Faida – Chapitre 84

F
Table des matières

Sous la Pluie des Secrets

giulia

Je marche, chaque pas plus lourd, avalé par une obscurité qui s’épaissit autour de moi. Mon cœur est en lambeaux, déchiré par une douleur qui pulse à chaque battement. L’odeur de la mer, autrefois apaisante, est désormais tranchante, presque cruelle, comme un murmure sinistre au bord du gouffre ou comme si les vagues se liguaient pour me dévorer. Cette mer qui était un refuge, un havre… elle me rejette maintenant, prête à m’engloutir sans pitié.

Les souvenirs de Gianni s’abattent sur moi, à la fois doux et acérés. Ses sourires, ses caresses, cette sensation de sécurité qu’il m’apportait… Comment l’homme qui me sauvait de chaque tempête peut-il être la cause de ma trahison ? Tout s’est effondré sans prévenir. Gianni, cet homme auquel j’avais donné chaque fragment de moi, m’abandonne au silence. Ce vide grandit, implacable et je suis en train de me noyer.

Pourtant, au fond de moi, une lueur vacille. Peut-être n’est-ce qu’un malentendu, une épreuve à traverser. Après tout, chaque tempête finit par s’apaiser… n’est-ce pas ? Mais même cette pensée s’effrite, rongée par le doute qui serpente, vicieux.

La maison apparaît enfin, la porte s’ouvre brusquement. Ezio est là, figé dans la lumière blafarde du couloir, le visage taillé par des ombres dures. Il tient une mallette. Celle de Gianni. Je le revois encore à nos débuts, en sortir sa tablette pour me provoquer avec ses tableaux Excel. Mon cœur s’arrête. Pourquoi ? Pourquoi Ezio a-t-il cette mallette ?

Je reste figée, le cerveau englué dans une tentative désespérée de comprendre.

— Ezio… c’est la mallette de Gianni. Comment est-elle ici ?

Avec sa mine des mauvais jours, il secoue la tête, un rire amer s’échappe, sans joie.

— Mauvaise question, Giulia. Très mauvaise question.

Une boule naît dans mon estomac, serrant tout sur son passage.

— Qu’est-ce que tu veux dire ? Explique-moi.

Ses mâchoires se crispent. Puis, tout éclate.

— Ça veut dire que ton cher Gianni est dans une sale histoire. Et crois-moi, ce n’est pas la première fois.

Il balance la mallette sur la table. Les papiers volent, s’éparpillent, comme des éclats de vérité qui me transpercent. Je suffoque. Non, Gianni ne peut pas être mêlé à ça.

— De quoi tu parles ?

Ezio me fixe, ses yeux perçant mes illusions.

— Gianni Rossi bosse pour la mafia. Son oncle, Massimo Rossi, le tire par les ficelles depuis toujours. Il t’a gardée en dehors jusque-là, mais c’est fini.

Massimo. Ce nom pèse comme un coup de poing. Non… c’est impossible.

— Gianni m’a dit qu’il détestait sa famille. Il voulait s’en éloigner, il…

Ezio rit, un son glacé.

— Bien sûr qu’il t’a dit ça. Tu pensais qu’il allait te confesser son implication dans les affaires louches de son oncle ?

Il me toise.

— Tout ce qu’il fait, c’est pour les Rossi. Ils contrôlent tout. Le port, les autorités, La Speranza… et toi, tu étais un pion, rien de plus.

Ses mots frappent, me mettent à terre, mais je lutte, refuse d’y croire.

— Non, Gianni n’est pas…

— Ouvre les yeux ! Putain Giulia, regarde la vérité en face ! Ton mec bosse pour Le Parrain en chair et en os !

Ezio frappe la table, les papiers tremblent, moi aussi.

— Lis ces documents ! Regarde ça, Giulia !

Il m’en jette un. Le projet de rachat de La Speranza. La répartition des parts, les financements, les commissions. Tout est là, noir sur blanc. Massimo tire les ficelles, et Gianni danse.

Je fixe la signature. Gianni. Sa signature. Mon souffle se coupe, la panique m’envahit, je vacille.

— Tu comprends maintenant ?

La voix d’Ezio est tranchante.

— Gianni t’a menti. Il t’a manipulée. Cet enfoiré nous a tous trahis.

