Faida – Chapitre 99

F
Table des matières

Frères d’armes

gianni

Le parking de l’hôpital m’engloutit tout entier, étreint par une fatigue sauvage, une douleur qui s’immisce sous la peau et l’appréhension, qui roule comme une bile amère dans le fond de ma gorge. Mon cœur cogne encore sous les retombées de l’adrénaline, après cette tentative d’assassinat, mais je me cramponne. Pas question de lâcher, pas tout de suite. Face à moi, Ezio s’est figé, son interpellation sèche résonnant encore. Ses yeux, deux coups de revolver braqués sans pitié. Les bras croisés, muscles tendus comme des arcs, il ne bouge pas. C’est un volcan prêt à cracher toute sa rage sur moi. Une rage pure, dure, au-delà de la peur, dirigée contre moi avec la précision d’une lame.

— Qu’est-ce que tu fous dehors à cette heure-ci ? Tu comptais filer ? T’as le nez fin, on dirait.

Il avance d’un pas, un seul, mais assez pour que son visage, tordu de colère, lacère mon cœur. Ses poings serrés, le feu dans ses prunelles me jettent en arrière, droit dans les souvenirs de Giulia. Ce regard qu’il avait, chargé d’une douceur insondable, n’est plus qu’une haine acérée qui suinte de chaque pore, infectant l’air d’une menace tangible.

— Après avoir envoyé des motards pour me démolir, c’est toi qui viens finir le travail ?

Ma voix écorchée sort malgré moi, comme un réflexe. Un bouclier fragile, dérisoire. Mon estomac se serre en le voyant déborder de rancune. Cette vision m’achève, une plaie de plus qui s’ouvre, mais hors de question de flancher. Pas alors que Giulia est en jeu. J’essaie d’ignorer à quel point il a les mêmes traits que sa sœur quand il s’emporte.

— Finir le travail ? Tu te fous de moi ? C’est plutôt le contraire, putain !

La confusion s’immisce, me paralyse un instant. Qu’est-ce qu’il raconte ?

— Des gars de ta famille de mafieux ont débarqué dans notre appart’, Gianni ! Ces types en costards… Ils ont tout retourné pour trouver Giulia ! Et tu oses prétendre que t’étais pas au courant ?

Sa voix éclate dans la nuit, tremblante de fureur. Ses poings, si serrés que les jointures en blanchissent, soulignent le chaos qui s’étire entre nous. Sa rage est un miroir de la mienne, mais quelque part, je sens la peur derrière ce courroux. Lui aussi, il protège Giulia, mais d’un front opposé. J’inspire profondément, ignore la douleur dans mes côtes, plante mes yeux dans les siens.

— Tu crois que j’aurais laissé faire ça ?

Ma voix est basse, chaque mot chargé d’amertume. Comment peut-il penser que je pourrais être complice de ce carnage ?

— J’en sais rien, moi ! Vous êtes capables de tout, bande de tarés !

Qu’il me perçoive comme une menace pour Giulia, c’est un coup direct, un poison qui s’infiltre dans mes veines.

— Mon oncle veut me tuer, Ezio. Il a envoyé un homme ici, ce soir, pour me descendre dans cet hôpital. Sans ma réplique, je serais déjà mort.

Je perçois le doute qui se fraye un chemin dans son regard. Il hésite, s’accroche encore à sa colère, et je comprends. Je comprends ce besoin désespéré de pointer un coupable. Mais il ignore encore la vérité, celle qui pèse des tonnes.

— Pourquoi je te croirais ? T’es un Rossi. La trahison, c’est dans ton sang.

Ses mots, c’est un coup de poing. Pour lui, mon nom m’associe directement au pire. Mais je ne suis pas Massimo. Ignorant la douleur, je m’avance, mes yeux cloués aux siens.

— Oui, je suis un Rossi. Mais je n’ai jamais voulu cette guerre. Massimo détruit tout ce qu’il touche, y compris moi. Giulia est autant en danger que moi. Si tu ne me crois pas, va voir par toi-même. Mais ne me traite pas comme si j’étais lui.

Un silence lourd s’installe, et ce silence, c’est une sentence. Ce n’est plus seulement mon combat. C’est celui de Giulia aussi.

Ezio reste silencieux, répétant « Massimo » comme s’il essayait de comprendre ce nom, ce poison. Je vois son corps se détendre, ses poings se relâcher, mais pas complètement. Un poids persiste, une confusion qui l’étouffe.

— Y a une journaliste… Une rouquine. Elena Verdi. Elle est venue chez nous. Elle a retourné la tête de ma mère en racontant la même chose que toi.

Je reste figé, surpris. Elena, toujours une longueur d’avance. Son ton est tranchant, mais je capte un soupçon de doute.

— Et ça s’arrête pas là, Gianni. C’est encore plus grave que tu l’imagines.

Il inspire, s’agrippe à chaque fragment de contrôle qui lui reste. Dans ses yeux, je vois ce basculement. Il est sur le point d’admettre ce qu’il n’a jamais voulu voir, d’articuler l’indicible.

— Elle m’a montré une lettre de notre grand-père… Ce document accuse Massimo. Il serait responsable… de la mort de notre père.

Cette vérité, il la vomit, amer, écorché. Autour de nous, l’air s’épaissit, les non-dits nous encerclent, et je reconnais ce vertige. Cette haine, ces générations de sang versé entre nos familles, n’étaient que les pions d’un même stratège. La poigne de Massimo.

Ezio lutte pour en parler, chaque mot se brise dans sa gorge, chaque mot est une épine.

— Massimo nous a tous manipulés depuis le début. Il nous a fait jouer son jeu.

J’avance vers lui, l’écho de mes propres douleurs irradiant dans mes côtes, comme si chaque pas me coûtait autant qu’à lui. Dans son regard, c’est la même blessure. Cette vérité, je l’ai découverte plus tôt. Mais voir Ezio la reconnaître, c’est comme se heurter à un miroir : nous ne sommes rien de plus que les pions d’un destin tordu.

Je murmure, ma voix rugueuse.

— Crois-moi, je comprends. Cette lettre, je l’ai aussi… C’est pour ça qu’ils ont voulu me tuer.

Nos regards se croisent, la douleur nous lie, scelle un pacte muet. La haine d’Ezio s’efface lentement, laissant place à une lassitude écrasante, celle de voir ses illusions brisées.

— Gianni… Si cette vérité éclate, si tout le monde découvre ce que Massimo a fait… la faida va reprendre. Ma famille… ma mère… elles vont pas survivre à ça, putain.

Sa voix se brise presque, et pour la première fois, je vois la vulnérabilité derrière sa colère. Ce n’est plus un combat, c’est une tentative de protéger ce qu’il lui reste.

Je pense à Giulia, à ce qu’elle risque de perdre si cette guerre se rallume. Ce silence retombe, lourd, chargé de cette vérité qui pourrait tout détruire. Mais quelque chose d’autre s’éveille. Une alliance, une trêve faite de cendres et de blessures.

Mon téléphone vibre. Un message. C’est Giulia. Mon cœur bondit.

« Je vais bien. J’ai la cassette et le dossier jaune. »

Un soupir de soulagement. Elle est en sécurité, c’est tout ce qui compte.

Je tends la main vers Ezio, déterminé. Nos regards se croisent, la même fatigue, mêlée d’un espoir fragile. Il serre ma main, fort, dans un geste lourd de promesses. La guerre n’est pas finie, mais on n’est plus seuls.

— Je te promets que je vais stopper Massimo. Ce soir, tout se termine.

*

♫”Night Vision” – Jóhann Jóhannsson

L’air est dense, poisseux, chargé d’une humidité poisseuse qui s’infiltre sous mes vêtements comme des doigts glacés. Autour de moi, le chantier naval s’étend, lugubre, comme un cimetière de ferraille où s’empilent les restes rouillés de bateaux délaissés, fossiles d’un autre temps. La Speranza, en ruine, trône au milieu de ce désastre, imposante, menaçante, prête à devenir le théâtre de notre affrontement final. Ce soir, tout va se jouer ici.

Chaque muscle de mon corps est en alerte, mes nerfs tendus à l’extrême. Mon cœur bat pour une seule raison : Giulia. Rien d’autre ne compte. D’un coup d’œil, je localise Ezio, une ombre bien dissimulée parmi les débris. Tout de noir vêtu, il se fond dans le décor, mais je perçois la tension dans son immobilité parfaite, un masque qui cache à peine sa nervosité. Nous savons tous les deux que la moindre erreur nous coûterait tout. Je m’accroche à l’espoir que la tenue volée à ce type dans la chambre d’hôpital fera illusion juste assez longtemps.

C’est moi qui ai fixé ce rendez-vous avec Massimo, en répondant à la place de son homme de main. Un piège improvisé, monté dans l’urgence, sous haute tension. Je ne suis pas sûr de ce qu’il sait, de ce qu’il soupçonne. Tout ce que je sais, c’est qu’il est là parce qu’il pense avoir affaire à son fidèle exécuteur, et cette erreur est notre seule chance.

Des phares percent la brume étouffante, leur faisceau lumineux tranchant le sol comme une lame. Mon cœur rate un battement. Massimo est là. La voiture s’immobilise dans un crissement de graviers, et le silence retombe, plus lourd, saturé d’une tension électrisante. Je me tasse encore dans l’ombre, luttant pour apaiser le rythme effréné de ma respiration, chaque souffle me brûlant la gorge.

La portière s’ouvre lentement, la brèche déchirant le tissu du silence. Massimo descend, précautionneux, ses gestes lents et calculés. Toujours les mêmes gants. Une aura de suspicion l’entoure, palpable même à cette distance. Chaque pas résonne comme une promesse de violence.

— Je préfère venir seul pour ce genre de transaction…

Sa voix rauque brise le silence, grave et menaçante, comme un revolver qui n’a plus de cran de sécurité.

— Les témoins rendent toujours les choses plus compliquées.

Son ton est sarcastique, glacé, empreint de cette froideur que j’ai toujours haï chez lui. Mes poings se serrent involontairement, mes ongles s’enfonçant dans mes paumes. La rage bouillonne en moi, prête à exploser, mais je dois me contrôler. Rester concentré.

Ezio, toujours dissimulé dans l’obscurité, se tient droit, jouant parfaitement son rôle. Il sait, tout comme moi, que Massimo est un prédateur, toujours en quête de la moindre faiblesse.

— Est-ce que Gianni s’est débattu ?

Massimo prononce mon nom avec une indifférence glaciale, comme si ma vie ne représentait rien de plus qu’un détail sans importance.

— On peut dire qu’il s’est débattu… mais il n’est plus un problème maintenant.

La réplique est impeccable. Sans hésitation, sans émotion. Je scrute Ezio, cherchant le moindre signe de nervosité, mais pour l’instant, il tient bon. Cependant, Massimo, toujours sur ses gardes, s’avance lentement, scrutant chaque ombre, cherchant la moindre faille.

— Personne ne vous a vu vider le coffre et fouiller la maison des Rossi, j’espère ?

Sa voix devient plus grave, plus menaçante à mesure qu’il réduit la distance. Ezio se tend légèrement, et pendant un instant infime, je perçois une hésitation dans sa voix lorsqu’il répond.

— Non, personne.

Massimo s’arrête brusquement, ses yeux plissés de suspicion. L’air devient soudainement lourd, étouffant. Je sens la tension s’élever d’un cran, chaque muscle de mon corps prêt à réagir.

— Attends…

Le silence se fait encore plus dense, chaque seconde semble s’étirer à l’infini. Massimo a compris.

— Ce n’est pas… T’es qui toi ?

Mon cœur rate un battement, mais Ezio réagit avec une rapidité incroyable. Le couteau jaillit, brillant sous les phares, et en une fraction de seconde, il l’a placé sous la gorge de Massimo.

— Un geste de plus, et je te tranche la gorge.

La voix d’Ezio est implacable, glaciale. C’est le signal.

Je bondis hors des ombres, propulsé par une vague d’adrénaline. En un éclair, je suis sur Massimo, le saisissant avec force. Je sors un sac de jute de ma poche et le lui enfile brutalement sur la tête, serrant le tissu autour de son cou. Ses gants noirs cherchent une échappatoire. Il se débat furieusement, mais c’est trop tard. Je tiens entre mes mains l’homme qui a orchestré un règne de terreur.

— C’est fini pour toi. Petit Gianni a des choses à te dire…

Si cette histoire te plaît, partage-la avec ceux que tu aimes ! Ensemble, faisons voyager ce roman.

Chapitre suivant

0 0 votes
Évaluation de l'article

A propos de l'auteur

Matthieu Biasotto

Auteur indépendant toulousain, rêveur compulsif et accro au café. J'écris du thriller, du suspense avec une touche existentielle.

S’abonner
Notification pour

0 Commentaires
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
N'hésite pas à m'aider dès maintenant à construire le monde de demain : me soutenir ❤️
par Matthieu Biasotto

Articles récents

Commentaires récents

0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x
0
    0
    Ton Panier
    Ton panier est videRetour boutique