Des Vérités Enfouies
giulia
Le matin de l’accident…
Je suis sur ce bateau, seule face à l’immensité de la mer, là où mon père a disparu à jamais. L’horizon s’étire dans un gris cendré, chaque vague une ombre mouvante, menaçante. Le vent s’engouffre dans mes cheveux, mêlant les mèches à mon visage, comme une caresse froide de cette mer qui m’a tout pris. L’air est saturé de sel, dense et oppressant, une présence lourde sur ma peau. Le ciel, sombre et chargé, semble prêt à éclater, reflétant le tumulte qui déchire mon cœur. Depuis que Gianni et moi avons pris des chemins séparés, chaque jour est une lutte, mais aujourd’hui, le poids des souvenirs est insupportable. Comme si la mer et le vent conspiraient pour m’écraser sous le fardeau de tout ce que j’ai perdu.
Je ferme les yeux, laissant les images douloureuses surgir, implacables. Cette nuit où le bateau de mon père a explosé, où une lumière rouge a déchiré l’obscurité avant de disparaître dans un grondement sourd. Cette mer que j’aimais l’a englouti, effaçant toute trace de lui, comme si rien ne s’était jamais passé. Et aujourd’hui, me voici de retour, cherchant un apaisement qui semble aussi lointain et insaisissable que l’horizon noyé de brume.
Entre mes doigts, je tiens un bouquet de fleurs sauvages, cueillies en silence le long de la côte. Lentement, je m’approche du bord du bateau, serrant les tiges, réticente à les lâcher. Finalement, je les laisse glisser, et je fixe chaque fleur flottant à la surface de l’eau. Une vague d’émotion monte en moi, mes yeux s’embrument. Ces fleurs, emportées par les vagues, emportent aussi une part de la douleur que je n’arrive pas à formuler. Elles dérivent, englouties peu à peu, une offrande silencieuse à cette mer qui prend et ne rend rien.
Mes doigts effleurent le bracelet à mon poignet, une fine chaîne ornée de petites bouées, un cadeau de Gianni. Le métal froid contre ma peau absorbe toute chaleur, et me ramène brutalement à ce que nous avons perdu. Ce bracelet, plus qu’un simple bijou, est une promesse de lui, un souvenir de cette nuit où nous avions trouvé refuge dans la cabane du pêcheur. Le feu crépitait, le vent hurlait dehors, et nous nous serrions sous une couverture, cherchant la chaleur l’un de l’autre. Peu de temps après, Gianni m’avait offert ce bracelet. « Ça m’a fait penser à toi… au cas où je ne serais pas là pour la prochaine tempête. »
Aujourd’hui, il ne reste que le poids de ce que nous avons perdu. Le vent cingle mon visage, tranchant comme une lame, emportant les derniers échos de ce que nous étions. Le froid du bracelet s’infiltre dans mon cœur, chaque petite bouée un rappel de tout ce qui ne sera plus.
Je fixe l’horizon, espérant des réponses que la mer ne me donnera jamais. Les vagues continuent de murmurer, impassibles, et pourtant elles semblent effacer mes pensées, laissant un vide oppressant. Là-bas, au loin, je distingue la crique où se trouve la cabane du pêcheur. C’est là que tout a commencé, là où je croyais encore que rien ne pourrait nous séparer. Ce lieu, autrefois empreint de promesses, n’est plus qu’un souvenir douloureux aujourd’hui.
Je serre le bracelet plus fort, comme si ce geste pouvait me ramener à cet instant où tout semblait encore possible. À mon autre poignet, mes doigts glissent sur un bracelet de cordes tressées, un cadeau de mon père. La texture rugueuse des fibres me rappelle ses mains, ses gestes sûrs et calmes malgré les colères de la mer. « Pour que tu te souviennes que la mer est en toi, Giulia. » C’était sa manière de me transmettre une part de sa force, de son amour pour cet élément indomptable. Mais aujourd’hui, cette mer en moi est une tempête sans fin, une marée qui ne trouve jamais de repos.
