Lazar – Chapitre 4

L

Chapitre 4

Talya

Que ce soit de la chance ou un simple hasard provoqué par mes démarches, il y a une chose dont je suis sûre après la lecture de ce courrier, c’est qu’il me faut saisir cette opportunité. N’en déplaise à ma mère, je termine de boucler mes affaires malgré la tonne de remarques désobligeantes qu’elle martèle. « Tu es tellement crédule », la phrase ricoche contre les murs pastel de cette chambre que je m’apprête à quitter. Il est temps de vivre mon rêve pleinement, de revenir au sommet, c’est ce que je me répète en regroupant les esquisses de mes tenues de scène avant de ranger soigneusement ma machine à coudre dans sa boîte.

— Tu comptes prendre ta Singer ? Si tu crois que tu vas passer le semestre, tu te mets le doigt dans l’œil Talya !

— Et pourquoi pas ?

— Je ne te donne même pas trois mois avant que tu ne reviennes à Saint-Pétersbourg, désenchantée et enfin lucide.

— Laisse-moi y croire, maman. Au moins, un peu… On verra bien.

— Te laisser croire que tu es parmi les meilleures patineuses du pays ? Ne compte pas sur moi.


Des valises sous les yeux, face à la rudesse de ses mots, je m’empare de mes compléments alimentaires et de mes cachets sur la table de nuit, puis j’enfourne le tout dans la poche latérale de mon sac de sport. Je crois que je suis fin prête.

— Ne me regarde pas comme ça, maman. Tout va bien se passer, je…

Soupesant mes bagages, je consulte l’heure et songe à mes billets pour me rendre dans la capitale.

— Tu quoi, Talya ? Tu ne termines même pas tes phrases. Tu vois bien que tu n’es pas en état.

L’espace d’un instant, j’aurais juré avoir prononcé chaque mot de mes pensées. Il faut croire que je souffre encore de quelques séquelles.

— Je disais que je te le promets. Tout ira bien.

— Comment peux-tu en être aussi sûre ? Tu as conscience que tu as des choses à cacher ?

Je baisse la tête, en signe de reddition, mais rien ne me fera changer d’avis. Dans un murmure rauque, je m’entête. Je réponds que je souhaite dire au revoir à ma grand-mère avant de partir, et me dirige vers la porte.

— Talya… Ouvre les yeux, tu ne pourras jamais être à la hauteur. Tu seras incapable de tenir le rythme, tu le sais très bien. Surtout depuis que…

Au-delà du ton acerbe, je sens une pointe d’inquiétude dans sa dernière tirade. Je me contente de la regarder une dernière fois, bien décidée à ne pas lui donner raison. Si je garde le silence, et ravale mes larmes, c’est parce que je tiens à sourire encore un petit peu en me rendant au chevet de mamie Olga de l’autre côté de la maison.

*

Petit bout de femme, toussotant au fond de son lit, ma grand-mère est le rayon de soleil de ma vie. Ses cheveux sont blancs, son visage est marqué par de nombreux printemps, mais elle conserve dans ses yeux clairs, l’étincelle espiègle d’une dame distinguée et coquette. C’est elle qui m’a donné la passion de la couture, et c’est elle qui m’encourage depuis ma tendre enfance à patiner. Elle était danseuse au prestigieux théâtre du Bolchoï, je crois que j’ai toujours été fascinée par l’élégance et la grâce qui transpirent dans chacun de ses gestes d’ex-soliste. Même malade, même affaiblie, au rez-de-chaussée de la maison familiale, elle tient à être maquillée et à porter quelques notes d’eau de Cologne sur sa petite laine.

— Talya, viens là, approche solnychka.

Solnychka… Elle me surnomme toujours son petit soleil, pourtant c’est elle qui illumine chacun de mes tunnels.

— Tout va bien mamie ?

Elle me l’assure d’un signe de la tête, pourtant sa quinte de toux m’inquiète, mais pas autant que la tache rouge qui marque le mouchoir en tissu qu’elle porte à sa bouche avant de l’enfouir dans la manche de son gilet.

— Je vais m’absenter, je dois partir, mamie.

— Oh, partir ?

— Je vais rejoindre l’équipe nationale.

Là, sa figure s’illumine, chacun des sillons de sa peau converge en un splendide sourire qui me réchauffe le cœur. J’avais juste besoin d’un peu de compassion.

— Je suis si fière de toi, viens dans mes bras.

La tête enfouie dans son cou, réfugiée dans la seule qui me soutienne vraiment, une larme dévale ma joue. Elle va me manquer, et cette idée me fend le cœur.

— Je serai au centre de formation Sovetov. Je t’écrirai, je t’appellerai, mamie.

— Ne t’inquiète pas pour moi. File vers ton destin et reviens-moi avec une médaille.

— Je te le promets. Je te ramènerai de l’or, Babouchka.

J’inspire, la poitrine tremblante sous le poids d’un spasme naissant à cause des doutes qui m’assaillent. Puis je lui confie : « J’espère être à la hauteur, ça ne sera pas facile… » Elle tapote doucement ma tête, en me suggérant de faire bien attention à moi. Je dois l’admettre, sentir ses doigts sur mon cuir chevelu est encore douloureux. Saleté de traumatisme crânien. Je me redresse, sèche l’unique perle de sel qui signe nos au revoir et elle effleure ma joue tendrement.

— Rappelle-toi ce que je dis toujours : ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que l’on n’ose pas…

— C’est parce que l’on n’ose pas que les choses sont difficiles.

 

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A propos de l'auteur

Matthieu Biasotto

Auteur indépendant toulousain, rêveur compulsif et accro au café. J'écris du thriller, du suspense avec une touche existentielle.

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