. Le regard brûlant de Giulia me transperce, plein de questions qu’elle n’ose formuler. Giuseppe, les yeux plissés, cherche à fuir ces vérités enfouies. Il sait que le moment est venu, mais il donne l’impression de chercher encore à détourner l’inévitable.

— Quoi qu’il en soit, Giulia… un Rossi et une Esposito main dans la main, c’est le genre d’union qui n’a jamais porté bonheur au village.

Ces vieilles rancunes qui nous empoisonnent depuis des générations, nous collent à la peau. Un flot d’injustice monte en moi. Mes poings se serrent sous la table, mes jointures blanchissent. Mais avant que je parle, Giulia réagit. Elle se redresse brusquement, un regard de défi fixé sur Giuseppe.

— Quelle union ? Comme si c’était le cas ici…

Sa voix est froide, vibrante d’ironie. Elle me jette un coup d’œil rapide, presque moqueur, mais ça me blesse plus que je ne veux l’admettre. Elle cherche à réduire ce que nous faisons à une simple affaire de circonstances. Mais je sais que c’est bien plus. Mon cœur bat trop fort, mais je reste impassible. Pour ne pas perdre la face, je hoche la tête.

 

— On bosse ensemble, c’est tout. Si ça peut changer les choses, pourquoi pas ? Peut-être que ce village a besoin de changement.

Giulia arque un sourcil. Giuseppe semble surpris, mais il reste silencieux. Le malaise s’étend autour de nous. Giulia adoucit son approche, se penchant vers lui, son ton grave mais conciliant.

— Giuseppe, on ne cherche que la vérité. S’il y a autre chose que vous pouvez nous dire… s’il vous plaît.

Le vieux marin secoue la tête, ses épaules s’affaissent sous le poids des secrets. Il tente de saisir la bouteille pour se servir un verre, mais je frappe sèchement le goulot et la couche sur la table. Le bruit sec résonne comme une menace.

— Pour avoir soif, il faut avoir suffisamment parlé. Capito ?

Ma voix est tranchante. Giuseppe comprend que ma patience est épuisée. Il soupire, chaque mot qui suit semble lui coûter.

— Onde. Destin. Mémoire.

— Pardon ? C’est quoi ? Une charade ?

Je perds patience, je crois qu’il a trop bu mais avant que l’agacement n’emporte tout, il insiste.

— O.D.M.

Un murmure à peine audible. Trois lettres, suspendues entre nous.

— Trois mots. Trois lettres, c’est tout ?

Ma voix est tendue, traversée par une colère sourde. Giuseppe ferme les yeux, regrettant déjà d’avoir parlé.

— Fichez-moi la paix, maintenant !

Sa voix est faible, teintée de terreur. Il sait qu’il est allé trop loin et m’arrache la bouteille des mains comme si c’était un foutu doudou. On n’obtiendra rien de plus de cette épave alcoolisée.

Quand on sort enfin du café, l’air frais me remplit les poumons, mais ne dissipe pas la pression. Le silence entre Giulia et moi est lourd. Mes pensées tourbillonnent. Trois lettres. Un mystère. Et cette impression qu’on ne fait que frôler l’abîme. Giulia finit par briser le silence.

— On doit découvrir la vérité, Gianni. Peu importe où ça nous mène.

Je la regarde, frappé par cette volonté inébranlable qu’elle dégage. Sous ses sarcasmes, une résolution farouche.

— Et qu’est-ce que tu comptes faire ?

Elle médite à la question. Ma voix traîne, mais il y a de la curiosité.

— Y’a qu’une Esposito pour croire qu’on peut tout découvrir en une journée.

Elle esquisse un sourire discret, suffisant pour alléger la tension entre nous.

— Et y’a qu’un Rossi pour pas vouloir fouiller les archives maritimes.

Elle s’arrête, ses yeux accrochés aux miens, un regard qui pousse à bouger. Giulia ne reculera pas. Je le sais. Et elle aussi.

— Alors, tu comptes rester planté là ou tu me suis ?

Si cette histoire te plaît, partage-la avec ceux que tu aimes ! Ensemble, faisons voyager ce roman.

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A propos de l'auteur

Matthieu Biasotto

Auteur indépendant toulousain, rêveur compulsif et accro au café. J'écris du thriller, du suspense avec une touche existentielle.

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