Les vagues chuchotent des secrets que je ne peux comprendre, mais elles ramènent toujours mes pensées à Gianni, à notre histoire brisée, sans jamais m’apporter de réconfort.
— Qu’est-ce que j’aurais dû faire différemment ? Est-ce que tout ça est de ma faute ? Est-ce que j’aurais dû parler, dire tout ce que je gardais en moi ?
Les questions se posent en moi comme des pierres, leur poids créant des vagues de douleur qui se propagent sans fin. Chaque question est une lame qui me ramène dans ce tourbillon sans issue. Je caresse le bracelet de Gianni, perdue entre mes souvenirs et mes regrets. Autour de moi, l’océan est une prison, et l’odeur de la mer m’étouffe, ramène des souvenirs doux-amers qui me brisent un peu plus.
Je revois nos erreurs, nos silences, les moments où un mot aurait pu tout changer, si seulement… Mais le passé est figé, et ces « si » sont des fantômes qui me hantent. Aujourd’hui, il ne me reste que ce bracelet, ces souvenirs, et ce vide immense, aussi vaste et indifférent que la mer elle-même.
Peut-être qu’un jour, je trouverai la force d’avancer. Mais pour l’instant, je suis là, suspendue entre ce que j’étais, ce que j’ai aimé, et tout ce que j’ai perdu.
Gianni
Au volant de mon Alfa, les mains crispées autour du volant, une tension sourde monte en moi, semblable à une marée prête à déborder. Le cuir est glacial sous mes doigts, comme l’air qui s’engouffre par la vitre brisée, une fissure manifeste dans le chaos qui m’entoure. Le moteur ronronne, mais il ne parvient pas à apaiser la tempête de mes pensées ; au contraire, chaque vibration semble amplifier ce tourbillon intérieur. Le monde défile autour de moi, flou et insaisissable, comme si j’étais piégé dans un rêve dont je ne parviens pas à m’échapper.
La voix d’Elena Verdi résonne encore dans ma tête. Ce dossier jaune, cette clé vers des vérités enfouies sur ma famille, sur mon père et mon oncle, des vérités dont les conséquences pourraient bien faire voler en éclats tout ce qu’il reste de nous. Je ne suis pas sûr de vouloir découvrir ce qui se cache derrière, mais il est trop tard pour reculer. Chaque kilomètre m’enfonce un peu plus dans l’inévitable.
Soudain, je croise un couple sur une Vespa, leurs rires légers flottant dans l’air comme une note insouciante. Ce son me frappe comme un pied-de-biche, ravivant le souvenir de Giulia, de mes bras autour de sa taille, de sa nuque fine pendant nos escapades en deux roues. Ces moments où tout semblait si simple, où le monde n’était pas encore fissuré. L’odeur de son parfum semble flotter dans l’habitacle, douce et cruelle à la fois, comme un fantôme insaisissable. Mon cœur se serre, ces souvenirs qui autrefois m’apaisaient ne sont plus que des rappels impitoyables de ce que j’ai perdu.
Mon regard se pose alors sur un panneau publicitaire, où une statue grecque fissurée m’observe depuis l’affiche. Mon estomac se noue. Cette image, si banale, ravive le souvenir de cette nuit torride avec Giulia. On a ri de cette fissure, croyant que rien ne pourrait nous atteindre. Mais aujourd’hui, cette fissure me renvoie à l’évidence de tout ce qui s’est effondré entre nous. Ce qui semblait alors être un simple éclat est devenu le symbole d’une fragilité que je n’avais pas su voir. Tout ce que je croyais solide n’était qu’une illusion, déjà fragilisé depuis le début.
Je serre le volant plus fort, la mâchoire crispée, tenté de chasser ce souvenir, mais il s’accroche à moi, tout comme ce sentiment d’échec qui s’immisce dans chaque recoin de ma vie. Pas seulement avec Giulia, mais avec cette famille que je croyais pouvoir protéger, cet amour que je pensais éternel. Il ne reste rien. Tout m’a échappé.
