La vraie prison est celle où l’on ne sait même plus que l’on est enfermé.
Czesław Miłosz
Tu tiens encore mon fil ? Merci de ne pas me virer de ta cuisine tout de suite. C’est que tu as du courage, j’apprécie. On l’a vu à l’instant, vivre sur la route est devenu suspect. Bricoler ton autonomie est presque impossible. Vivre dans une tiny house, c’est compliqué. Du coup, tu n’as pas droit que de signer pour le pavillon et trente ans de crédit. On comprend très bien pourquoi…
Le constat est simple : vivre 100 % autonome est devenu, de fait, quasi impossible. Même si tu produis ton électricité, même si tu captes ton eau, la loi t’oblige à te raccorder aux réseaux. Point barre.
Ton potager n’est pas encore taxé (ouf), mais certaines communes imposent déjà déclaration dès 5 m², ou fixent des distances absurdes. Cinq mètres carrés, c’est quoi ? Deux rangées de salades et trois de tomates.
Bref : l’eau, l’énergie, la bouffe — tout devient ressource sous permis d’État.
On l’a vu précédemment avec mes lettres de refus, le choix éducatif s’est transformé en suspicion. Dans le cadre de l’instruction en famille, la liberté parentale est confisquée. Aujourd’hui tu n’as le choix qu’entre 4 cases, 4 motifs à invoquer pour que l’état examine ton dossier, sans garantir de te délivrer l’autorisation tant convoitée. Les 4 cases sont santé, sport, itinérance, ou projet éducatif validé – et tu dois avoir le bac minimum. Tout le reste = rejet.
Ton enfant finit alors dans l’école publique en ruine, formaté ou broyé.
Et pendant qu’on parle de broyat : depuis 2025, certaines communes expérimentent ou déploient des poubelles à puce RFID. Tu vois, j’en parlais dans le prologue… Cette idée de génie permet de comptabiliser et de facturer les collectes selon leur fréquence ou leur poids (avec une tarification incitative au volume). Par exemple, tu as 18 collectes par an autorisées, au-delà de quoi un surcoût s’applique. Dans « la Pelote de Laine », je t’avais parlé d’un futur « pass carbone », tu en as ici les prémices.
Plus fou encore il existe même des sacs poubelles RFID. Oui le sac poubelle connecté ! En Italie, chez Plastisac, chaque sac est doté d’une puce — il est scanné à chaque collecte, transmis à la mairie ou la régie pour calculer ce que tu dois payer. Mieux encore, certains systèmes te facturent ta poubelle selon ce que tu jettes, grâce à un capteur dans la poubelle elle-même. Ce n’est pas de la fiction, c’est déjà du concret.
Tu penses que ça va trop loin ? Continuons à tirer sur le fil, dans un tout autre registre…
Si tu veux jouer un morceau dans la rue, sans permis, c’est mort. Il te faut une autorisation de la mairie. Sinon, dès que ça dépasse un certain volume ou que ça dérange, boom : amende ou matériel confisqué. Jusqu’à 1 500 € dans certains bleds. À Paris, il faut même un accord de la préfecture, et tu ne peux jouer qu’à des endroits bien précis.
Tu aimerais te poser autour d’un petit feu pour une soirée chamallows ? Tu ferais mieux d’aller voir ailleurs : à moins de 200 m d’une forêt, c’est quasi interdit. Amendes assurées si tu fais un faux pas.
Tu veux vivre autrement, en communauté, en mode éco-symbiose loin du béton ? Tu pensais, comme moi, que l’État te laisserait faire ? Erreur…
À Notre-Dame-des-Landes, des gens ont façonné une zone autonome anti-capitaliste, à coups de fermes collectives, de musiciens, d’ateliers et de pain à prix libre — jusqu’à ce que l’État vienne tout démolir. On appelle ça la « régularisation »… mais c’est une expulsion militaire.
Concernant les écovillages et les habitats groupés, tu dois rédiger une charte, convaincre la mairie, négocier le PLU[1]. Au moindre désaccord, tout s’écroule. Impossible de sortir du modèle, sauf à réinventer le quotidien sous le spectre autorisé.
En clair, toute envie d’expérimentation sociale est surveillée, criminalisée ou refoulée sous couvert d’urbanisme ou de sécurité. Ta liberté de vivre ensemble est encadrée, tolérée juste assez pour être cassée.
