Le Cœur du Mensonge
gianni
2 heures avant l’accident…
Le Sentier des Dieux s’étend devant moi, un fil de pierre jeté entre le vide et la mer. Chaque pas m’arrache un peu plus à ce monde, comme une descente vertigineuse dans l’inconnu. Sous mes pieds, la roche semble prête à céder, comme la vérité que je traque sans relâche. L’horizon est là, proche mais inatteignable, aussi insaisissable que ces réponses que je cherche. Le soleil brûle, éclatant sur la mer, implacable. Les vagues, immenses et glacées, s’écrasent dans un murmure lointain, indifférentes comme les vérités enfouies que je m’apprête à déterrer.
L’air sature d’odeurs de pin et d’herbe brûlée, douce-amère, contraste étrange dans la gravité de cet instant. La terre sous mes semelles est dure, chaque pas me rappelant que je suis toujours là, malgré tout, même si tout tangue autour de moi. Les mots de Francesco tournent en boucle : « Gianni, si tu veux quelque chose, bats-toi. » Une sentence. Ici, sur ce sentier solitaire, elles prennent un poids que je ne peux plus éviter. Le vent siffle, fouette mon visage, empli de sel et de poussière, rappel de l’urgence qui m’attend.
Au loin, une silhouette. Une femme marche, les cheveux flamboyants pris dans le vent, son pas mesuré, courbé sous un poids invisible. Un foulard et des lunettes couvrent son visage, mais je devine déjà. Une tension monte en moi, dense, comme si l’air se chargeait de ce qui nous attend. À chaque pas, je me rapproche, et ma respiration s’alourdit.
Elle retire ses lunettes, me fixe sous une frange rousse. Elena Verdi. Son regard se fait tranchant, comme gravé dans la roche de cette montagne. Elle observe l’horizon, vérifie que personne ne nous voit. Le silence s’épaissit, presque sacré, un pacte tacite entre la montagne et nous, porteurs de secrets. Sa voix s’élève, basse, empreinte de méfiance.
— Gianni, vous êtes suivi ?
Chaque mot pèse, un avertissement caché. Une tension palpable flotte dans l’air.
— Non, personne. La dernière fois, j’ai payé le prix fort. Pas question de répéter ça.
Son visage se referme, crispé, la tension sur ses traits évidente. Elle hoche la tête, scrute mes yeux, cherchant un indice, une faille.
— Quelqu’un est au courant de cette rencontre ?
— Francesco seulement. Je lui fais confiance.
Je lâche ça avec plus de conviction que je n’en ressens vraiment. Elle me dévisage, cherchant la moindre hésitation, mais je tiens bon, malgré la tempête qui gronde en moi. Ce que je m’apprête à découvrir risque de tout renverser.
Elle finit par hocher la tête, résignée.
— Il est fiable ?
— Oui.
Je reste ferme, mais le doute plane. Elle le voit, nous marchons sur un fil. La moindre erreur, et c’est la chute.
Un silence lourd s’installe, suspendu, comme si même la mer retenait son souffle. L’air, paisible en apparence, porte l’urgence, insidieuse.
— On n’a pas beaucoup de temps, Gianni. À Positano, rien ne reste secret.
Elle plonge une main dans son sac, chacun de ses gestes précis, calculé. Lorsqu’elle me tend le document, je sens son poids, lourd, bien plus qu’une simple feuille de papier. Rugueux sous mes doigts, il porte des vérités que je redoute d’affronter.
Elle me transperce du regard.
— Ce que vous allez découvrir va tout changer. Aucun retour possible.
Ses mots frappent, chaque syllabe comme un coup sourd. Un frisson me traverse, mais je ne cille pas. Il est trop tard pour reculer.
— Une fois que vous saurez, votre vie ne sera plus la même. Vous êtes sûr d’être prêt ?
Chaque mot résonne comme un coup de tonnerre étouffé. Je sais qu’elle a raison, mais je n’ai plus le luxe du doute.
Je respire profondément, le document serré dans ma main, et acquiesce. C’est l’instant. Là où tout bascule.
*
Mon cœur bat comme un tambour furieux, chaque pulsation explose dans mes tempes. Les pensées s’embrouillent, noyées dans une marée de panique brute. Une voix sourde hurle en moi : abandonne tout, pars avant que l’irréversible ne s’abatte. Il est encore temps, fais demi-tour, échappe à ces secrets qui menacent d’écraser tout ce que tu connais. Mais non. Le chemin jusqu’ici, sur cette crête aride, ne permet plus de retour. Chaque pas, chaque choix, m’a conduit à cet instant, cet équilibre précaire où le monde bascule.
