Faida – Chapitre 25

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À Contre-Cœur, Main dans la Main

Gianni

JJe suis là, enfermé dans cette salle qui m’étouffe comme un étau, les murs semblant se rapprocher inexorablement. Tout a dérapé. Giulia m’a rejeté sans ménagement, et son oncle moustachu a ajouté son venin : « Là où il y a un profit, il y a un Rossi. » Ces mots me brûlent encore, comme une lame glacée sous la peau. Chaque souffle devient plus court, chaque battement de cœur s’alourdit.

Les murs, ornés de tableaux méditerranéens, se resserrent comme les mâchoires d’un prédateur. Leur beauté figée renforce l’inexorabilité de ce moment. Les mers calmes et les montagnes paisibles, autrefois réconfortantes, sont maintenant des témoins silencieux. La lumière tamisée par les lourds rideaux éclabousse à peine la pièce, projetant des ombres épaisses qui se meuvent lentement sur les murs, amplifiant cette sensation d’étouffement.

Le silence est oppressant, mais soudain, une voix s’élève au fond de la salle. « On l’a vu rôder au cimetière, ce Rossi, comme s’il savait déjà qu’il aurait de quoi gratter ici. » Des murmures d’approbation circulent parmi les Esposito. Chaque parole est un coup direct. Je les vois tous me regarder comme un intrus, un imposteur. Un monstre. Un Rossi.

Je serre les dents, mon regard glissant furtivement vers Giulia. Ses yeux me transpercent avec une intensité insupportable. Elle pense sûrement que je suis là pour me servir, pour tout rafler. Sa méfiance me vrille, mais au fond de moi, une étincelle s’allume.

Monsieur Moretti, le notaire, se racle la gorge. Son visage, illuminé par la lumière froide des lustres en cristal, affiche une sévérité imposante. Ce n’est pas qu’un testament qu’il s’apprête à lire, c’est une sentence.

— Nous voici rassemblés pour procéder à la lecture du testament de feu Giovanni Esposito.

Sa voix résonne comme le glas d’une église désertée. Chaque mot claque, scellant un peu plus nos destins. Un destin que je n’ai pas choisi, mais que je dois accepter.

Mon téléphone vibre dans ma poche. Le message de ma mère est froid, cinglant : “Pourquoi es-tu allé seul chez le notaire ? Ton père est furieux. Nos avocats sont là pour ça ! Ne me dis pas que tu as signé !” Le poids de ses mots me tombe dessus, mais cette fois, plutôt que de m’écraser, ils m’incitent à faire le contraire.

Je repousse la culpabilité. Assez. Je n’ai plus envie de plaire, ni à elle, ni à mon père. Ni à personne d’ailleurs. Fini de jouer le rôle du fils parfait, du Rossi qu’ils veulent que je sois. Une chaleur étrange monte en moi. Je n’ai plus rien à perdre. Ils veulent tous que je craque, que je parte la queue entre les jambes. Mais je ne leur donnerai pas ce plaisir.

— Conformément aux dispositions testamentaires, il est stipulé que le navire La Speranza doit être restauré et converti en musée maritime selon la volonté de Monsieur Giovanni Esposito, commence Monsieur Moretti.

Je fronce les sourcils, confus par cette histoire de musée maritime. Quel lien ça a-t-il avec moi ?

Le silence s’épaissit, mais je finis par rompre cette tension.

— Maître Moretti, je ne comprends pas en quoi cette restauration me concerne.

Le notaire lève un sourcil, rejette ma question d’un geste mesuré. Il ajuste ses lunettes et reprend, plus solennel.

— Monsieur Esposito a souhaité que les travaux de rénovation et la conversion du navire La Speranza en musée soient effectués sous la supervision conjointe de monsieur Gianni Rossi et de mademoiselle Giulia Esposito.

Chaque mot fait mouche. Je vois Giulia se décomposer en silence tandis qu’un murmure parcourt la salle. Pourquoi moi ? C’est insensé ! Que fait un Rossi dans les volontés de Giovanni Esposito ? Le notaire poursuit, imperturbable.

— Conformément à l’article 1134 du Code civil, la pleine coopération entre monsieur Rossi et mademoiselle Esposito est une condition sine qua non. Sans cette collaboration, le navire sera vendu aux enchères publiques.

Mon cœur rate un battement. La coopération ? Avec Giulia ? Je la regarde, mais elle garde les yeux obstinément fixés devant elle. Le silence pèse, chaque seconde nous enfonce davantage dans ce piège.

Le notaire reprend.

— La coopération ne peut être déléguée. Monsieur Rossi et mademoiselle Esposito doivent œuvrer de concert, main dans la main, à chaque étape des travaux. Toute tentative de retrait ou de désaccord entraînera la mise en vente du navire.

Le jargon juridique me donne le vertige. La collaboration forcée avec Giulia ? C’est une farce, un cauchemar. Les murmures s’intensifient, mais Moretti ne fléchit pas.

— En cas de manquement, qu’il s’agisse d’un refus ou d’une absence d’implication, les droits seront dissous et le navire vendu. Les bénéfices iront à une organisation caritative extérieure à Positano.

