Faida – Chapitre 58

F
Table des matières

Le poids du sang

giulia

De retour chez moi, les souvenirs de la plage et de Gianni me hantent. Son absence crée un vide, un manque tenace. Ses yeux, son regard brûlant, ses paroles tournent dans ma tête. C’est troublant, mais je ne veux pas m’en échapper. Une chaleur douce m’envahit à l’idée d’un week-end avec lui, comme un rayon de soleil dans une journée grise. Je culpabilise presque de laisser cette chaleur s’éteindre en rentrant ici. On dit que revenir chez soi, c’est revoir les chaînes qu’on croyait brisées.

À peine la porte franchie, je sens que quelque chose cloche. L’air est lourd, et ma mère m’attend, les bras croisés, l’inquiétude marquée sur son visage. Ses cernes trahissent des nuits blanches, ses silences une nervosité palpable. Son regard me transperce, familier, accusateur. Une vague de culpabilité monte, mais je la refoule. Pas ce soir.

— Giulia, où étais-tu ? On était morts d’inquiétude après San Pietro. Tu aurais pu prévenir.

Sa voix tremble, chaque mot pèse lourd sur moi. La confrontation est inévitable, la tension monte, mais j’essaie de me contenir.

— J’avais besoin de temps… de réfléchir.

Les mots sortent difficilement. Je sais que ça ne suffira pas. Son regard cherche des réponses que je ne suis pas prête à lui donner.

Ezio surgit du salon, l’air renfrogné. Toujours dans son survêtement, avec son bracelet électronique à la cheville, rappel de ses récents ennuis. Une colère sourde bouillonne en lui. Son regard noir me fige.

— Réfléchir ? Avec le fils Rossi ? Tu sais ce que cette famille nous a fait ? Tu vas encore nous attirer des emmerdes, Giulia.

Sa voix est glaciale, tranchante. Les cicatrices du passé nourrissent son jugement. Il serre les poings, luttant contre sa rage. Chaque mot attise la mienne, mon cœur s’emballe, mes poings se serrent.

— Cette famille ? Celle qui m’a humiliée à la San Pietro ? T’étais même pas là pour me défendre, trop occupé à ta console…

— Qu’est-ce que j’y pouvais ! J’ai pas le droit de bouger avec ce foutu bracelet électronique !

— T’es le seul responsable de ton assignation à résidence.

— C’est ça que tu me reproches, Giulia ?

— Non. Mais quand Antonio, bourré, vient vomir ici après m’avoir traitée de traînée, ça t’affecte moins qu’un bug de ton jeu en ligne. C’est ça que je te reproche.

Ma colère éclate, incontrôlable. Ezio reste figé, touché malgré lui. Il secoue la tête, un rictus de mépris sur le visage.

— Ne te cache pas derrière l’oncle alcoolo. T’as pas besoin de ça pour justifier tes conneries avec Rossi.

Je le regarde, stupéfaite. Comment peut-il être si aveugle ? Il me juge, tout en s’enfermant dans ses jeux, ignorant la réalité.

— T’es qu’un crétin, Ezio. T’as plus de cervelle à force de rester scotché à ta console. C’est pitoyable.

Sa rage explose. Dans un accès de fureur, il balance sa manette contre la télévision. L’écran éclate dans un bruit sourd, suivi d’un silence glacial. Je reste figée, choquée.

Essoufflé, Ezio me fixe, les yeux emplis de haine.

— Les Rossi ont tout pris à notre famille, et toi, tu te tapes l’un des leurs ? Il finira par te détruire comme ils ont détruit papa. Réveille-toi !

— Ne parle pas de papa ! On n’est pas sûr que…

— Que quoi ? Que les Rossi n’y sont pour rien ? Ouvre les yeux !

— On n’a jamais trouvé de preuves ! T’as besoin d’un coupable pour nourrir ta haine.

— C’est toujours mieux que de coucher avec nos rivaux.

Je sens mes mains trembler. Il ne comprendra jamais.

— T’es trop con, Ezio. Je me casse.

Sans attendre de réponse, je m’échappe de l’appartement, la porte claquant derrière moi. L’air oppressant laisse place à une brise salée dès que je mets les pieds dehors. Sans but précis, je me laisse entraîner à travers les ruelles étroites du quartier des pêcheurs. Chaque pavé sous mes pieds me rappelle à quel point tout ici est chargé d’histoire, enraciné, comme les rancunes qui refusent de s’éteindre.

