Faida – Chapitre 13

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Les Lames de l’Aube

Giulia


Je me réveille en sursaut, suffocante. Mon cœur cogne si fort qu’il fait trembler mes côtes. Le bruit des pales d’un hélicoptère envahit la cabane, comme un roulement de tonnerre qui déchire les murs de bois. Une fureur mécanique. Sourde, implacable, qui résonne jusque dans mon crâne. Ce son… un présage ? Le survol me secoue comme si la réalité elle-même se déchirait. Mes souvenirs s’effacent, remplacés par des images de fuite, de peur. Les éclats d’un rêve brisé. Tout se mélange dans ma tête, dans mon corps. Une panique brute monte, glisse sous ma peau, tapie dans les ombres du matin.

— Gianni ! C’est quoi cet hélico ?

Ma voix se perd dans le bois craquant sous le vent. La lumière grise du matin traverse les volets, projetant des ombres tranchantes. La cabane, qui hier encore me protégeait, me semble aujourd’hui hostile. Quelque chose cloche. Le vide me guette, prêt à m’engloutir.

— Gianni ?

Ce n’est pas son absence qui fait mal, mais l’incertitude qui s’installe lentement. Le bruit de l’hélico s’éloigne, laissant derrière lui un silence encore plus lourd. Les vrais départs ne font pas de bruit. Ils s’effacent doucement, emportant avec eux ce qu’on pensait acquis, jusqu’à ne laisser qu’un vide qu’on ne sait plus comment combler.

Gianni… il n’est plus là. La couverture rêche est vide. L’humidité s’infiltre dans mes os tandis que je me redresse à genoux. La cabane, soudain plus froide, semble avoir perdu toute trace de vie avec lui. Je cherche des yeux, le cœur battant, mais rien. Juste cette impression que tout est sur le point de s’effondrer.

— Il y a quelqu’un ?

Mon cœur bat encore la chamade. Le souffle court, je me lève d’un bond, entraînée par cette peur viscérale. Les repères me paraissent soudain étrangers. Les murs, autrefois si rassurants, se referment sur moi comme les mâchoires d’un piège. La porte claque sous ma main tremblante. Et là, je le vois.

Au bord de l’eau, figé dans une lumière grise et terne, comme une statue de marbre, immuable. Ses cheveux noirs, trempés, collent à son visage anguleux, lui donnant un air sauvage, presque indompté. Ses yeux… ce bleu perçant me transperce, même à distance. C’est comme si chaque éclat d’azur contenait une tempête prête à éclater, un orage qu’il retient à peine. Sa chemise mouillée lui colle à la peau, révélant un corps sculpté par l’endurance, des muscles tendus sous la lumière crue du matin. Mais à présent, il semble distant, trop distant.

Ses épaules sont voûtées, comme écrasées par un poids invisible. Il paraît si détaché, surtout lorsqu’il observe le vol de l’hélicoptère devenu un minuscule point au large. C’est comme si Gianni avait déjà quitté cet endroit. Comme s’il n’avait pas passé la nuit au cœur de cette crique. Son regard fixe l’horizon et l’appareil, mais je sais qu’il ne voit rien. Il est ailleurs, dans un monde où je n’ai plus accès.

Je m’approche, lentement, chaque pas plus lourd que le précédent. Mes pieds s’enfoncent dans le sable, comme un avertissement que je refuse d’entendre. Le bourdonnement de l’hélicoptère s’atténue, remplacé par un silence encore plus pesant. La distance entre nous est bien plus grande qu’elle n’en a l’air. Infranchissable. Il ne bouge pas. Il ne m’entend même pas.

Je m’approche, lentement, chaque pas résonnant dans ce silence pesant. La distance entre nous semble infinie. Il ne bouge pas. Je m’arrête à quelques mètres, incapable de franchir cette barrière invisible. Gianni me devance. Sa voix est froide, détachée.

— On dirait que les secours te cherchent…

Chaque syllabe est un coup de poignard. Les derniers vestiges de la nuit que nous avons partagée s’évaporent dans l’air glacial. Je frissonne. Tout a changé. D’un coup.

Je m’approche encore, ma voix tremble, trahissant l’inquiétude qui me ronge.

— Gianni, ça va ?

Un silence s’installe, plus lourd que la réponse qu’il finit par lâcher, sans émotion.

— Je suis juste fatigué.

Ses mots tombent, implacables et froids, comme une sentence irrévocable. Chaque syllabe creuse un fossé entre nous, un gouffre que je ne mérite pas. Il ne me laisse aucune ouverture, aucun espace pour comprendre ou réparer. C’est déjà fini, et je dois l’accepter. Ça devrait me laisser indifférente. Mais une douleur étrange me transperce la poitrine, me fige sur place. Je baisse les yeux, incapable de soutenir son regard.

Mon attention se porte sur son poignet. Le bandage que je lui ai fait la nuit dernière est maculé de sang séché, vestige cruel de ce que nous avons traversé ensemble. Ce pansement sale est la dernière chose qui nous relie encore. Je tends la main, hésitante, mais mes doigts s’arrêtent en plein vol. Pourquoi ai-je si peur ? Ce simple geste pourrait tout briser, tout anéantir, et j’ai cette certitude glaçante qu’il est déjà parti, qu’il ne reste plus rien à sauver. Alors, je me contente de ce flou désagréable qui nous enveloppe.

Avant même que je puisse prononcer un mot, il reprend, tranchant, d’une voix glaciale :

— On ferait mieux de regagner le port avec le Zodiac avant que tout Positano ne soit inquiet.

Son ton est sans appel, comme un couperet qui tombe. Résolu, sans faille. Sa décision est déjà prise, et je sens, désespérément, que je n’ai plus aucune emprise sur lui. La panique monte en moi, étouffant chaque souffle, faisant trembler ma voix quand je murmure :

— Gianni… mon chalutier… je ne le vois plus.

Il n’y a que le désespoir dans mes mots. Pourquoi est-ce si important ? Pourquoi m’accrocher à ce détail, comme si ce bateau était le dernier fil ténu qui nous retenait encore ensemble ? Il pousse un soupir, et son visage, marqué par la fatigue, s’assombrit encore davantage. Comme si tout ça n’était qu’un poids supplémentaire sur ses épaules déjà lourdes.

— Un autre bateau de pêche est venu le remorquer il y a environ une demi-heure…

Il me répond d’une voix adoucie mais toujours aussi distante. Et ces mots-là, simples, précis, m’écrasent comme une vérité inévitable. La nuit étrange que nous avons vécue ensemble vient de se terminer brusquement. Tout est fini.
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A propos de l'auteur

Matthieu Biasotto

Auteur indépendant toulousain, rêveur compulsif et accro au café. J'écris du thriller, du suspense avec une touche existentielle.

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