Au Bord de l’Évidence
giulia
Quelques semaines avant…
Le soleil, encore timide, commence à se lever à l’horizon, imprégnant le ciel de nuances délicates, presque trompeuses. Les nuages s’enflamment, baignés de rose et d’or, comme une prophétie en suspens. Les premiers rayons percent à peine la tranquillité de la ville endormie, masquant difficilement les tensions sous-jacentes. L’air frais du matin mord mes joues, et tandis que je marche, les petites breloques dorées à mon poignet tintent doucement dans la brise. Ce son léger résonne dans l’atmosphère paisible, mais ce n’est pas la fraîcheur qui fait frissonner ma peau, c’est autre chose. Une attente silencieuse, une promesse à peine formulée.
Je repense à tous ces gestes anodins qui, hier encore, ne signifiaient rien, mais qui aujourd’hui tissent des liens invisibles entre nous, inexplicablement puissants. Ces petits détails trahissent des vérités qu’on préfère taire. Chaque regard, chaque contact semble chargé d’un message secret que seul mon cœur déchiffre. Comme hier, quand il m’a tendu ce café… Ses doigts ont frôlé les miens un peu trop longtemps. Et ce regard, si perçant, avant qu’il ne détourne les yeux. Ces gestes, autrefois insignifiants, sont maintenant lourds de sens, chaque interaction nous rapprochant davantage, nous enfermant dans quelque chose de plus grand que nous.
Chaque matin, Gianni et moi répétons ce même rituel. Les cafés, les sourires volés, les conversations légères flottent dans l’air comme une mélodie familière. Mais aujourd’hui, tout semble différent. Le poids de mes sentiments, l’intensité de ses gestes, rendent chaque seconde plus précieuse et plus dangereuse. Comme si l’air lui-même murmurait des secrets. Chaque sourire, chaque mot devient une pièce d’un puzzle énigmatique que nous assemblons ensemble, attirés l’un vers l’autre par une force inéluctable.
Je m’approche de notre coin habituel sur le chantier, l’odeur des cornetti chauds s’échappant de mon sac, se mêlant à celle du café fraîchement moulu. Mon cœur s’accélère à l’idée de le revoir. Ces moments, avant de le retrouver, sont délicieux, remplis d’une anticipation presque fébrile. Chaque pas me rapproche de lui, comme une pulsation supplémentaire vers un avenir incertain. Un chemin que je ne quitterais pour rien au monde.
Je le vois déjà installé, un café à la main, son visage adouci par la lumière dorée du matin. Quand il lève les yeux vers moi, le temps semble se suspendre. Son sourire n’est plus une simple politesse matinale, mais une promesse silencieuse, un lien fragile et précieux que nous partageons sans mot dire. Chaque geste devient un message silencieux.
— Salut, Gianni. J’ai pensé que des cornetti seraient une bonne façon de commencer la journée.
Je tente de masquer mon trouble derrière une légèreté apparente, mais ma voix tremble légèrement, trahissant une impatience, une attente que je n’ose pas exprimer. La brise fraîche semble s’être effacée, remplacée par une chaleur intérieure, brûlante, qui grandit à mesure que nos regards se croisent.
Gianni prend un cornetto avec un sourire amusé, ses yeux s’attardant un peu plus longtemps que nécessaire.
— Merci. C’est fou comme ces petits moments sont devenus indispensables. Qui aurait cru qu’un simple cornetto pourrait devenir si précieux ?
Son regard devient plus intense, presque interrogateur. Dans ce silence chargé, l’attraction entre nous est palpable, douce mais irrésistible. Mon cœur bat à tout rompre, et je voudrais que cet instant dure éternellement.
— En parlant de luxe…
Je fouille nerveusement dans mon sac, essayant de masquer mon trouble. Chaque mouvement semble ralentir sous cette tension délicieuse qui ne demande qu’à être brisée. Je sors un petit paquet soigneusement emballé. À l’intérieur, un porte-clé doré en forme de melon, délicatement sculpté par un artisan local. L’objet capte la lumière du matin, envoyant des éclats dorés qui reflètent mes propres émotions, un mélange de malice et d’appréhension. Je lui tends le porte-clé, mes yeux pétillant d’amusement mais aussi d’une légère nervosité.
— Tiens, c’est pour toi. Un melon, pour ton ego.