Je tremble, les larmes brouillent ma vue, les preuves s’échappent de mes mains comme les morceaux de ma vie qui s’effondrent.

— Non… il doit y avoir une raison. Gianni n’aurait jamais…

Ezio s’approche, son regard plus sombre encore.

— Il l’a fait. La seule question qui reste : est-ce que tu vas continuer à t’aveugler, ou est-ce que tu vas te battre pour ce qui compte vraiment ?

Sans attendre, il attrape son blouson et disparaît, la porte claquant derrière lui. Le silence me submerge. Mes jambes cèdent, je m’effondre sur une chaise, suffoquée par la douleur.

Je saisis mon téléphone, les mains tremblantes, et compose le numéro de Gianni. Les sonneries s’enchaînent, vides, alimentant mon angoisse. Pourquoi ne répond-il pas ?

Je me lève, emportée par une vague de douleur qui me dévore. Je dois le voir. Je dois entendre la vérité de sa bouche. Je prends mon casque. Quitte l’appartement. Je monte sur mon scooter, les larmes voilent ma vision, les lumières de la ville défilent, floues. Je roule, poussée par un besoin insatiable de comprendre.

 

Gianni

La portière de l’Alfa Romeo claque, un bruit sec qui se répercute contre les rochers, brisant le silence pesant de la plage déserte. L’écho traîne, s’étirant comme une note funèbre qui marque la fin d’un chapitre. Les éclats de la vitre brisée jonchent le sol, éparpillés comme les morceaux de ma vie. Je suis disloqué, sans rien pour me raccrocher, tiré de toutes parts, et l’équilibre m’échappe.

L’odeur salée de la mer s’insinue dans mes narines, me rappelant sans cesse l’abîme qui se profile. Le vent marin me frappe au visage, tranchant, indifférent à ma douleur. Cette mer est témoin, silencieuse, de ma chute. Revenir vers Giulia maintenant, dans cet état, c’est risquer de tout ravager.

Je m’avance sur le sable, chaque pas plus lourd, m’éloignant un peu plus d’elle. Les vagues vont et viennent, imperturbables, comme si ma peine n’était rien face à leur danse sans fin. Giulia… L’amour que j’ai pour elle me dévore, mais comment lui avouer ce que je porte en moi ? Que tout ce que j’ai tenté de protéger s’effondre, emporté par des mensonges, des secrets qui m’étouffent ? Cette mafia, cet héritage… une prison dont je ne peux m’échapper.

Mon téléphone vibre. Giulia. Son nom s’affiche, et c’est comme une lame dans la poitrine. Je reste figé. Que pourrais-je lui dire ? Que tout m’échappe, que je suis pris dans une toile de mensonges ? Je la laisse appeler, sachant que ce silence ne fera qu’aggraver sa douleur. Mais je n’ai pas la force. Pas maintenant.

Le téléphone s’éteint. Une autre notification s’affiche : Massimo. Mon oncle, omniprésent, encore. Des instructions tombent par SMS. Je peux presque sentir ses gants en cuir autour de mon cou. Une villa en Calabre, des opérations à venir. « Gianni, voici ta villa sur les hauteurs de Gioia Tauro, c’est l’ancienne demeure du préfet, un vieil ami qui nous facilitera les opérations sur place. Dis-moi quand tu es prêt à œuvrer pour notre filiale d’O.D.M. » Chaque mot resserre la cage dorée où je suis enfermé. Fuir. L’idée germe en moi, mais fuir, c’est capituler, et je n’en suis pas encore là.

Un bruit déchire la nuit : un scooter. Je me retourne. Ce son, je le connais. Giulia.

Elle arrive, le visage tordu par une colère que je ne lui ai jamais vue. Elle descend du scooter, furieuse, une mallette à la main. La mallette. Celle volée à l’arrachée. Je fais un pas vers elle, mais Giulia me devance, ses yeux flambent de rage. Sa respiration est saccadée, ses mains tremblent.

— J’ai vu ta voiture garée en front de mer. J’allais chez toi pour qu’on mette tout à plat. On a des choses à se dire, Gianni.

Ma gorge se noue. Surtout quand mes yeux se posent sur ce qu’elle tient.