À mes côtés, ma mère observe la vitre brisée, une ride de préoccupation creusant son front.
— Gianni, qu’est-ce qui est arrivé à la vitre ? Tu n’as pas froid ?
Je sens son regard peser sur moi, mais mon esprit est déjà loin, piégé entre les fantômes de mon passé et la réalité qui s’effrite. Je garde les yeux rivés sur la route, les doigts crispés sur le volant.
— Ce n’est rien… Juste un problème de plus, comme tout le reste.
Ma mère reste silencieuse un instant, puis, avec une douceur mêlée d’une tristesse ancienne, elle pose sa main sur mon bras.
— Ce n’est pas « rien » si ça t’écorche comme ça, Gianni.
Son ton, si simple et désarmant, m’atteint plus fort que je ne l’aurais voulu.
— Je la remplacerai, mais j’ai d’autres priorités pour l’instant…
Elle me regarde, et même sans insister, je sais qu’elle n’est pas dupe. Sa main se pose doucement sur mon bras, un geste simple, empli d’une chaleur que je ne ressens plus depuis longtemps.
— Je sais que ce n’est pas juste de toujours tout porter seul…
Ces mots me frappent, réveillant une douleur que je croyais enfouie. Depuis que Giulia est partie, depuis que les fissures se sont transformées en failles béantes, j’ai toujours tout porté à bout de bras, même sans m’en rendre compte. Je détourne le regard, mes yeux se fixant sur la route devant moi, mais les questions me submergent, refusant de s’estomper.
— Maman… tu n’aurais pas entendu parler d’un dossier jaune, par hasard ? Quelque chose que papa aurait gardé précieusement ?
Elle me regarde, surprise, une lueur d’inquiétude dans les yeux. Elle hésite un instant, comme pour évaluer le poids de sa réponse.
— Un dossier jaune ? Non, je n’en ai jamais entendu parler. Ton père a toujours été très discret sur certaines affaires… parfois, tu sais, c’est mieux de ne pas savoir, Gianni.
— Aux innocents les mains pleines, n’est-ce pas ?
Elle me fusille du regard et son silence ne m’apporte aucun réconfort. L’ignorance protège, oui, mais elle finit par se fissurer elle aussi, comme toutes les illusions.
— Au fond, tu as raison, maman. Peut-être que c’est mieux ainsi. Parfois, fermer les yeux est plus confortable…
— Et moins douloureux, tu peux me croire.
— J’imagine que ne pas savoir… c’est une façon de rester en sécurité. Même si ça signifie renoncer à la vérité.
Elle me dévisage un instant, puis murmure, avec une dureté inattendue :
— Arrête de me juger, Gianni, et regarde la route.
Je détourne rapidement les yeux, le cœur lourd de cette vérité qui me hante. La route s’étend devant nous, silencieuse et infinie, mais la distance qui me sépare de la vérité semble aussi vaste que l’abîme entre ma mère et moi, entre Giulia et moi, entre ce que j’étais et ce que je suis devenu.
Giulia
4 heures avant l’accident…
De retour au port, l’odeur saline flotte dans l’air, mêlée à celle du poisson frais. Comme la météo, je ressens un calme relatif après ce moment en mer. Le grincement des cordages, le cliquetis des mousquetons, le léger balancement du bateau sous mes pieds, tout semble vouloir me ramener à une réalité que je ne reconnais plus. Le sel picote ma peau tandis que je ramène lentement le bateau à quai. Chaque geste est précis, presque cérémonial, comme si je voulais retarder le moment où je devrai affronter la vie sur terre.
Le ciel se teinte légèrement d’orange, celle qui annonce la fin de l’après-midi, apportant une douce lumière sur le port. Une famille passe sur le quai, une petite fille dégustant une glace. Son rire innocent, sa joie simple, me semblent appartenir à un monde lointain, un monde où l’amour était encore synonyme de bonheur, pas de tourments. Je la vois se tacher, et ce simple incident déclenche une avalanche de souvenirs. Je revois Gianni, à Atrani, essuyant une tache de glace sur mon bras avec une serviette en papier. La douceur de son regard et de ses gestes me réchauffait à l’époque. Ce n’était rien, mais c’était tout. Ces moments si simples me faisaient sentir aimée, précieuse. Aujourd’hui, ce souvenir n’est plus qu’une piqûre douloureuse, un rappel cruel de ce que nous avions, de ce qui est parti.
Une pointe de tristesse me traverse, un mélange d’amertume et de nostalgie. Ces souvenirs, autrefois doux, se sont transformés en épines qui lacèrent mon âme. Chaque piqûre est une douleur nouvelle, me rappelant ce que nous avons perdu. Ces moments si simples, me semblent maintenant hors de portée, comme appartenant à une autre vie, à une autre Giulia. Celle qui croyait encore en l’amour, aux promesses faites sous les étoiles, en des mots censés résister à tout, même aux secrets. Mais les secrets, comme ceux que Gianni garde si précieusement, ont détruit cet espoir. Le vent me ramène à la réalité, je soupire, et mon téléphone vibre doucement dans ma poche. Un message de Marisa.
« Ciao bella, je sais que tu n’aimes pas être seule dans ces moments-là. Je pense à toi. Pourquoi ne pas aller te balader sur Punta Reginella ? Le temps est doux, et la vue pourrait t’apaiser. Je t’y rejoins si tu veux. On pourra admirer les falaises et respirer un peu d’air frais ensemble. »
Un léger sourire étire mes lèvres malgré la tristesse. Marisa a toujours su quand j’avais besoin d’elle, et ses mots me touchent, comme un baume sur une plaie. Je réfléchis un instant. Punta Reginella, avec ses falaises plongeant dans la mer, est un endroit magnifique, presque hors du temps, où le monde semble s’arrêter pour contempler la beauté brute de la nature. Le rugissement des vagues contre les rochers m’appelle, promettant un moment de paix dans cette tempête intérieure. C’est un lieu parfait pour la solitude, mais aujourd’hui, je ne suis pas certaine de vouloir être seule.
Je tape rapidement une réponse. « Merci, Marisa. Je pense que j’ai besoin de voir quelqu’un. Punta Reginella, dans une heure ? »
Sa réponse vient sans attendre.
« Parfait ! Je t’apporte quelque chose pour nous remonter le moral. À tout à l’heure ! »
La pensée de revoir Marisa réchauffe légèrement mon cœur. Je me sens soudain un peu moins seule, un peu moins perdue. Je range mon téléphone, et une vague de chaleur renaît en moi. Peut-être que parler, même si ce n’est que pour se distraire, m’aidera à remettre un peu d’ordre dans mes pensées. Et puis, l’air marin de Punta Reginella, la vue sur les falaises… tout ça pourrait calmer ce tourbillon qui m’agite sans relâche.
Je me tourne une dernière fois vers le bateau, le regard posé sur la coque, sur les cordages, comme pour m’assurer que ce que j’ai laissé ici ne me suivra pas jusqu’à Punta Reginella. J’espère pouvoir laisser mes pensées sombres dériver en mer, comme les vagues qui s’éloignent vers l’horizon. Je prends une profonde inspiration, le coucher de soleil baignant tout d’une lumière dorée. Pour l’instant, je vais me concentrer sur l’idée de retrouver Marisa et de partager un moment simple, loin de mes tourments. Peut-être que, pendant un instant, je pourrai oublier ce poids, oublier ce bracelet, ces souvenirs, et simplement être Giulia, avec mon amie, profitant d’un moment de calme.
Gianni
Je traverse le couloir de l’hôpital, chaque pas résonne, pesant, comme pour marteler la confusion qui me ronge. L’odeur âcre des désinfectants m’oppresse, mais je continue d’avancer, focalisé sur une seule chose : mon père. Je ne sais pas si je le trouverai lucide ou perdu dans ses propres méandres, piégé par les caillots qui envahissent son cerveau et délitent son esprit. Parfois, il ne reconnaît même pas ma mère, et parfois, il est plus lui-même que jamais, dur et tranchant, ses yeux perçants comme des lames même depuis son lit d’hôpital.
Une infirmière s’approche, un sourire fatigué accroché à ses lèvres.
— Votre père est réveillé.
— Comment va-t-il ?
Elle hésite, cherchant les mots qui ne seront jamais réconfortants.
— Il semble plus alerte aujourd’hui. C’est un bon signe, nous restons prudents, mais… optimistes.
Ses paroles laissent une sensation de vide. Dans cette lumière crue des néons, tout paraît écorché, chaque fissure sur les murs semble résonner avec celles de ma vie. Giulia, le dossier, ma famille… tout s’effrite.
Devant la porte de sa chambre, ma main tremble sur la poignée. Un obstacle avant la confrontation. J’entre.
— C’est l’heure de la prise de sang ? Vous ressemblez à mon fils.
Sa voix vacillante, presque méconnaissable, me transperce. Mon cœur s’alourdit, comme si ce simple murmure était une trahison. Je prends une inspiration et force un « Bonjour, papa ». La phrase sonne creux, dérisoire.
— C’est moi, Gianni.
Me confondant sans doute avec un infirmier, il cligne des yeux, l’ombre d’une étincelle dans son regard. Il me reconnaît, mais à peine. Son visage pâle repose, encadré par les machines qui rythment sa respiration. Malgré sa faiblesse, cette dureté, cette autorité me fixent toujours, implacables.
— Gianni… Oui… Chaque fois que tu viens, on dirait qu’une tuile va me tomber dessus. Ta sœur n’est pas là, j’imagine ? Elle doit encore être en réunion…
Je détourne le regard, incapable de répondre. Je ne peux pas lui dire qu’il y a bien longtemps que Chiara a quitté nos bureaux et nos vies. Parler de ma mère, qui attend dehors, serait lui rappeler à quel point il est vulnérable.
— Je suis venu seul.
Il baisse les yeux, comme déçu, avant de revenir à moi, un éclat confus dans le regard.
— Et Bella ? Vous vous êtes disputés ? Qu’est-ce que tu fabriques ? Tu devrais l’épouser avant qu’elle ne trouve un type plus malin que toi.
Ses mots me frappent de plein fouet, un retour cruel à un autre temps, à une époque révolue, avant Giulia. Une époque que je croyais loin derrière moi, mais qui s’impose soudain, ravivant une douleur que je tente de fuir.
Des bribes de souvenirs défilent : les rares fois où j’ai senti de la fierté dans son regard. Je croyais ces moments gravés, mais ils semblent flous à présent, lointains.
— Qu’est-ce que t’as encore fabriqué pour débarquer avec cette tête d’enterrement ?
Sa quinte de toux me glace. Son corps tout entier tremble sous la douleur, les moniteurs s’emballent, et l’odeur métallique de l’hôpital m’étouffe. Je tente de répondre, de rester stoïque, mais les mots me glissent des lèvres.
— Rien, papa… Je prépare mon départ pour Gioia Tauro, pour Signor Bianco…
Il ne réagit même pas au nom de Massimo. Ma voix se brise un instant, mais je me ressaisis. Mon père grogne, sceptique.
— Et les affaires ? Qu’est-ce que tu fais, exactement, à Gioia Tauro ?
— Je fais de mon mieux pour respecter les plans de Massimo.
Il me fixe, les yeux glacials, comme s’il cherchait une faille.
— Tu as intérêt.
Ses mots sont des ordres, chargés de tout ce qu’il attend de moi. Je le sais, rien n’importe plus à ses yeux que la preuve que je suis digne d’être un Rossi.
— Tout est en ordre… il me manque seulement les clés du coffre. Je ne les retrouve plus. Est-ce qu’il y a un double ? Une autre façon de l’ouvrir ?
Il plisse les yeux, suspicieux, et un silence lourd s’étire entre nous.
— Quel coffre ?
— Celui de la maison, papa. Le gros, dans ton bureau.
Le silence s’étire. Ses yeux me scrutent, il calcule, jauge. Puis, d’une voix à peine audible, il lâche :
— Ah… Oui, le coffre… C’est un coffre Napoléon, Gianni. Il faut la clé et la combinaison.
— Et comment on fait si on n’a plus la clé ?
— Ces clés se transmettent depuis des générations. Tu es le premier à tout foirer. un nouvel exploit de ta part.
Il s’arrête, une nouvelle quinte de toux l’attaque. Chaque mot me rabaisse, chaque regard me juge.
— Perdre les clés, c’est une chose. Perdre ton sens des responsabilités, c’en est une autre. Tu es un Rossi. Tu ne peux pas te permettre de flancher.
Je tente de rester de marbre, mais à l’intérieur, c’est la tempête. Le poids de ses mots m’écrase. Mais ce dossier jaune, cette cassette… Que cachent-ils vraiment ?
— Ce n’est pas juste une question de responsabilité. Ce dossier jaune, cette cassette, qu’est-ce qu’il y a dedans ? Pourquoi c’est si crucial ?
La question fuse, imprégnée de frustration. Il détourne le regard, sa respiration devient chaotique. Quand il parle enfin, c’est presque un souffle :
— Ce que tu ignores pourrait te protéger. Mais surtout, Gianni, ne dis rien à Massimo. Sans le coffre, tout s’effondre.
Ces mots enflamment ma curiosité. Je me penche, assoiffé de vérité.
— Pourquoi ? Pourquoi ne pas me dire simplement ce que c’est ? Qu’est-ce que tu me caches encore ?
Son regard s’assombrit. Ma question éclate, portée par une frustration trop longtemps contenue. Mon père détourne légèrement le regard, sa respiration devient plus irrégulière, et sa réponse, quand elle arrive, est presque un murmure.
— Tu n’es pas encore prêt pour ces réponses, Gianni. Tu me l’as prouvé chaque jour que Dieu fait.
Il respire difficilement, et son ton se fait encore plus cinglant :
— Ne détruis pas ce qu’on a construit. Sors. Tu me fatigues.
Ses mots me transpercent. J’ai entendu ces phrases mille fois, mais aujourd’hui, elles résonnent différemment. Quelque chose se brise en moi. Pas cette fois. Pas maintenant.
Je me redresse, serrant les poings, le cœur empli d’une rage sourde.
— Très bien, je m’en vais. Mais je trouverai la vérité, que tu le veuilles ou non.
Il ricane, mais une toux l’interrompt, ses derniers mots tombant, presque méprisants :
— La vérité… c’est que tu n’es pas de taille. C’est lié aux Esposito.
Ce nom me fige sur place. Je reste paralysé, la gorge nouée.
— Quoi ?
— T’as très bien entendu. Maintenant, laisse-moi tranquille.
Sa voix est lasse, mais chaque mot pèse lourdement. Je sors, étouffé par la pression de ces révélations. Le nom, les indices… Je me sens en pleine chute, mais cette fois, je ne m’arrêterai pas.
Alors que je suis sur le seuil, sa voix retentit une dernière fois, amère.
— Et excuse-toi auprès d’Isabella. Demande-lui si elle veut venir en vacances avec nous l’été prochain.
Son esprit dérive, et ces derniers mots m’achèvent. En quittant l’hôpital, je suis plus déterminé que jamais. Elena Verdi. Elle est mon seul espoir pour affronter les ombres de mon passé, quelles qu’en soient les conséquences.
Si cette histoire te plaît, partage-la avec ceux que tu aimes ! Ensemble, faisons voyager ce roman.
[…] novembre 2024 F par Matthieu Biasotto 12 novembre 2024 Commenter Faida – Chapitre 88 Retour en haut Faida – Chapitre […]