La lumière blafarde de la lune éclaire faiblement mon chemin, et les lanternes suspendues projettent des ombres vacillantes sur les murs blanchis. Le silence n’est brisé que par le murmure des vagues au loin. Positano me semble soudain étroit, suffocant, une cage dorée où les mêmes scènes se répètent encore et encore.

J’accélère le pas, fuyant mes pensées, mais les paroles d’Ezio résonnent encore en moi. Sa colère, ses accusations… Il ne comprendra jamais. Ce qu’il pense des Rossi, de Gianni… tout cela me semble absurde, mais la rage continue de me ronger.

Mon souffle se fait plus court. Je longe les barques des pêcheurs, leurs silhouettes sombres se découpant sous la lueur lunaire. Une vision floue des flammes ravageant l’embarcation de mon père surgit, ravivant une douleur mêlée de rage. J’essaie de la chasser, mais elle persiste.

Je ralentis près d’une fontaine. L’eau glacée glisse entre mes doigts, tentant d’éteindre le feu en moi. Peu à peu, la fraîcheur de la nuit m’apaise. Je ferme les yeux, inspire profondément, et relâche lentement l’air. La tension se dissipe. Après quelques minutes, je me sens prête à rentrer.

Sur le chemin du retour, je traverse à nouveau les ruelles familières jusqu’à l’appartement. À l’intérieur, vide et silencieux, une lourdeur différente m’accueille. Mais au moins, Ezio n’est plus là pour envenimer mes pensées. Derrière la porte de ma chambre, je trouve un refuge de tranquillité. Je m’effondre sur mon lit, le regard fixé sur le plafond.

Un léger bourdonnement me tire de mes pensées. Mon téléphone. Un sourire éclaire instantanément mon visage en découvrant le message de Gianni. En quelques mots, il parvient à dissiper la colère que j’avais ressentie face à Ezio, comme si elle n’avait jamais existé.

« Je n’arrête pas de penser à nous. Cette intensité… je n’ai jamais ressenti ça avant. C’est grave, docteur ? »

Un sourire amusé éclaire mes lèvres. Derrière son humour, je devine une intensité qui me ressemble. Un manque presque tangible. Mes doigts dansent rapidement sur l’écran pour lui répondre :

« Très grave. »

Un sourire espiègle étire mes lèvres. Ce lien entre nous, cette connexion qui grandit à chaque instant, c’est tout ce dont j’ai besoin.

« Quel est le traitement ? »

Je mords doucement ma lèvre, amusée par notre échange, touchée par sa sincérité. Gianni ne masque pas ses émotions, et cela me rapproche encore plus de lui, comme un aimant. Mon regard se pose sur le miroir et, plus sérieuse, je lui réponds :

« Je ne sais pas, je ressens la même chose. Ce manque… »

Je me lève, tendue par les émotions de la journée. J’enlève ma tenue comme on retire une armure, laissant tomber une partie de la lourdeur. Une douche m’apaiserait, mais mes pensées reviennent aussitôt à lui. À ses mains, ses caresses, à ce moment sous l’eau, ce matin-là. J’attrape une serviette et me dirige vers la salle de bain. Mais avant de me déshabiller, une idée me traverse l’esprit. Une nouvelle vibration. Notre conversation continue.

« Comment tu gères, toi ? Ce manque ? »

Je souris, prête à répondre, mais mon regard s’attarde sur le miroir. Mes doigts glissent sur le bord de mes sous-vêtements, que je laisse tomber doucement au sol. L’image est intime, pleine de sous-entendus. Je prends une photo, subtile mais suggestive. Mes dessous reposant à terre, mes pieds nus, une invitation silencieuse, un jeu de promesses.

Je lui envoie la photo.

Si l’absence exacerbe le désir, c’est l’instant volé qui l’enflamme. Un frisson parcourt ma peau à l’idée de Gianni découvrant le cliché, comprenant immédiatement ce que je ressens. Un parfum d’interdit flotte autour de moi alors que je tape ma réponse :

« Je me dis que tu es avec moi… par la pensée. »

 

Gianni

Je suis assis depuis un moment dans mon bureau, mais mon esprit est ailleurs. La photo de Giulia repasse en boucle dans ma tête. Ses sous-vêtements jetés au sol, et son message « Tu es avec moi, par la pensée » continuent de m’obséder. Chaque fois que cette image me revient, mon cœur s’emballe. Je me sens brûler de désir, le besoin de la revoir, de sentir sa présence tout contre moi, ne fait que grandir. Sa chaleur flotte encore dans l’air, tel un parfum enivrant qui refuse de s’effacer.