Mon sourire s’élargit tandis que j’essaie de cacher le léger tremblement de mes mains. Gianni prend le porte-clé avec un sourire en coin, mais son expression change légèrement en l’examinant. Il fronce les sourcils, comme s’il cherchait un sens caché dans la simplicité du cadeau.
— Tu es sûre que c’est un melon ? Je me demande bien ce que cet artisan avait en tête… Parce que là, j’ai du mal à y voir un fruit.
Je retiens un rire, mon cœur battant plus fort.
— C’était censé être un melon, mais maintenant que tu le dis… ça ressemble à autre chose. C’est presque gênant de le voir pendouiller comme ça.
Gianni éclate de rire, un rire franc et chaleureux qui me fait sourire malgré moi. Ce rire, presque libérateur, marque une étape franchie, une barrière subtile brisée.
— Ah, je vois… alors non seulement j’ai un ego démesuré, mais maintenant j’ai aussi des nouilles en cor ? C’est ça que tu penses de moi, Giulia ?
— Tu… tu as vraiment dit « nouilles » ?
— Tu sais très bien ce que j’ai dit. C’est comme une pouille dans le cottage. Sauf que là, c’est du 24 carats.
Je pouffe de rire, sentant mes joues rougir, mais je lui rends la réplique avec amusement.
— C’est du plaqué or, je n’ai pas les moyens…
— Quoi qu’il en soit, cet artisan est un visionnaire. Peut-être qu’il devrait les vendre par deux, ça aurait plus de sens, tu ne crois pas ?
Il tient le porte-clé du bout des doigts avec une moue dubitative, et cette drôle de boule dorée oscille étrangement.
— Entièrement d’accord. Vu comme ça pend… il ferait un carton avec une belle paire.
Je ne peux m’empêcher de rire, sentant quelque chose en moi se relâcher, comme si, pour un instant, tout devenait possible. On dit que le cœur sait avant que l’esprit admette. Gianni, mordant dans son cornetto avec un sourire en coin, ajoute :
— Je vais l’accrocher à mon trousseau de clés. Celui de mon coffre-fort, pour ne jamais oublier de protéger mes… biens les plus précieux.
Ses mots, dits avec légèreté, laissent entrevoir un désir de dévoiler un peu plus que ce que nous avons osé partager jusqu’ici. Je lève un sourcil, m’amusant de son jeu.
— Oh, alors tu as un coffre-fort pour ton ego… ou pour tes fameuses nouilles en cor ? Il faudra que tu me montres ça un jour, juste pour vérifier.
Mon cœur bat plus fort, chaque mot effleurant un territoire inconnu, où l’humour et la complicité se mêlent dangereusement. Gianni, feignant de réfléchir, prend un ton faussement sérieux :
— Hmm, peut-être un jour… Mais de quoi on parle exactement ? Tu veux voir le coffre ou mes bijoux de famille ?
Il me regarde avec une malice à peine dissimulée dans les yeux. Je fais mine de réfléchir, puis je lance avec un sourire sarcastique :
— Oh, ne te méprends pas, je n’ai aucune intention de me prosterner devant tes… nouilles. On en a déjà discuté, ça n’arrivera jamais.
Gianni éclate de rire, et la tension familière qui danse entre nous grimpe d’un cran. Dans son regard, je lis un mélange de défi et de curiosité. Ce jeu, cette proximité dangereuse, m’entraîne et m’incite à aller plus loin, tout en effleurant une frontière invisible que nous n’avons jamais franchie. Tandis qu’il savoure une bouchée de sa viennoiserie, Gianni renchérit avec un calme désarmant :
— Peut-être qu’il y a d’autres trésors cachés que je n’ose pas encore révéler.
— Alors qui sait, un jour peut-être, nos routes nous mèneront là où on n’osait pas aller.
Il s’apprête à répondre lorsqu’un bruit sourd fend l’air au-dessus de nos têtes. Instinctivement, je lève les yeux. Là, suspendu dans le vide, un mât fissuré. Les cordes cèdent peu à peu, grinçant sous la tension. Mon cœur se serre, chaque seconde s’étire à l’infini tandis que le danger devient inévitable. Le mât, maintenu uniquement par une chaîne tendue à l’extrême, menace de s’effondrer. Le monde semble se figer, et mon souffle se coupe.