— Giulia… où t’as eu ça ?

Elle lève la mallette, la secoue sous mon nez, ses yeux brûlants.

— Mauvaise question, Gianni, très mauvaise question, comme dirait Ezio. Tu te fous de moi depuis le début ?

Chaque mot est une gifle. Je suis à nu, incapable de me défendre. Elle brandit la mallette, ses yeux rivés aux miens, cherchant cette vérité que j’ai tenté de lui cacher.

— Tout était planifié, hein ? Tu voulais juste te faire de l’argent sur le dos de La Speranza, pour ta famille ?

La colère monte, brutale. Elle a raison. Une partie de moi explose, mais je retiens la violence, les poings serrés.

— Planifié ? Je n’ai rien demandé ! C’est ton grand-père qui m’a mêlé à tout ça, la rénovation, l’héritage !

Erreur. Son visage se fige, et dans ses yeux, une douleur familière.

— Ne parle pas de mon grand-père !

Elle hurle, sa voix se brisant.

— Ne salis pas sa mémoire avec ta lâcheté !

Je ferme les yeux, tentant de calmer la tempête. Mes mains se crispent et se desserrent, cherchant une prise sur une réalité qui s’effrite à chaque mot.

— Je pensais que c’était ce que tu voulais, Giulia. Préserver ce qui comptait pour lui… pour toi.

Elle secoue la tête avec rage, ses yeux plissés sous la douleur.

— Ce que je voulais, c’était que tu sois honnête. Que tu me parles, que tu me fasses confiance. Tu crois que je ne vois pas ce que ta famille fait ?

Elle s’approche, tendue, prête à exploser. Je cherche les mots, mais rien ne semble capable d’apaiser sa peine. Surtout pas mes arguments.

— Je faisais ça pour nous, pour te protéger ! Ton grand-père m’a fait confiance…

Son visage se ferme, des larmes naissent au coin de ses yeux.

— Mon grand-père est mort, Gianni. Ce qu’il reste, c’est toi et moi. Et tu détruis tout. Laisse-le en dehors de ça.

Ses paroles m’éviscèrent. Je veux tendre la main vers elle, mais mes doigts restent immobiles, figés par la culpabilité et la douleur que je lis dans son regard.

— Je voulais te préserver de cette vie sordide, de cette réalité…

Elle me coupe, sa voix basse, tremblante.

— La meilleure chose aurait été de me dire la vérité. Maintenant, je vois que tout ça, ce n’était qu’un mensonge.

Je fais un pas vers elle, je voudrais préserver ce qui peut encore être épargné, mais elle recule, brisée.

— Giulia, ce n’est pas ce que tu crois… Je ne t’ai jamais trahie. J’ai fait ça par amour.

Les larmes coulent, et chaque larme est un éclat de tout ce qu’on a été. Elle secoue la tête. Elle me condamne. Et je prends perpétuité.

— Ce n’est pas ça, l’amour. L’amour, c’est la confiance. Et sans confiance, il ne reste plus rien.

Je reste là, figé, les bras ballants. Incapable de lui expliquer qu’elle n’a pas toutes les cartes en mains, que tout te dire la mettrait en danger. Au contraire, le silence est écrasant. Je la perds, et je ne sais plus comment la retenir.

 

Giulia

Le vent marin souffle doucement, et mes cheveux dansent comme un triste murmure, porteurs de souvenirs lointains. Je fixe l’horizon, cette ligne floue qui promettait tant autrefois. Aujourd’hui, elle disparaît sous le poids de sinistres révélations. Chaque rafale emporte un peu plus de la chaleur en moi, comme si la mer cherchait à effacer les traces d’un amour brisé. Parce qu’on ne peut pas dire que les réponses de Gianni soient capables de me rassurer.

Je serre la mallette contre ma poitrine. Elle est lourde, pleine de secrets qui ont rongé ce qu’on avait. Le sable sous mes pieds est froid, tout comme l’homme qui se tient à quelques mètres, celui qui, autrefois, avait tout fait pour me sauver.

— Comment t’as pu laisser ton clan me détruire sans rien dire ?

Ma voix tremble, mais je m’accroche à cette force fragile. Chaque mot frappe, écorche les restes de ce qu’on était.