Pourtant, je dois me concentrer. Ce week-end à Atrani, ce n’est pas qu’une simple escapade pour récupérer le mât de La Speranza. Non, c’est bien plus que ça : une fuite, une parenthèse loin des regards pesants de Positano, un moment à nous, loin de tout. Je veux que ce soit parfait, que chaque détail soit pensé pour elle, pour nous.

Je passe un long moment à éplucher les sites, à la recherche de l’endroit idéal. Je ne veux pas d’un hôtel tape-à-l’œil. Je rêve de quelque chose d’intime, d’authentique, un lieu où nous pourrons respirer, loin de la foule. Un petit coin caché, perché sur une colline, avec une vue magnifique sur la mer, sans être trop excentré. Giulia doit pouvoir se détendre, sans que rien ni personne ne vienne perturber ce moment que je désire si fort.

Finalement, je trouve la perle rare. Un lieu discret, presque invisible, niché dans les hauteurs du village, à deux pas du centre d’Atrani. Je souris en entrant mes informations pour valider la réservation, satisfait de ma trouvaille. Mais soudain, un message d’erreur apparaît à l’écran. Un frisson de panique me parcourt. Je réessaie, plus méticuleux, mais rien, toujours le même message d’erreur.

— Qu’est-ce qui se passe avec cette carte ?

Nouvelle tentative. Rien. Toujours le même problème.

L’inquiétude monte en moi, rapidement suivie par la frustration. Je m’adosse à ma chaise, tentant de réfléchir, quand j’entends des pas lourds derrière moi. En ouvrant les yeux, je découvre mon père, planté dans l’encadrement de la porte. Sa silhouette fragile est contredite par l’intensité de son regard furieux, qui se pose immédiatement sur mon cou.

— Ta mère vient de me parler. Où est ton cornicello, Gianni ?

Sa voix glaciale traverse la pièce. Il connaît déjà la réponse, mais il attend que je l’énonce. Je me force à rester calme.

— Je l’ai donné à Giulia.

Ses traits se durcissent, et il s’appuie un peu plus sur sa canne, sa rage contenue ébranlant son corps frêle.

— À cette Esposito ? Tu as vraiment donné ce médaillon ? Chaque membre de la famille en a un. Comment as-tu pu être aussi… stupide ?

Je le fixe, déterminé à ne pas me laisser dominer. Je ne regrette rien. Giulia mérite ce symbole.

— C’est juste un objet. Qu’est-ce que ça peut changer ?

— Ce n’est pas qu’un objet ! Tu sais combien coûte ce cornicello, Gianni ? C’est du corail rouge de Méditerranée, 500€ le gramme ! Tu piétines tout ce que nous avons bâti pour… une fille ! Une fille de pêcheur !

La colère monte en moi. Pour lui, tout se résume à de l’argent, une question de rentabilité, sans jamais voir ce qui compte réellement.

— Tu voudrais que je suive tes traces, hein ? Que je sois le fils parfait, fidèle à tes valeurs matérielles ? Eh bien, je ne suis pas toi.

Il me regarde avec un mépris grandissant.

— C’est évident. Je ne pourrai jamais être fier de toi, pas une seule fois.

Mes poings se serrent, et je sens ma respiration s’accélérer. Cette phrase, encore. Toujours la même. Ce reproche constant. Je le fixe, décidé à ne pas plier cette fois.

— Je sais… Je ne serai jamais à la hauteur de ma sœur, hein ?

Son visage se ferme encore davantage devant mon amertume.

— Ce n’est même pas comparable. Tu laisses traîner toutes tes responsabilités. Même La Speranza, ce bateau que ton oncle Massimo surveille de près. Où en est-on avec ce navire ?

Massimo, toujours lui. Je réprime un soupir, essayant de contenir ma frustration.