Je n’ai même pas le temps de réagir. Gianni, rapide comme l’éclair, m’attrape par le bras. Son geste est si brusque que je perds l’équilibre, mais avant de tomber, il me retient fermement, me tirant contre lui avec une force surprenante. Mon corps heurte le sien, et je sens immédiatement la chaleur de son étreinte. Le mât s’écrase lourdement à l’endroit exact où je me trouvais une seconde plus tôt, soulevant un nuage de poussière qui tourbillonne autour de nous. L’écho du choc résonne à travers tout le chantier, vibrant dans l’air comme une onde de choc.
Je reste blottie contre lui, encore sous le coup de l’émotion. Ses bras solides m’enveloppent, sa chaleur contraste avec la mort que je viens de frôler. Dans cette étreinte rassurante, le monde entier pourrait s’effondrer sans m’atteindre. Là où le danger a laissé sa marque, naît une certitude nouvelle, celle d’un lien profond entre nous. Nos regards se croisent, son visage est si proche que je peux sentir la chaleur de son souffle sur ma peau. Dans cette proximité, il n’y a plus de jeu, seulement l’essentiel : deux âmes, encore tremblantes, conscientes de la fragilité de l’instant.
— Je devrais vraiment envisager une carrière de garde du corps.
— Tu… tu es peut-être plus doué pour ça que pour enquêter…
Gianni hausse un sourcil, un sourire en coin.
— C’est un coup bas, ma chère Watson.
Son murmure espiègle tente de dissimuler le bruit de mon souffle encore irrégulier.
— Merci, Gianni. Tu m’as littéralement sauvé la vie. Je ne sais pas comment te remercier…
— Mes honoraires sont proportionnels à mon ego. Mais on peut toujours trouver un arrangement…
Ses mots sont légers, mais son sourire devient plus tendre. Dans ses yeux, je perçois une gravité nouvelle. Comme si cet instant avait ouvert une porte vers quelque chose de plus profond, de plus authentique. Ma voix, plus douce, résonne avec cette même intensité.
— Du calme, Monsieur Melon… Je doute pouvoir te payer en nature.
Mon ton léger masque à peine l’émotion qui m’envahit. Gianni esquisse une moue faussement contrariée, un charme irrésistible illuminant son visage.
— Tu es dure en affaires…
— Non, j’annonce juste la couleur… Je ne triche pas.
Ma voix vacille légèrement, plus vulnérable que je ne l’aurais voulu. Il me fixe, plus longtemps cette fois. Le silence devient plus épais, alourdi par ce non-dit entre nous. Son regard a capté la vérité que j’ai laissée entrevoir. Là, tout proche, je sens son hésitation, sa lutte entre le jeu et cette réalité plus profonde qui émerge. Son bras, toujours autour de moi, se fait plus tendre, presque protecteur.
— Alors, quelle est la prochaine étape ?
Son murmure grave tranche avec la légèreté précédente. Je n’ai pas de réponse. Peut-être parce qu’il n’y en a pas. Nos regards se rencontrent à nouveau, cette fois sans détour. Le silence s’installe, lourd de tout ce que nous n’osons pas dire. Mon cœur bat à un rythme effréné, ses doigts sur mon bras sont mon seul point d’ancrage.
— Giulia…
Sa voix, douce et sérieuse, me touche profondément. Il est clair que quelque chose est sur le point de basculer, juste sous la surface. Une frontière que nous avons frôlée mille fois, mais jamais franchie. Maintenant, dans cet instant suspendu, tout semble prêt à se briser ou à s’unir.
— Peut-être qu’on devrait… commencer à être honnêtes, toi et moi.
Son souffle frôle ma peau, allumant en moi une étincelle que je ne peux plus éteindre. Le poids de ses mots me fait vaciller. Je me tends, comme si la sincérité venait de bouleverser mon univers. Ce n’est plus un jeu. C’est autre chose, quelque chose de réel, de puissant.
— Honnêtes ?
Je répète ses mots, ma voix étrangement étranglée, cherchant une échappatoire là où il n’y en a plus. Mes sentiments, mêlés de peur et de désir, se bousculent en moi. Nos regards se fixent, incapables de fuir. Il ne répond pas tout de suite, ses yeux glissant de mes lèvres à mes cils. Lorsqu’il sourit, ce n’est plus le sourire joueur que je connais, mais une promesse, une certitude qui m’électrise.
— Il est peut-être temps d’aller au fond des choses…
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