Faida – Chapitre 81

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Les Ombres du Café Abandonné

giulia

5 JOURS AVANT L’ACCIDENT…

Le matin du rendez-vous, je me prépare avec un soin particulier, comme pour un événement crucial. Chaque geste, chaque choix semble chargé de sens. Naïvement, j’espère raviver ce lien fragile entre Gianni et moi, une connexion qui s’effiloche chaque jour. J’enfile une robe que je n’ai pas portée depuis longtemps, celle que je portais à Atrani, à l’époque où tout semblait simple. J’espère qu’il la remarquera, qu’il se souviendra.

Je me maquille lentement, dissimulant les traces de la nuit sans sommeil. Mon esprit a tourné en boucle, imaginant mille scénarios pour cette rencontre, anticipant toutes les fins possibles. Chaque coup de pinceau est une tentative de camoufler la peur, les doutes qui me rongent. Devant le miroir, je ne vois qu’une femme perdue dans ses incertitudes, qui attend un amour qui lui échappe.

Ma mère s’approche, toujours attentive. Elle ajuste un pli sur ma robe avec un sourire doux, mais ses yeux trahissent son inquiétude.

— Giulia, tu es magnifique aujourd’hui. On dirait que tu as un grand rendez-vous.

Ses mots réchauffent mon cœur, mais renforcent l’idée que ce rendez-vous n’est pas sans enjeu. Peut-être notre dernière chance, à Gianni et moi, de sauver ce qu’il reste. Comment pourrais-je lui expliquer ça ? Je me contente de lui sourire en retour, un sourire qui ne dissipe pas l’angoisse.

La nuit précédente a été un enfer. Mes doutes m’ont poursuivie sans relâche. Les souvenirs de Gianni et moi, autrefois clairs et lumineux, me semblent flous, lointains. Était-ce réel ? Ou me suis-je accrochée à une illusion ?

Arrivée au café bien avant l’heure prévue, mon cœur bat si fort que j’ai l’impression qu’il pourrait résonner dans la salle. Ce lieu, autrefois empreint de souvenirs chaleureux, me paraît aujourd’hui froid, dénué de vie. Je m’assois à notre table habituelle, les mains moites, l’esprit envahi par un tourbillon de pensées. Et s’il ne venait pas ? Chaque minute qui passe est une torture. Je scrute chaque personne qui entre, espérant que ce soit lui.

Puis, mon téléphone vibre.

Mon cœur s’emballe. Un message de Gianni.

« Je suis désolé, Giulia. Mon vol est avancé, je ne peux pas venir, je dois m’enregistrer à l’aéroport de Naples plus tôt. On peut reporter ? »

Les mots me frappent comme une décharge. Je les relis encore et encore, espérant y trouver un autre sens. Mais non, ils sont là, secs, détachés. Il m’abandonne. Encore une fois.

Une larme glisse sur ma joue, silencieuse. Tout l’espoir que j’avais mis dans cette rencontre s’effondre. Je suis épuisée d’attendre, d’espérer. Le serveur s’approche, et je tente de ravaler mes émotions, mais la douleur est trop forte. Je change ma commande pour quelque chose de plus fort. Je n’ai jamais bu en pleine journée, mais aujourd’hui, c’est différent.

Mon téléphone est toujours dans ma main, mes doigts tremblants tandis que je tape un message.

« Et tu comptes revenir un jour ou tu vas continuer à me fuir ? »

J’appuie sur « envoyer » sans hésiter. Je vois qu’il a lu le message, mais aucune réponse ne vient. Ce silence est pire que tout. Être ignorée, après tout ce que nous avons partagé, me fait plus mal que je ne peux l’admettre.

Je tape un autre message, cette fois-ci plus réfléchi, chaque mot pesé avec soin.

« Gianni, peut-être qu’on a besoin de réfléchir à tout ça. On devrait peut-être faire une pause. Une vraie pause. »

J’appuie sur envoyer, le cœur lourd avec l’espoir de secouer Gianni. De provoquer un électrochoc. Quelques minutes plus tard, sa réponse arrive. Elle est courte, froide. Elle me prend presque à revers.

« Oui, je pense que c’est nécessaire. »

Six mots. Six petits mots qui résonnent comme une condamnation. Tout ce que j’ai tenté de protéger, tout ce pour quoi je me suis battue, se dissout dans ce fichu texto. Je reste figée, incapable de bouger, les yeux rivés sur mon verre. Mais pas ici. Je ne pleurerai pas ici.