J’inspire, profond, et le sel marin envahit ma gorge, brutal rappel que le monde continue de tourner, même si le mien s’effondre. L’air, chargé d’embruns, pèse dans mes poumons, lourd comme une promesse d’inéluctable.
— Je ne vis plus normalement depuis longtemps. Je suis prêt.
Ma voix est calme, comme étouffée par la tempête intérieure. Ces mots claquent comme une sentence, un saut dans le vide où rien ne sera plus jamais pareil. Le silence s’étire, dense, oppressant. Elena me scrute, cherche la moindre faille, un doute caché. Ses yeux fouillent, acérés, mais je reste là, immobile, malgré le tumulte en moi. Pas question de vaciller. Pas maintenant.
Elle sort les documents, un à un, chaque froissement de papier comme un cri dans ce silence lourd. Elle me tend une carte maritime annotée, ses gestes calculés, solennels. Le poids des secrets se pose entre nous, chaque page portant l’évidence d’une trahison colossale.
— Gianni, ce n’est pas juste des rumeurs. Ce sont des contrats d’affrètement pour des substances industrielles de classe « 6.1 » et « 7 ». Des factures exorbitantes, des destinations floues. Tout pointe vers des décharges toxiques.
Je feuillette les papiers, le visage se fige, chaque ligne m’arrachant un peu plus à moi-même.
— Massimo… Il est directement impliqué ?
— Oui. Il contrôle tout ça derrière des sociétés-écrans. J’ai trouvé des rapports internes. Un conseiller l’avait averti que ses déversements empoisonnaient l’eau, tuaient la faune. Il savait.
L’ampleur de sa trahison me heurte. Elle glisse un autre document sous mes yeux.
— Il n’a pas seulement ignoré. Ces transactions déguisées montrent qu’il a acheté le silence d’inspecteurs, d’élus locaux. Il a verrouillé tout le système.
— Massimo a tout cadenassé.
— Exactement.
Ses mots frappent l’air, et en moi, c’est une tempête qui s’éveille. Comment un homme de mon propre sang a-t-il pu sombrer à ce point ? Le sol semble flancher, l’abîme m’appelle. Je vacille sous l’ampleur de cette révélation, mais reste ancré, les poings serrés.
Je finis par souffler, la voix rauque, brisée :
— Ce n’est qu’un début. Il faudra plus pour le faire tomber. Ses avocats vont balayer ça en un rien de temps.
Elena ne bronche pas. Elle plonge dans mon regard, pitié et détermination mêlées. Elle sait qu’on n’a effleuré que la surface. Lentement, elle dépose d’autres documents, des photos, chaque geste précis, comme si elle manipulait des éclats de vérité acérés.
— J’ai plus que des papiers. Regardez.
Elle me tend des clichés. Des navires déversant des fûts métalliques en mer. Je fixe ces images, glacé. Chaque photo est un coup de poignard, un fragment de trahison qui s’enfonce plus profondément en moi.
— La société O.D.M., officiellement dans le traitement des déchets, envoie des cargos pour déverser des substances toxiques en zone protégée.
Elle pointe des détails sur chaque image, chaque document, et un frisson m’électrise. Selon Elena, les équipages transitent tous par La Speranza ; c’est pour cela que les Rossi tenaient tant à contrôler la frégate de Giulia. Sa voix prend un élan féroce, une clarté implacable.
— Derrière ce réseau de sociétés-écrans, tout mène à Massimo. C’est lui qui tire les ficelles.
Les pièces du puzzle s’assemblent, chaque mot, chaque image révèlent l’ampleur de la trahison. Elle me laisse un instant pour encaisser, mais les révélations tourbillonnent déjà, plus denses, plus sombres que je ne l’aurais jamais imaginé.
Le silence retombe, mais cette fois, c’est un effondrement silencieux qui se répand en moi. Chaque révélation fissure les fondations de tout ce que j’ai cru vrai. Elena inspire profondément, et une terreur sourde s’installe.
— Ce n’est pas tout, Gianni… J’ai découvert que votre sœur a été exposée à ces déchets toxiques. Ceux que Massimo faisait couler en mer. Vous avez ses rapports médicaux, moi j’ai les preuves.
Le coup est brutal, m’écrase là où je suis le plus vulnérable. Une douleur muette monte en moi, une rage désespérée. Ma sœur… son visage, son rire, souillés par cette abomination.
— Je l’ai découvert aussi. J’espère seulement qu’elle savait dans quoi elle s’engageait…
— Peu importe ce qu’elle savait. Ces substances l’ont lentement empoisonnée, la rongeant de l’intérieur. Et il y a pire encore.
