La Peur de se Perdre
gianni
Sa présence sur le seuil de la porte m’écrase, un poids auquel je ne m’étais pas préparé. Je fais signe à Isabella d’entrer, regrettant déjà ce geste. Son parfum, subtil mais envahissant, fait resurgir des souvenirs que je croyais enterrés. Mais ce n’est pas le moment de céder à ces émotions. Une tempête se prépare, et je sens que cette nuit pourrait tout changer.
Je referme derrière elle, le bois grince doucement, résonnant dans la propriété vide comme un coup de tonnerre. Ce silence, autrefois rassurant, semble désormais empreint de trahison. Chaque coin de cette pièce a été témoin de moments partagés avec Isabella, des moments qui, aujourd’hui, ne sont plus que des ombres déformées par les mensonges et les manipulations. Le poids des documents découverts plus tôt me pèse encore plus, comme si chaque papier contenait une partie de la chaîne qui m’emprisonne.
Isabella, cette figure du passé qui refuse de rester enterrée, incarne tout ce que je tente de fuir. Chaque mouvement qu’elle fait m’agace profondément, traversant le salon avec cette assurance qui semble lui donner l’impression d’avoir toujours eu le droit de prendre possession de cet espace.
— On s’installe où ? Dans la véranda, comme avant ?
Elle parle avec une fausse nonchalance, et je sens l’agacement monter d’un cran.
— On ne s’installe pas. Je croyais que c’était urgent.
— Comme tu voudras.
Elle s’installe malgré tout sur le canapé, croisant élégamment les jambes. Son manteau glisse négligemment sur l’accoudoir. L’arrogance de son attitude m’irrite, mais je me retiens. Il faut que je reste calme, que je maîtrise mes émotions. Isabella joue son jeu, et je le connais trop bien pour y céder aussi facilement.
Son regard parcourt mon costume, comme si elle jaugeait ma capacité à encaisser ce qu’elle s’apprête à me révéler. Ses yeux s’arrêtent sur l’égratignure à ma lèvre, vestige de ma dernière confrontation, et elle esquisse un sourire, provoquant volontairement.
— Gianni, toujours aussi impeccable. Mais cette égratignure… ça te donne un air plus… brut. C’est bien. Ça montre que tu es peut-être plus fort que tu ne le penses.
Elle appuie sur le mot fort, comme si c’était une mise en garde déguisée en compliment. Je sens la manipulation derrière ses paroles, mais je garde le silence. Elle continue, se rapprochant légèrement, sa voix devenant plus douce, presque un murmure.
— C’est exactement ce dont tu as besoin pour la suite. Devenir quelqu’un capable de résister quand les coups pleuvent.
Son sourire s’élargit, testant mes limites. Je ne réagis pas. Elle finit par changer de ton, revenant à une attitude plus formelle.
— Parlons affaires, ça te changera les idées.
Je la fixe, refusant de me laisser entraîner dans son jeu.
— De quoi s’agit-il ?
Elle se penche légèrement en avant, son parfum s’intensifiant dans l’air entre nous, son sourire devenant presque prédateur.
— La Calabre, Gianni. Un endroit compliqué, mais prometteur. Massimo pense que c’est une opportunité pour toi.
Elle laisse un silence s’installer, cherchant une réaction. Mais je reste immobile, froid.
— Avec le bon projet, tu pourrais vraiment prouver ta valeur, montrer que tu es prêt à t’affranchir de certaines… faiblesses.
— Faiblesses ?
Ma mâchoire se serre, je la fixe sans broncher.
— Depuis quand t’intéresses-tu à ma carrière ? Massimo t’a bien briefée, non ?
Elle apprécie visiblement la confrontation, son sourire ne faiblit pas.
— Massimo sait reconnaître le potentiel. Moi aussi. Tu as tout pour réussir, Gianni, mais il te manque cette… audace. Ce projet peut te l’apporter.
Ses mots sont choisis pour toucher, pour réveiller le doute et la colère en moi. Elle sait exactement où frapper.
— Et moi, je suis censé y gagner quoi ?
Son sourire s’agrandit, mais ses yeux restent froids.
— Une opportunité de prouver ta valeur. Ce projet en Calabre, c’est ta chance. Massimo te laisse une porte ouverte. À toi de voir si tu veux la franchir.
Je serre les poings, sentant la rage monter. Elle me teste, cherchant à me faire craquer. Mais je ne peux pas lui offrir cette satisfaction.
— Et toi, Isabella, tu te situes où dans tout ça ?
Son sourire devient encore plus narquois, ses mots mesurés, calculés.
— Mon rôle est d’aider ceux qui savent saisir leur chance. Massimo te fait une offre. Il croit en toi. Ne sois pas assez stupide pour la refuser.
Je sens la provocation dans ses paroles, mais je me retiens. Je pense aux conseils d’Elena Verdi : accumuler des preuves, rester sur mes gardes. Mais jusqu’à quand ? Je dois jouer ce jeu sans perdre de vue mon but. Le visage de Giulia traverse mon esprit, elle est la seule chose qui me rattache encore à la vérité.
Isabella décroise ses jambes avec la même grâce calculée, sort un paquet d’enveloppes de son sac et les laisse tomber sur le canapé. Les billets d’avion. Chaque enveloppe semble représenter une part de moi que je suis sur le point de sacrifier.
— Massimo va être ravi. Je suis sûre que tu sauras être l’homme de la situation.
Je prends les enveloppes, sentant Giulia s’éloigner à chaque geste. Ma respiration est tendue, tout en moi se contracte à l’idée que cette décision pourrait sceller mon avenir.
Isabella se dirige vers la porte, se mouvant avec une légèreté qui me répugne. Juste avant de sortir, elle se retourne, son sourire toujours accroché à ses lèvres.
— Alors, on se voit en Calabre.
Giulia
Les jours s’étirent interminablement, testant ma patience, m’éprouvant dans cette attente insupportable. Chaque minute s’allonge, me laissant seule face à mes pensées, prisonnière de souvenirs qui refusent de s’effacer. Gianni occupe toutes mes réflexions. Je revois son visage, son regard perçant, ces moments de douceur où il me tenait la main, emplis de promesses. Aujourd’hui, ces souvenirs me hantent, spectres d’un passé lointain, presque irréel.
L’attente est une torture douce-amère. Revoir Gianni… Rien que l’idée fait naître en moi un tourbillon d’émotions. Une part de moi brûle d’espoir, tandis que l’autre est terrorisée à l’idée que tout s’effondre. Notre relation ne tient plus qu’à un fil, fragile, prêt à se rompre. Cette rencontre pourrait sceller notre destin. Chaque pensée m’approche de ce moment décisif, et la peur me paralyse.
Mon cœur se serre à chaque pensée de lui. Ce même cœur, qui battait si fort à chaque seconde avec lui, est maintenant emprisonné dans une cage d’incertitude. Nos moments partagés, autrefois si intenses, ne sont plus que des éclats de lumière dans l’obscurité grandissante. L’incertitude m’écrase, un poids qui m’étouffe parfois.
Les paroles d’Ezio résonnent en moi, protectrices comme toujours. « Si être avec Gianni te fait souffrir, peut-être que tu devrais t’éloigner. Tu mérites quelqu’un qui te soutienne sans te faire de mal. »
Il a raison, je le sais. Mais comment lui expliquer que tout est plus complexe ? Oui, être avec Gianni me fait souffrir, mais il y a aussi tant de douceur, tant d’espoir. Comment faire comprendre à Ezio que cette relation n’est pas simplement noire ou blanche, que derrière la douleur se cache peut-être quelque chose de précieux ?
Je suis à bout. Je ne peux plus rester dans cette situation où chaque pas en avant est suivi de deux en arrière. Je dois savoir où nous en sommes, où nous allons. Cette rencontre devra tout mettre à plat. L’avenir de notre relation repose sur cet instant.
Je prends une profonde inspiration, mes doigts tremblent tandis que je rédige un message pour Gianni. Le toucher de mes doigts sur l’écran me rappelle le sien sur ma peau, ce contact qui m’a tant manqué. Chaque mot porte le poids de mes doutes, de mes espoirs, de mes peurs.
« Demain, je suis libre. Toujours d’accord pour faire le point ? Retrouvons-nous au café près du port à 15h. J’espère que tu y vois un peu plus clair. »
Je relis le message, puis appuie sur « envoyer ». L’attente reprend, infernale, chaque seconde me rapprochant de cet instant que je redoute autant que j’espère. Le tic-tac de l’horloge devient une mélodie angoissante, chaque battement marquant une avancée vers l’inconnu. Quand sa réponse arrive enfin, mon cœur rate un battement.
« Plutôt à 14h, car je dois prendre un avion après… »
Un avion ? Il part ? Ces mots me frappent. Où va-t-il ? Et pourquoi maintenant, alors que tout reste si incertain entre nous ? La panique monte. Mes doigts tapent frénétiquement sur l’écran, prête à lui poser mille questions, mais je m’arrête. Chaque mot semble dérisoire face à ce que je ressens. Je finis par tout effacer, incapable de formuler le tourbillon d’émotions qui m’envahit.
Je réponds simplement : « D’accord, à demain. »
Et presque aussitôt, sa réponse tombe : « À demain. »
Si distant, si neutre. Ce « À demain » résonne comme une énigme. Ce n’est pas un rendez-vous ordinaire, je le sais. Ce moment déterminera notre avenir. Avons-nous encore une chance de nous sauver ?
Je repense aux mots de mon frère. Peut-être que cette rencontre scellera la fin de notre histoire. Peut-être est-il temps que je m’éloigne de Gianni, que je pense à moi. Mais la peur de le perdre me ronge, plus forte que tout.
La nuit est interminable. Chaque minute s’étire, mes pensées tournent en boucle. Gianni est omniprésent dans mon esprit. Son sourire, ses gestes pleins de tendresse, mais aussi cette distance grandissante entre nous. Un fossé invisible, mais cruellement réel, qui pourrait bien nous séparer pour de bon.
Demain, tout pourrait changer. Et l’idée de ne plus jamais revoir Gianni, de devoir tourner la page, m’effraie plus que je ne veux l’admettre.
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