Je me lève et quitte le café. L’air du matin est froid et mordant. Chaque pas que je fais m’éloigne un peu plus de cette rencontre manquée, et me rapproche d’une nouvelle réalité : Gianni et moi, c’est fini.

De retour à la maison, je m’effondre, incapable de contenir le flot de chagrin qui me submerge. Mon sac glisse au sol, et je me laisse tomber le long du mur, les larmes coulant sans fin.

Ezio est là, assis dans le salon. Il n’a pas besoin de poser de questions. Il comprend. Il s’approche et pose une main réconfortante sur mon épaule. Mais je sens la tension dans ses gestes, une colère sourde qu’il ne peut plus dissimuler.

— C’est à cause de lui, n’est-ce pas ?

Je hoche la tête, incapable de parler. Rien que de penser à Gianni me déchire. Ezio serre les poings. Il ne dit rien de plus, mais je sais qu’il ne lui pardonnera jamais.

C’est alors que mon téléphone sonne. Et ce n’est pas Gianni.

— Giulia ? C’est Marisa… Je suis au port. Il y a des policiers autour de La Speranza.

Mon cœur rate un battement. J’écrase une larme, cherchant à me ressaisir.

— Quoi ? Qu’est-ce qui se passe ?

— Ils parlent d’un décret de vétusté. Ils ont dressé un périmètre de sécurité. Ils disent que le bateau est trop abîmé, qu’il doit être mis en conformité.

Ses mots me frappent de plein fouet. J’ai du mal à respirer.

Ezio se lève d’un bond, prêt à agir.

— On y va. Maintenant.

 

Gianni

Le vol quitte Naples pour la Calabre. Tandis que l’avion monte, je suis envahi par mes pensées, incapable de fuir ce tumulte qui me hante. Chaque vibration résonne en moi, mais ce n’est pas le bruit des moteurs qui m’obsède. C’est la culpabilité, ce message froid envoyé à Giulia, qui a éteint toute chaleur en moi. Je me dis que c’était nécessaire, pour la protéger de ce monde trop sombre pour elle. Pourtant, une amertume me ronge. Chaque décision nous éloigne davantage, creusant un fossé que j’essaie d’ignorer.

Je savais que je ne pouvais pas reporter ce vol. Cette mission en Calabre est cruciale pour la famille. Mais ici, dans l’immobilité de l’avion, je me demande si j’ai fait le bon choix. Aurais-je dû rester avec elle ? Ces questions m’enchaînent, me clouant sur mon siège.

Lorsque l’avion atterrit à Reggio de Calabre, l’air est lourd, saturé de tensions invisibles. Isabella m’attend, impeccable comme toujours, son sourire figé dissimulant à peine son regard calculateur. Elle m’embrasse brièvement, ses mots anodins dégoulinant de venin.

— Tu es enfin prêt à prendre ta place.

Je reste impassible, mais le malaise grandit.

— Prêt ou piégé, c’est une question de perspective, non ?

Je la scrute, cherchant une faille. Elle rit, un son froid et mécanique.

— Celui qui maîtrise les perspectives l’emporte toujours.

Ses mots glissent avec une facilité désarmante. Je serre les dents, tentant de contenir ma frustration. Nous montons dans une voiture, et le silence devient écrasant. Le chauffeur, rigide, évite nos regards. Ce n’est pas un simple conducteur. Tout en lui crie le danger.

— Joli choix de taxi, Isabella. Tous les chauffeurs ici sont aussi… bien équipés ?

Elle ne me regarde même pas, se contentant d’un léger sourire.

— Il vaut mieux être prêt à tout. Les affaires, Gianni, c’est autant une question de sécurité que de profit.

Je ravale ma frustration.

— Et de loyauté, non ?

Je la provoque. Elle rit sèchement avant de répondre, ses mots plus incisifs que prévu.

— La loyauté ? Ici, c’est une denrée rare.

Ses paroles résonnent en moi, un avertissement. Je ne laisse rien paraître. La ville de Gioia Tauro défile, sombre et menaçante, à travers les vitres.

À l’entrepôt, l’angoisse monte. Isabella avance avec assurance, comme si elle possédait les lieux. L’intérieur, vaste et froid, respire un chaos maîtrisé.