Mon souffle se coupe. Le monde vacille autour de moi, chaque mot d’Elena est une nouvelle lame qui déchire le voile de mon ignorance.
— Jacopo, le père de Giulia, avait découvert la vérité. Toute la vérité.
— Le père de Giulia ? Je ne comprends pas… Vous voulez dire que sa disparition…
— C’était un assassinat, Gianni. Massimo a orchestré le sabotage de son bateau pour l’empêcher de tout révéler.
Je reste figé, le sol se dérobe sous moi. Jacopo avait découvert le réseau, et il en est mort. Un homme intègre, abattu pour avoir cherché à dénoncer l’horreur.
Elena sort alors une photo d’une petite cassette audio, ses doigts tremblant légèrement sur le papier glacé.
— Vous n’avez jamais vu cette cassette chez vos parents ou chez Massimo ?
Cette cassette photographiée ne me dit absolument rien. Je secoue la tête, abasourdi. Tout en moi refuse de comprendre, mais les pièces du puzzle s’assemblent, implacables.
— C’est l’enregistrement d’une conversation téléphonique entre Massimo et l’un de ses complices. Malheureusement, je ne l’ai pas en ma possession. Cette cassette a été rachetée par votre famille.
Je prends la photo, mes mains lourdes du poids de ce qu’elle représente.
— Rachetée ? Pourquoi ? Que contient-elle ?
Mes questions sont lancées d’une voix rauque, presque étranglée par l’angoisse.
— On y entend Massimo avouer que le sabotage était « nécessaire » pour protéger les intérêts familiaux.
Chaque mot résonne comme un coup. Ma famille, mon nom, tout s’effondre. Elena continue, et son visage, marqué par les épreuves, se tend alors qu’elle ajoute une vérité encore plus poignante.
— Je le sais parce que… J’étais la journaliste à qui les Rossi ont racheté l’enregistrement, Gianni.
Le choc me cloue sur place. Elena, celle qui voulait exposer ces crimes. Elle soulève son foulard, révélant une fine cicatrice sur son cou. Un rappel du prix qu’elle a payé pour tenter de révéler la vérité.
— Ils ont exigé mon dossier jaune, mes recherches, moyennant paiement. Puis, ma santé a décliné. Je pense que c’est lié aux déchets toxiques. Mais la mort de votre sœur… ça m’a poussée à reprendre mon enquête. Je ne pouvais plus rester silencieuse.
Ses mots détruisent les dernières illusions auxquelles je m’accrochais. Le poids de mon nom, Rossi, devient insupportable. Comment ai-je pu être si aveugle ?
— Cette cassette doit être dans le coffre de mon père avec le dossier jaune… mais je n’ai pas les clés.
Elena accuse le coup, son visage se crispe.
— C’est… C’est impossible… Il doit bien y avoir une solution.
Je baisse les yeux, écrasé par la honte.
— Je suis désolé. Vraiment…
— Quelle poisse !
Désespérée, elle donne un coup de pied dans un caillou qui rebondit contre une canette de soda. Le tintement fait jaillir un souvenir violent. C’était la dernière fois que je l’ai vue, avant d’aller sur La Speranza. Les coups, le sang, les menaces… et le trousseau de clés qui avait glissé de ma poche. Je revois un des mafieux tirant un penalty avec mes clés avant de partir. Une clarté brutale s’impose.
— Attendez ! Ils ont frappé dedans !
— De quoi parlez-vous, Gianni ?
— Du melon !
— Pardon ?
Elle me dévisage, incrédule. Je me redresse d’un coup, une lueur d’espoir dans les yeux.
— Quand on m’a roué de coups ! Sur le bateau de Giulia, je crois que le trousseau avec le melon est tombé à ce moment-là !
Mon souffle s’accélère Mon cœur s’emballe. Ce trousseau… notre seule chance de rouvrir le coffre et d’accéder aux preuves pour faire éclater la vérité. Elena me fixe, entre espoir et inquiétude.
— Gianni ? Où allez-vous ? Faites attention, je vous en prie !
Ses mots flottent dans l’air alors que je m’élance, poussé par une urgence qui me consume. Je promets d’être prudent, mais l’attente est impossible. Chaque pas sur ce sentier rocailleux me rapproche de la vérité, de cette ombre qui plane sur mon nom, et de la confrontation inévitable avec le passé.
Le ciel se ferme au-dessus de moi, l’air s’alourdit, et chaque pas me propulse vers l’effondrement.
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