Gianni est là, épuisé, le visage fermé, abîmé. Mais soudain, quelque chose change dans ses yeux. Il détourne le regard un instant, puis, se tournant à nouveau vers moi, il se rebiffe, les mots chargés de colère.

— Et toi, comment tu peux imaginer que je n’ai rien tenté ? Je ne peux pas croire que tu penses que je serais capable de te trahir comme ça.

— Je… Ce sont les faits…

— Tu en veux des faits ? Envoyer des hommes me passer à tabac et voler ma mallette, voilà qui est factuel.

— Quoi ?

— C’est ça votre façon de rompre chez les Esposito ? C’est une tradition de pêcheurs ?

Ses mots sont acérés, et je vacille, choquée par l’intensité de sa réaction. Sa douleur est évidente, et elle me frappe de plein fouet. Je reste silencieuse, le souffle coupé, puis les mots s’échappent de mes lèvres, presque inaudibles.

— Gianni… je… c’est Ezio qui m’a donné cette mallette.

Gianni me fixe, ses yeux remplis d’amertume, une ironie blessante au coin de ses lèvres.

— Ton frère, oui. Avec quelques amis, ils m’ont laissé un joli souvenir. Ça, c’est votre façon de faire les choses ?

Sa voix est pleine de reproches, et je sens mon cœur se serrer. Perdue entre la douleur de ses accusations et la trahison que je ressens moi-même. J’ignore pourquoi, mais un sursaut d’orgueil m’empêche de lui donner raison.

— Ça ne change rien au contenu de cette mallette. Ni au sort de La Speranza. Ni à ce que tu m’as fait. Et encore moins à ce que tu me caches.

Gianni murmure avec lassitude que tout ça n’a plus d’importance au bout du compte, cette vérité me désole. Je détourne le regard, cherchant des réponses là où il n’y en a pas. Puis je le fixe enfin, mais mes yeux ne font que confirmer ce qu’il sait déjà.

— Te rends-tu compte qu’à quelques mètres d’ici, là où tu m’as sauvée, on n’est plus rien l’un pour l’autre ? On dirait des étrangers maintenant.

Les mots tombent, froids et amers, non loin de la vieille cabane. Ce lieu, symbole de notre histoire, est à présent celui de notre séparation. Gianni hésite, fait un pas vers moi, puis recule. On dirait qu’il est tiraillé entre l’homme qu’il veut être et celui qu’il est.

— Ce n’est pas ce que tu crois. Je n’ai jamais voulu te blesser, mais il y a des choses qui me dépassent…

Il avance un peu, puis s’arrête, ses épaules s’affaissent. On dirait qu’il a compris qu’il n’y a plus de marche arrière possible. La colère éclate en moi. Mes poings se serrent, une chaleur furieuse monte.

— Tu m’as déjà servi ce couplet. Abandonner La Speranza, c’est ça ta manière de respecter ce qu’on avait ? Tu penses vraiment que je suis trop faible pour comprendre ?

Chaque mot est une attaque. La mallette dans mes bras devient un poids insupportable, le symbole de tout ce qu’il m’a caché. Le fait qu’il ait choisi de m’écarter de sa vie me déchire.

Gianni ferme les yeux, les mâchoires serrées. Quand il les rouvre, ses yeux sont pleins de tristesse.

— C’était pour te protéger de tout ça… de ma famille… de ce que je suis.

— Me protéger ? De quoi, la vérité ? Ou c’est de toi que tu veux me protéger ?

Le vent devient plus froid, aussi cinglant que mes mots. Gianni reste silencieux, pris dans ses propres démons. Il baisse la tête, incapable de me donner ce que je mérite.

— Giulia… J’ai tenté de faire de mon mieux. Je ne pouvais pas simplement abandonner mes proches et encore moins les laisser agir sans rien tenter. Mon oncle… ses gars… Ils t’auraient fait payer, peu importe ce que j’aurais voulu.

Sa voix est pleine de regrets. Ça me frappe encore plus fort. Mon cœur bat trop vite, ma respiration s’accélère. Je m’approche, le défi dans le regard.

— Peut-être. Mais c’était pas à toi de décider pour moi. T’as agi comme si j’étais incapable de comprendre, comme si j’avais pas mon mot à dire. Comme si tu pouvais me contrôler.

Ma voix se fait plus douce, malgré la colère. Une distance se creuse entre nous, chaque mot la rend plus grande.

— Ce n’était pas du contrôle… J’ai juste essayé de…

Il s’arrête. On dirait qu’il sait que tout est déjà perdu. Ses mains tremblent, son regard s’échappe vers le sol.

— T’as essayé quoi ? De m’épargner ? Ou t’avais juste peur de ma réaction si je venais à tout savoir ?

Ces mots le touchent. Une larme roule sur sa joue. Il relève les yeux vers moi, comme quelqu’un qui n’a plus rien à perdre.

— Peut-être que j’avais peur, oui. Peur que tu ne me regardes plus jamais de la même façon.

Il soupire, ses épaules tombent sous le poids de ce qu’il porte.

— Mais si je t’avais tout dit, tu penses que tu aurais fait quoi ?

Un silence tombe entre nous. La tristesse m’envahit, entre la colère et la peine.

— On le saura jamais, Gianni. Parce que t’as décidé pour nous deux. Comment tu peux dire que tu m’aimes si t’as jamais eu confiance en moi ?

Je secoue la tête, désespérée. Cette pensée me bouffe de l’intérieur. Gianni, lui, semble épuisé, trop brisé pour essayer de sauver ce qui n’est plus.

— C’est pas une question de confiance, Giulia. C’était une question de survie. De te protéger de ce monde.

Une larme s’échappe malgré moi. Ma voix tremble, puis se casse.

— En me mentant ? Et tu crois que je veux vivre dans un mensonge ?

Je recule, comme pour échapper à ce poids qui m’écrase. Gianni fait un pas en avant, tend la main, mais je l’évite. Le silence qui suit est insupportable. Tout est fini. Gianni prend une décision, son visage se ferme.

— Peut-être que je devrais partir. Parce que rester ici, c’est accepter un monde où je n’ai plus ma place. Ce sera plus simple pour tout le monde.

Je baisse la tête, incapable de le regarder. Un murmure finit par s’échapper de mes lèvres :

— Si c’est ce que tu veux…

Le silence entre nous est immense, lourd. La pluie commence à tomber, froide, chaque goutte s’écrase sur moi, m’enfonçant un peu plus. On reste là, face à ce qu’on a perdu. La Méditerranée s’étend devant nous, vaste, indifférente, comme si elle se fichait de ce qui nous arrive.

Mes mains tremblent en serrant la mallette contre moi. Elle était, un jour, un symbole de tout ce qu’on espérait. Maintenant, elle est le reflet cruel de notre séparation. Les larmes se mélangent à la pluie, la douleur se fond dans l’orage. Impossible de distinguer l’un de l’autre.

Je veux le retenir, lui dire de rester, mais mes mots se noient dans la tristesse.

— Je tiens encore à toi, Gianni. Mais regarde-nous… On est devenus toxiques. Cette guerre entre nos familles… elle nous bouffe.

Ma voix se brise sous le poids de cette vérité. Chaque mot est un adieu. J’aimerais qu’il trouve la force de se battre pour nous, mais dans ses yeux, je ne vois que de la résignation. Acceptant son sort, Gianni baisse les yeux, ses épaules s’affaissent, comme s’il portait tout le poids de notre histoire.

— Je sais, Giulia… Cette faida a tout pourri. Chaque moment ensemble est devenu un combat. On doit s’arrêter avant de tout perdre.

Ses mots sont comme un couperet. La pluie continue de tomber, froide, scellant notre destin. Notre histoire touche à sa fin. Je secoue la tête, refusant d’accepter.

— Je pensais que ce qu’il y avait entre nous… ça devait être notre force, non ? Je croyais qu’on devait se battre, pas laisser cette guerre nous voler ce qu’on a.

Ma voix est désespérée, une dernière tentative pour sauver ce qu’il reste. Mais dans les yeux de Gianni, je ne vois qu’un adieu déjà prononcé. Il détourne le regard, fixant l’horizon sombre.

— On ne peut pas fuir qui on est, Giulia. Nos familles sont des chaînes qu’on traîne malgré nous. Ce qu’on avait… c’était censé nous protéger, mais c’est devenu un piège.