— Je suppose que tu te demandes pourquoi tout cela t’a été confié, dit-elle, sa voix douce mais tranchante.

Je reste silencieux.

— Tu vas diriger une filiale de l’O.D.M., un joyau caché dans l’empire Rossi. Et pour… nos partenaires aussi…

Mon regard se fixe sur les barils étiquetés « 6.1 » et « 7 ». Un frisson me parcourt. Isabella continue, imperturbable.

— Que signifie le chiffre 7 ?

— C’est l’indice IMDG pour les cargaisons radioactives. Celles dont personne ne veut.

Ces substances mortelles, prêtes à être jetées en mer, sont désormais sous ma responsabilité. Une nausée monte, mais je reste impassible.

— Qu’est-ce qu’on attend de moi ?

— Tu vas gérer une société de stockage portuaire pour l’O.D.M., essentielle à nos affaires ici… et à celles de Signor Bianco.

— Qui est Signor Bianco ?

Son sourire vacille un instant. Elle rit, tranchante.

— Dois-je vraiment te faire un dessin ? Massimo est Signor Bianco. Un nom qui inspire respect et terreur.

Le sol se dérobe sous mes pieds. Mon oncle, Signor Bianco. Ce surnom, murmuré dans l’ombre, n’est pas qu’une rumeur. C’est une menace omniprésente.

L’O.D.M., ce système corrompu lié à ma famille, m’engloutit maintenant. Je suis au centre de ce mécanisme implacable.

— Et je suis censé m’occuper de quoi, exactement ?

Ma gorge se serre, mais je garde un masque impassible. Isabella sourit, acérée.

— La logistique, bien sûr. Ces marchandises « particulières » trouvent ici leur dernière demeure avant de… disparaître en mer.

Ces barils ont tué ma sœur, Chiara. Ces déchets toxiques sont sous ma surveillance. L’image de Giulia me traverse. Elle ne comprendrait jamais, ne pardonnerait jamais. Cette obscurité, je m’y enfonce.

Je pense à mon père. Aurait-il voulu cela ? Me voir piégé dans cet engrenage ? Et Chiara… morte à cause de cette machination. Comment ai-je pu être si aveugle ? Il est trop tard pour fuir.

Loyauté familiale ou principes ? Ici, face à Isabella, je dois jouer le jeu.

— Tu comprends l’importance de cet endroit ? Ce n’est pas juste un entrepôt. C’est ici que tout se joue.

— Tout se joue… pour qui ?

Son sourire devient plus cruel.

— Pour des hommes puissants, que tu ne veux pas décevoir. Des hommes comme Signor Bianco.

Le nom résonne comme un coup de tonnerre. Je tente de masquer mon malaise derrière le sarcasme.

— Mon oncle aime les surnoms théâtraux. Il aurait pu choisir moins dramatique.

Elle rit, un son glacial.

— Le drame fait partie du jeu. Mais Signor Bianco n’est pas juste un nom. C’est une ombre, qui plane sur tout ce que tu vois ici… et bien au-delà.

Je fixe les barils alignés. Ces conteneurs toxiques, prêts à être éliminés, symbolisent une mort insidieuse. Ce commerce interdit va reprendre, et moi, je suis au cœur de ce cauchemar.

— Combien te paie-t-il pour raconter cette version macabre de la réalité ?

Je serre les dents. Isabella s’arrête, triomphante.

— L’argent ? Ça n’a rien à voir. C’est une question de pouvoir. Ton oncle n’a pas besoin de payer pour sa réputation. Il est la loi ici. Tu ferais bien de suivre les règles…

Le piège se referme. Chaque pas m’éloigne un peu plus de Giulia, de mes principes, de celui que j’étais.

— Je vais chercher les contrats. Reste sage. Tu peux jeter un œil à ton futur bureau… Il va falloir qu’on te trouve une équipe.

Ses talons claquent, chaque bruit évoquant une bombe à retardement. Elle se retourne, son téléphone en main, son sourire aiguisé.

— Je reviens… Je suis sûre que tu seras aussi doué que ta sœur.

Si cette histoire te plaît, partage-la avec ceux que tu aimes ! Ensemble, faisons voyager ce roman.

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A propos de l'auteur

Matthieu Biasotto

Auteur indépendant toulousain, rêveur compulsif et accro au café. J'écris du thriller, du suspense avec une touche existentielle.

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