— J’avance, figure-toi ! Je dois récupérer une pièce ce week-end à Atrani. C’était prévu, mais j’ai un problème avec ma carte…

Je tente de réessayer la réservation sur mon ordinateur, mais il me coupe avant même que je puisse continuer, toujours aussi glacial.

— Ce n’est pas un bug, Gianni. Tu ne récupéreras rien tant que tu continueras à te comporter comme un gamin. J’ai bloqué tes comptes.

Je le fixe, incrédule.

— Quoi ? Tu me coupes les vivres ?

— Oui. Tant que tu continues à gâcher ta vie avec cette fille, et à négliger les affaires familiales, je ne te donnerai plus un centime.

La rage monte en moi, incontrôlable. Tout ça, à cause de quoi ? Parce que je suis avec Giulia ?

— Tu n’as pas le droit ! C’est mon argent. Je peux en disposer comme je veux !

— Tant que je suis en vie, tu ne feras rien de cet argent, Gianni. Pendant que tu joues les amoureux avec cette fille, tu menaces tout ce que cette famille a construit.

Je me lève brusquement, ma colère explosant dans ma voix.

— C’est des conneries, et tu le sais ! La restauration de La Speranza avance ! Le marché de Naples, c’est un contretemps, rien de plus. Ce n’est pas une raison pour me mettre la corde au cou !

Mon père s’approche lentement, mais la fureur dans ses yeux est palpable.

— « Un contretemps » ? Tu te fous de moi, Gianni ? La clinique privée nous échappe, et tu oses parler de contretemps ? La restauration du navire traîne, et toi, tu te perds dans des escapades romantiques alors que nos affaires s’écroulent !

Son visage devient cramoisi, sa respiration se fait de plus en plus saccadée. L’orgueil semble le tenir droit, mais son corps trahit ses faiblesses. Ses doigts tremblants agrippent le bord de la table, et ses yeux, pleins de colère, me transpercent. Soudain, son corps se contracte, secoué par une violente quinte de toux, si brutale que je recule d’un pas. Le bruit rauque remplit l’air, et je le vois lutter pour respirer. Pris d’un vertige, ses jambes vacillent, son souffle est court, haché par les spasmes douloureux.

Je me précipite, l’inquiétude me submerge.

— Papa… attends !

Mais avant que je ne puisse l’aider, il repousse ma main, plus faiblement qu’il ne l’aurait voulu. Ses doigts tremblent, et ses yeux, encore enflammés de colère, se ferment un instant, comme s’il luttait pour reprendre le contrôle. Sa voix, faible et brisée, n’est plus qu’un souffle rauque.

— Laisse-moi… Je peux… je peux me débrouiller seul.

Je reste figé, le regard ancré sur lui, incapable de bouger. Son état me terrifie plus que je ne l’aurais pensé. Ce n’est pas la première fois que je le vois tousser ainsi, mais jamais avec autant de violence. Mon cœur s’emballe, la panique m’envahit. Pourtant, il se redresse, son orgueil le maintenant debout, me blessant entre deux halètements.

— Toi, tu devrais apprendre à en faire autant…

Je le regarde s’éloigner, sa silhouette fragile disparaissant dans le couloir, tandis que colère et inquiétude se heurtent en moi. Une fois seul, la rage explose en moi. D’un geste brutal, je renverse tout sur mon bureau avant de m’effondrer sur ma chaise, haletant. Coincé. Ruiné.

Mon regard tombe sur la carte du Palazzo Murat. Suite n°42. Massimo… Une porte que je pourrais ouvrir, mais à quel prix ?

Si cette histoire te plaît, partage-la avec ceux que tu aimes ! Ensemble, faisons voyager ce roman.

Chapitre suivant

5 1 vote
Évaluation de l'article

A propos de l'auteur

Matthieu Biasotto

Auteur indépendant toulousain, rêveur compulsif et accro au café. J'écris du thriller, du suspense avec une touche existentielle.

S’abonner
Notification pour

2 Commentaires
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Membre
Julie
7 jours il y a

Un père ne devrait jamais prononcer ces mots … c est terrible !!! Comment se construire avec tant de violence 😥

trackback

[…] Continuer la lecture >> 0 0 votes Évaluation de l'article […]

N'hésite pas à m'aider dès maintenant à construire le monde de demain : me soutenir ❤️

Articles récents

Commentaires récents

2
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x
0
    0
    Ton Panier
    Ton panier est videRetour boutique