Chaque mot me plonge un peu plus dans le vide. Je le regarde, mais je ne reconnais plus l’homme qui s’est battu pour moi. Il est brisé, étouffé par notre histoire.

— J’aurais voulu que ce soit différent, Giulia. Mais cette faida, elle coule dans nos veines. On ne peut pas l’effacer. Ta famille me haïra toujours. Et la mienne ne changera jamais.

Ses mots sont des coups. Tout ce qu’on a construit s’effondre.

— Moi aussi, Gianni, j’aurais voulu que ce soit différent. On est pris dans un engrenage qui détruit tout. Comment espérer être libres ?

Ma voix est tremblante, les larmes que je ne peux plus retenir coulent. C’est la seule vérité : cette haine entre les Esposito et les Rossi nous a volé notre liberté, notre amour. La pluie tombe sans fin, battant le sol et nos épaules. Je cherche encore une raison de ne pas partir, mais je ne vois plus que cet homme brisé. Le silence entre nous est plus assourdissant que l’averse autour. Gianni finit par relever la tête, mais ce n’est plus le même homme.

— Peut-être que c’est mieux comme ça. Peut-être qu’on doit se libérer de cette prison, même si ça fait mal.

Je détourne le regard, incapable de faire face à cette réalité. La mer s’étend, vaste et indifférente, comme notre avenir. L’idée de vivre avec ces chaînes me semble impossible, mais le perdre me détruit.

— Peut-être…

Les mots non-dits s’étendent entre nous, un fossé qu’on ne peut plus combler. J’ouvre les mains, et la mallette tombe dans le sable avec un bruit sourd. Elle symbolise tout ce qu’on laisse derrière nous. Les vagues couvrent le silence, et je sais que c’est la fin.

 

Gianni

Un soupir m’échappe, lourd, comme si tout ce que je retenais s’effondrait en même temps que cette fichue mallette, à mes pieds. Je la regarde, Giulia, et chaque seconde qui passe fissure un peu plus mon cœur. Elle est là, devant moi, la femme que j’aime plus que tout, mais celle que je suis en train de perdre. Dans la lueur dorée de ses yeux, je ne distingue qu’un sombre épilogue. C’est comme un coup de poignard que je me porte moi-même, insoutenable, mais inévitable.

— Peut-être qu’on ne peut pas sortir de cet engrenage…

Je déglutis, du verre pilé dans la gorge et des épines plein le cœur. C’est la douleur qui me pousse à continuer.

— Peut-être que la seule façon de nous sauver, c’est de sacrifier notre histoire. De laisser mourir cet amour pour qu’on puisse sauver ce qu’il reste de nous.

Chaque mot me brise. C’est comme si je martelais notre tombe à chaque syllabe. Dans ses yeux, je vois la même douleur, le même effondrement silencieux. Ce qu’on avait, ce qu’on était, ce qu’on rêvait de devenir est en train de s’effriter sous le poids de cette guerre.

— C’est vraiment ce que tu penses ?

Sa voix est brisée, à l’image de mon cœur. Je baisse les yeux, incapable de supporter plus longtemps son regard noisette. Mon cœur se serre encore, brûle de l’intérieur. Notre relation, autrefois lumineuse, est maintenant broyée par une rivalité ancestrale qui ne nous a jamais laissés respirer. Je glisse mes mains dans mes poches pour masquer le tremblement, mais rien ne peut cacher la fragilité de ce moment.

Je fais un pas en arrière, prêt à partir. C’est simple, un mouvement insignifiant. Pourtant, c’est la plus grande trahison que j’aie jamais commise. Je tourne le dos à l’amour que je voulais protéger. Chaque pas est un défi, une torture, mais je continue, même si tout en moi hurle de rester. Giulia me regarde, silencieuse, et même si ses yeux me supplient de ne pas partir, je sais qu’il n’y a plus rien à sauver.

La pluie commence à tomber, doucement d’abord, puis plus fort, comme si le ciel lui-même pleurait avec nous. Elle mouille nos vêtements, se fond dans mes cheveux, dans ma peau, et son regard qui espère et souffre, plein de regrets, est gravé en moi. Je le garde, ce regard, comme une relique de ce qu’on était. Mon cœur se serre davantage.

Je prends une inspiration, cherchant des mots qui pourraient apaiser, mais je sais qu’ils n’existent pas. Alors je me tourne vers elle, la voix chargée de tristesse, mais déterminée.

— Je vais partir pour la Calabre. Peut-être que c’est ce qu’il y a de mieux… pour toi. Pour que tu puisses respirer, pour que tu sois libre de cette pression qui nous étouffe. Je ne veux pas être celui qui t’enchaîne à tout ça.

Ma voix se veut ferme, mais elle est chargée de tristesse. Je veux croire que c’est pour le mieux, mais tout en moi crie le contraire. Je pense à Elena Verdi, aux preuves, à mon degré d’implication dans tout ce merdier. Une part de moi voudrait crier que j’infiltre le réseau de mon oncle, comme si cette vérité brute pouvait encore nous sauver. Mais ma raison murmure inlassablement qu’avouer ce secret reviendrait à placer une cible dans le dos de Giulia.

Elle secoue la tête, et je vois la douleur se dessiner sur son visage. Ses poings se serrent, et je sais que ses émotions sont au bord de l’explosion.

— Alors, c’est vraiment fini… Cette faida nous a tout pris. Elle nous a brisés au point de tout perdre.

Ses mots flottent, s’étouffent dans l’air lourd. Ils sont le dernier écho de ce qu’on était. La pluie redouble, s’écrasant sur le sable autour de nous. Elle efface nos silhouettes, gomme tout, comme si la nature elle-même voulait effacer notre histoire. Les vagues continuent de s’écraser sur le rivage, indifférentes à notre douleur, rappelant que le destin est parfois impitoyable. D’un mouvement de la tête, la gorge nouée par une corde invisible qui me pend à la potence d’un destin volé, j’acquiesce. J’attends son verdict. La dernière flèche qu’elle s’apprête à décocher.

— Adieu, Gianni.

La voix de Giulia m’atteint, douce, presque noyée par le martèlement de la pluie. Ce simple adieu me frappe plus fort que toutes nos batailles, que toutes les vérités échangées. Je ferme les yeux, absorbant la douleur qui monte, dévorante. Puis, je reprends ma marche, chaque pas m’éloignant d’elle, de nous.

Le bruit des vagues m’accompagne, tel un murmure incessant, un écho cruel qui me rappelle que ce combat, notre combat, était condamné dès le départ. La plage devient floue, s’efface à mesure que je m’éloigne, mais l’empreinte de nos blessures reste, marquée dans ma chair. Mes mains, vides, pendantes, ont lâché tout ce que j’avais de plus précieux, tout ce pour quoi je m’étais battu.

Je me retourne une dernière fois. Sous la pluie battante, Giulia se tient là, seule et frêle, silhouette ancrée dans le gris de la nuit. Certains adieux ne finissent jamais ; ils marquent la peau comme une brûlure. C’est cette image d’elle que j’emporterai : figure de douleur et de regrets, perdue dans les ombres. Elle me déchire, ce tableau silencieux d’un amour impossible, et mes yeux se brouillent de larmes que je force à ne pas couler.

Je continue à marcher, laissant la plage derrière moi. Chaque pas enfonce un peu plus le clou dans le cercueil de ce qu’on a été. Malgré la fatalité de cette fin, mon cœur saigne encore. Ma décision est prise. Je pars pour la Calabre, prêt à affronter mon oncle, à fermer ce dernier chapitre. Mais un gouffre s’ouvre en moi, froid, sans fond, un vide que rien ne comblera.

L’amour est parfois un feu qu’il faut éteindre pour ne pas brûler jusqu’à l’os. Et alors que je m’enfonce dans la nuit, sous cette pluie implacable, je sais que cette séparation m’a laissé une cicatrice dont je ne guérirai jamais.

Si cette histoire te plaît, partage-la avec ceux que tu aimes ! Ensemble, faisons voyager ce roman.

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A propos de l'auteur

Matthieu Biasotto

Auteur indépendant toulousain, rêveur compulsif et accro au café. J'écris du thriller, du suspense avec une touche existentielle.

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[…] novembre 2024 F par Matthieu Biasotto 11 novembre 2024 Commenter Faida – Chapitre 84 Retour en haut Faida – Chapitre […]

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