Au niveau de la consommation et de la dépendance forcée, ce n’est pas beaucoup mieux. Tout a été pensé pour nous enfermer petit à petit.
En France, les paiements en espèces ont chuté de 50 % en 2019 à 43 %en 2024, pendant que les cartes et sans‑contact explosent. Et pour la première fois en 2024, les paiements par carte ont dépassé ceux en liquide aux caisses.
Tu veux justement payer en liquide ? C’est limité à 1000 €. Et de plus en plus d’administrations refusent carrément le cash.
Du coup, ton argent devient traçable, programmable. Comme je l’avais écrit dans le premier opus « La Pelote de Laine », l’euro numérique est la prochaine étape : une monnaie que l’État pourra limiter dans le temps, l’usage ou la destination.
On comprend que contrôler ton fric, c’est contrôler ta vie. On te pousse tranquillement vers les applis, les cartes et les terminaux. Tu dématérialises, tu te fies à la tech, tu laisses ton empreinte un peu partout. En ce sens, payer direct en liquide devient un acte de résistance, presque illégal par omission.
L’échange de services, l’économie de proximité ou de solidarité ne passe pas non plus sous les radars du système. Dès que ça se fait « sous le manteau », l’État crie au « travail dissimulé ». Même un échange contre un peu de bonne volonté ou un petit service est potentiellement illégal. Le code du travail l’interdit formellement, sans nuances. Qu’il fait bon vivre en République, n’est-ce pas ?
Poursuivons ce tour d’horizon de nos libertés estropiées. J’aimerais à présent une minute de silence pour enterrer définitivement l’idée de cartes SIM anonyme. En France, l’achat d’une carte SIM prépayée exige une identification systématique, même pour les recharges dès le premier euro. Impossible de ne pas être fliqué.
Déjà que sur internet, les données techniques comme l’adresse IP, l’heure, la durée de connexion, le destinataire doivent être conservées pendant un an par les FAI et opérateurs… La loi française prévoit maintenant une surveillance algorithmique (renseignement).
Tu as bien lu. Oui. Je te parle d’un traitement automatisé pour identifier des comportements considérés comme menaçants, via des algorithmes contrôlés par un service interministériel sous supervision d’une autorité (CNCTR[2]).
Parlons santé, à présent. Ton corps ne t’appartient plus vraiment. La « liberté vaccinale » ? Tu sais très bien qu’elle est limitée. Sans les vaccins obligatoires, ton enfant ne peut pas aller en crèche ni être admis — ni maintenu — à l’école[3]. En France, les soignants ayant refusé le vaccin COVID, ont été suspendus — sans salaire. Ceux qui sont passé par là y ont laissé leur vie professionnelle, leur dos, leur dignité.
Quant au pass sanitaire, c’était ton ticket d’entrée dans le monde « normal », durant les heures les plus sombres de la pandémie : resto, train, hôpital… plus de QR code, plus d’accès. (Sauf si tu savais bricoler un code à partir d’un test négatif ou d’un faux.)
Et ce n’est pas fini : ton dossier médical est devenu la base de données centralisée de ta santé. Tout y passe, vaccins, traitements, maladies chroniques. Un clic, et n’importe quel écran médical habilité peut y accéder. Ton corps devient un dossier administratif partagé.
Pour la médecine douce ? Haut les mains. Les thérapeutes alternatifs, naturopathes, herboristes… sont dans le viseur. Si leurs pratiques ne sont pas scientifiquement validées, le code santé t’interdit de les présenter comme inoffensifs. Pire, ton portail Doctolib peut désindexer des milliers de praticiens du bien-être sans le moindre scrupule.
En clair, ton corps c’est de la donnée, ton accès à la société passe par un code, et toute pratique hors du canon est criminalisée.
Du côté de la bouffe, ce n’est pas beaucoup mieux. Le lait cru, tu crois que tu peux l’acheter à la ferme ? Mauvaise pioche. En théorie, oui, mais en pratique, c’est un parcours du combattant. Il faut que la ferme coche toutes les cases : un troupeau contrôlé, des analyses régulières, des bidons aseptisés, une étiquette « à faire bouillir » en gros caractères… et si l’inspecteur sanitaire juge que ça ne va pas, l’autorisation saute aussitôt. Ton paysan devient hors-la-loi en une signature.