Chaque mot est un coup dur. Giulia et moi devons travailler ensemble ou tout perdre. Le destin du navire, et bien plus encore, repose sur une coopération impossible.

Je jette un coup d’œil furtif à Giulia. Son visage reste de marbre, mais ses yeux flambent d’une intensité féroce. Ses mâchoires crispées montrent qu’elle est prête à exploser. Ma main tremble légèrement, signe de la tempête intérieure. À côté de moi, Giulia est tendue comme un arc. Je ne peux pas montrer la moindre faiblesse devant elle. Elle tend la main, acceptant la liasse de documents remis par le notaire. Je tente de me concentrer sur ce qui doit être fait. En pleine faida, des attentes énormes pèsent sur nous, on nous demande de sceller un pacte que ni l’un ni l’autre ne désire. Pourtant, dans l’attitude de Giulia, je perçois une sorte de maturité, une forme de résignation.

Je prends une profonde inspiration et tente de briser la glace.

— Merci, Giulia, de faire ce pas en avant. Peut-être qu’on peut y arriver.

Le silence qui suit est glacial. Giulia tourne vers moi un regard dur.

— Ne sois pas ridicule, Gianni. Tu crois vraiment que j’accepte par bonté de cœur ? Tu n’es qu’un pion dans ce jeu.

Ses mots me frappent, précisément parce qu’ils étaient les miens. Vexé, je murmure, presque pour moi-même.

— Tu étais moins farouche dans la cabane, pas vrai ?

— Bastardo ! J’aurais dû te laisser grelotter au lieu de te prêter ma couverture !

— Et moi j’aurais dû savourer ton naufrage de loin.

Je regrette immédiatement, mais trop fier pour retirer mes paroles.

— T’es vraiment qu’un salaud. Tu le sais, ça ?

Le notaire, voyant la tension monter, intervient fermement.

— Ça suffit, vous deux !

Son regard perçant nous fige sur place. Le silence tombe, lourd et imposant.

— Vous n’êtes pas ici pour régler vos différends. Vous êtes ici pour honorer la mémoire de Giovanni Esposito. Vous avez le choix : mettre vos querelles de côté ou repartir les mains vides. Aujourd’hui, il n’y a plus de place pour vos conflits familiaux. Décidez.

Le silence qui suit est presque insoutenable. Chaque respiration, chaque battement de cœur résonne comme un écho lointain. Mon regard dérive, cherchant celui de Giulia. Elle est là, droite, figée, mais je perçois une tension. Ses yeux dorés rencontrent enfin les miens, et dans ce bref instant, je sais qu’elle ressent la même hésitation.

Ni l’un ni l’autre ne voulait en arriver là. Ce moment, cet ultimatum, nous pousse vers le précipice. Mais nous n’avons plus d’alternative. Je lis dans ses yeux à la fois la défiance et une résignation glaciale.

Sans un mot, Giulia prend le stylo. Chaque geste est précis, presque mécanique, mais je sens la lutte intérieure qui se joue. Elle hésite une seconde, puis abaisse la pointe de la plume sur le document. Le léger grattement du stylo résonne dans toute la pièce. Elle signe.

Elle repose le stylo, ses doigts s’en détachent lentement, prolongeant ce supplice. Je la fixe, incapable de détourner les yeux. Elle m’observe une dernière fois, un regard indéchiffrable — mélange d’amertume, de colère, et peut-être d’espoir brisé.

C’est mon tour maintenant. Le notaire me tend le stylo, et il semble peser des tonnes. Ce n’est qu’une signature, mais elle me paraît bien plus que cela. C’est un saut dans le vide.

Mon père me considère comme un gravier dans sa chaussure. Il a tout faux, je peux être un roc si je veux. Giulia me voit comme un manipulateur. Mais elle se trompe aussi. Je vais lui prouver qu’elle a tort. Et ce pacte, ce piège ? Je vais y entrer tête la première. Je vais signer ces foutus papiers, non pas parce que j’y crois, mais pour cesser de faire ce qu’on exige de moi.

Les regards convergent vers moi, étincelants de suspicion. Comme des prédateurs prêts à bondir. Ils veulent voir si je vais craquer, d’autres s’attendent à me voir tout gâcher. Mon cœur s’emballe. Je joue gros, et je ne peux pas perdre.

Je baisse les yeux vers le document. Le nom de Giulia brille déjà, net, déterminé. Mes doigts se crispent autour du stylo. Je prends une profonde inspiration et, d’un geste presque automatique, j’appose mon nom. Un doigt d’honneur. Un pavé dans la mare qui emmerde tout le monde. Le grattement du stylo paraît plus fort que jamais, chaque courbe de ma signature marquant une étape supplémentaire dans cette chute.

Je repose le stylo, le cœur battant à tout rompre. C’est fait.

Rien ne sera jamais plus pareil.

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A propos de l'auteur

Matthieu Biasotto

Auteur indépendant toulousain, rêveur compulsif et accro au café. J'écris du thriller, du suspense avec une touche existentielle.

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[…] novembre 2024 F par Matthieu Biasotto 7 novembre 2024 Commenter Faida – Chapitre 25 Retour en haut Faida – Chapitre […]

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