On aimerait tous soutenir les circuits courts, les AMAP[4] et la vente directe. Mais la réalité, c’est que les petits producteurs subissent une montagne de paperasse, de contrôles, de normes sanitaires dignes d’une usine. Résultat : au lieu de libérer ceux qui te nourrissent, on les enchaîne à la même bureaucratie que la grande distribution. Des fois qu’on pourrait se nourrir sainement hors des grandes enseignes…
D’ailleurs, les marchés libres, tu crois qu’ils tiennent le choc ? Grosso-modo 85 % de ta bouffe vient du Leclerc ou Carrefour du coin. Ils ont musclé le jeu via les centrales d’achat, les acheteurs de gros, et ont dévoré l’indépendance alimentaire locale.
Au bout du compte, ton autonomie alimentaire est en kit. Ça fait froid dans le dos, pas vrai ?
Je sais, ça commence à faire beaucoup…
Tu pourrais me dire « C’est un scandale ! Il faut aller dans la rue ! Faire entendre notre voix ! » Le hic, c’est qu’en France, toute manifestation doit être déclarée au maire ou au préfet entre 3 et 15 jours avant. En cas d’absence ou de déclaration inexacte, tu risques jusqu’à 6 mois de prison et 7 500 € d’amende. Pour couronner le tout, les autorités peuvent interdire une manifestation si elles estiment qu’elle pourrait troubler l’ordre public. En gros, tu as le droit de battre le pavé, tant que c’est inutile, programmé et entouré de cordons de CRS.
Ça va même plus loin… Parfois, une simple réunion citoyenne suffit à être rangée dans la case « attroupement illégal » et dispersée manu militari. Tu peux même te prendre un an de prison et 15 000 € d’amende, rien que pour avoir refusé de bouger après sommation.
Toujours dans le même registre — et pour nous empêcher de nous rassembler, ce serait une très mauvaise idée d’organiser une free party ou une fête impromptue. Vraiment, passe ton chemin. Si elle réunit plus de 500 âmes sans déclaration, l’État t’envoie l’amende et pique ton matériel — sono, tables, micros — pour six mois.
Tes envies de nature n’échappent pas au phénomène. Tu veux planter un arbre librement ? Attention, certaines espèces sont interdites, ton terrain est sous le contrôle de Bruxelles.
Tu aimerais couper ton bois de chauffage ? L’affouage est réglementé, il y a des zones protégées et des autorisations obligatoires à dégainer.
Tu veux juste dormir une nuit sous les étoiles en forêt ? Illégal sans autorisation et interdit dans pas mal de parcs nationaux. La nature elle-même est devenue un espace clos sous badge administratif.
Tu vois le tableau dans son ensemble à présent ? On ne parle pas d’un petit excès de zèle, ni de quelques règles isolées.
Je ne suis pas un hippie parano qui connecte des points imaginaires devant ta gazinière : c’est systématique. Chaque pan de ta vie possède sa laisse, qu’il s’agisse de ton toit, ton feu, ton jardin, ton gosse, ton corps, ta santé, ton fric, ta bouffe, tes fêtes, ta famille, même tes nuits à la belle étoile.
Tout est fiché, codifié, autorisé ou interdit. La cage est partout. Et plus tu la regardes, plus tu te rends compte qu’elle se referme sans bruit, barreau après barreau. Loi après loi.
Le pire, c’est que rien ne laisse croire que ça va s’arrêter. Au contraire. Chaque année, une nouvelle couche s’ajoute, un nouveau gadget, une nouvelle interdiction « pour ton bien ». On croyait avoir touché le fond avec le pass sanitaire, et pourtant…
Regarde autour de toi, les normes se durcissent, les puces se multiplient, les caméras s’affûtent, les algos remplacent les clés.
C’est ça, la vraie prison… celle qui se construit lentement, à coups de petits décrets, d’habitudes forcées. Celle où on finit par remercier nos geôliers pour la propreté des barreaux.
Tu sais, Vaclav Havel disait « Le plus grand danger pour la liberté n’est pas la répression, mais la routine d’une vie confortable dans un système mensonger. » Je crois que ça illustre parfaitement la situation fâcheuse dans laquelle on se trouve. Et cette situation, il faut avoir le courage de la regarder en face.
Il est temps pour moi de t’inviter à observer les deux derniers mandats de Macron. Parce qu’en termes de réduction de libertés, le monsieur n’a pas chômé. Tire doucement sur la ligne de temps, ça va tout de suite te parler :
Sous Macron I (2017–2022), on a eu droit essentiellement à une approche « Contrôle sanitaire et sécuritaire ».
En 2018, on nous pond la loi « anti‑fake news » (n° 2018‑1202 du 22 décembre 2018) qui renforce le contrôle des médias et des réseaux sociaux pour lutter contre la « désinformation ».
En 2019, c’est la fameuse Loi d’Orientation des Mobilités (LOM) – à l’origine des non moins célèbres Zones à Faibles Émissions (ZFE).
De 2020 à 2021, on a droit aux Confinements et Pass sanitaires (loi du 31 mai 2021). Comment oublier cette sombre période, le fameux QR code obligatoire pour voyager ou accéder à certains lieux ?
En 2021, on retrouve donc la célèbre Loi « séparatisme » (n° 2021-1109) – celle qui force le passage de l’instruction en famille d’un régime déclaratif à un régime d’autorisation.
Et on termine ce mandat en beauté avec la Loi « Sécurité globale » (n° 2021-646) – qui légalise des drones de surveillance et des caméras embarquées.
En quelques lignes, on se rend compte que les premiers pions de la Macronie sont placés sur l’échiquier. Et on ne va pas tarder à se faire rafler notre cavalier, nos fous et nos tours avec Macron II.
Comme on l’a vu dans le prologue, l’interdiction des chaudières au fioul (néo-installations) tombe dès juillet 2022.
2023 est marquée par la loi Climat et Résilience, mais surtout par la généralisation des ZFE.
En mai 2024, on a le blocage de TikTok en Nouvelle-Calédonie (jugé illégal par le Conseil d’État en avril 2025.)
Pour 2025, on a, entres autres, l’obligation d’enregistrement en mairie pour les locations Airbnb et la loi « Digital Majority » – l’inscription aux réseaux sociaux est interdite aux moins de 15 ans sans consentement parental.
Il y a une nette tendance qui se dégage, tu ne trouves pas ? Amnesty International, la Ligue des Droits de l’Homme ou Basta ! dénoncent d’ailleurs cette accumulation de lois liberticides sous prétexte de sécurité ou de bien-être.
On dira ce qu’on voudra mais, Macron I a tapé fort : état d’urgence à rallonge, flicage massif, drones et QR codes à tous les étages.
Macron II, lui, n’a pas besoin de matraque… il t’enferme en douceur, à coups de micro-interdictions. Fumer, rouler, louer, cultiver, habiter autrement, même naviguer sur Internet — tout est encadré.
Toutefois, s’arrêter à notre cher président serait une erreur. Le piège est plus vicieux qu’il en a l’air. Et il ne se limite pas à nos frontières. L’Europe déroule la même partition, sur le même agenda.
En 2017, l’Allemagne dégaine le NetzDG. Les plateformes doivent censurer fissa tout contenu jugé « illégal » sous peine de grosses amendes. L’autocensure s’installe.
En 2022, l’Europe sort le Digital Services Act : officiellement pour « protéger les citoyens », en réalité ça met les plateformes sous tutelle permanente à base de modération, de transparence forcée, de rapports obligatoires. Depuis février 2024, c’est appliqué à la loupe.
2023, place à l’AI Act : premier carcan légal sur l’intelligence artificielle. Présenté comme une régulation « responsable », ça ouvre en fait la porte à un contrôle serré de tout ce qui touche aux algos. Entrée en vigueur progressive dès 2025–2026.
Et 2025, c’est le jackpot bureaucratique :
Tu as le Data Act, qui encadre l’accès et le partage de tes données personnelles et pro (mise en route dès septembre 2025).
Et puis tu as le Data Governance Act, qui met la main sur les données publiques et privées. Idem, c’est effectif en septembre 2025.
Comme tu peux le constater, ça commence par des lois « ciblées » soi-disant contre la désinformation, ça continue avec des usines à normes comme le DSA ou l’AI Act, et ça finit par gratter jusqu’à ton intimité numérique : tes données, tes messages, tes gosses.
Bref, d’abord ils verrouillent le discours, ensuite ils verrouillent le système, et à la fin ils verrouillent ta vie. Et pour parvenir à cadenasser ton existence, ils n’utilisent pas que des textes de lois. Non, les élites usent et abusent d’une myriade de dispositifs techniques destinés à contrôler notre quotidien… Tire sur le fil du prochain chapitre et laisse-moi t’offrir un tour d’horizon des plus éclairants.

[1] Plan Local d’Urbanisme
[2] Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
[3] Hors admission provisoire de 3 mois prévue par la loi
[4] Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne