L’Ombre d’une Étrangère
Giulia
ici et maintenant…
Je marche dans ce couloir d’hôpital, chaque pas me frappe comme une sentence. La lumière des néons n’est pas ce qui m’écrase, non, c’est autre chose. Ce poids, c’est de savoir que je n’ai pas ma place ici. Je ne fais pas partie de la famille. Je dois attendre, comme une intruse, spectatrice d’une douleur qui ne m’appartient pas. Ils souffrent ensemble, et moi, je suis juste une erreur plantée là, une ombre de trop.
À quelques mètres de la porte de la chambre de Gianni, mes jambes s’arrêtent net, figées comme si un invisible fardeau me clouait au sol. Ce n’est plus seulement une question de distance physique. Entre nous, il y a tous ces mots non dits, ces regrets qui flottent, tout ce qu’on n’a jamais réparé. Une barrière impalpable, créée par les erreurs du passé. Et cette incertitude, elle pèse sur mes épaules comme un manteau de plomb. Chaque respiration devient un effort pour ne pas sombrer, pour tenir face à l’angoisse qui me ronge. J’imagine sa voix, douce, familière, mais c’est le silence qui m’oppresse, un silence lourd, qui me rappelle chaque geste manqué, chaque mot que je n’ai pas su prononcer.
La porte grince soudain, brisant ce calme funeste. La mère de Gianni sort, suivie de Massimo, l’oncle, avec cette présence qui glace tout autour de lui. Leurs visages sont figés par une douleur sourde, devenus presque inhumains. Les yeux de Madame Rossi, gonflés de larmes, me transpercent avec une force qui me fait vaciller. Ce n’est pas de la tristesse que je lis sur son visage, c’est la colère, brute, comme une lame. Chaque pas qu’elle fait me tue un peu plus. Ce n’est même pas Gianni qui m’angoisse, c’est de savoir que même s’il ouvre les yeux, je n’aurai jamais vraiment ma place. Pas avec eux.
Je cherche quelque chose, n’importe quoi, dans leurs regards. Une once de compréhension, un éclat de réconfort. Mais je ne trouve qu’un mur froid. Son silence est plus brutal que tout ce qu’elle aurait pu dire. Elle passe près de moi, sans un mot, comme pour effacer mon existence. Un cri silencieux qui dit : « Tu ne fais pas partie de notre monde. »
Presque dans son dos, Massimo m’adresse un sourire étrange, un rictus déformant ses lèvres en une expression grotesque, comme un avertissement silencieux. Ce sourire, loin d’être un accueil, ressemble à une menace voilée, une promesse obscure qui m’emprisonne davantage dans la confusion. Je reste figée un instant, ma main tremblante sur la poignée de la porte, comme si ce simple geste pouvait m’ancrer à la réalité, me retenir dans ce moment où tout semble sur le point de s’effondrer. Je n’ose plus avancer. Le syndrome de l’imposteur me fauche. Si je pousse cette porte, qu’est-ce que je vais découvrir de l’autre côté ? Mon cœur bat si fort que j’ai l’impression qu’il va exploser, chaque pulsation résonnant dans mes tempes comme un coup de tonnerre, écho de l’orage qui gronde en moi.
Finalement, dans une lenteur qui me semble interminable, je pousse la porte. L’air est glacial, tout dans cette chambre semble figé, comme suspendu depuis l’accident. Les machines bippent, rythme insidieux qui s’infiltre dans mon esprit, se moquant de moi.
Je m’approche, mes jambes lourdes, chaque pas me pèse. Gianni est là, immobile, ses yeux ouverts, mais son visage est impénétrable. Il me regarde, mais je sens le gouffre entre nous. Tout ce que nous n’avons jamais su dire flotte dans l’air, lourd comme du plomb. Mon souffle est court.
Je m’assois à côté de lui. Sa main repose là, inerte. Pas froide, mais lointaine. Je la prends, hésitante, et ce simple contact me réchauffe, un peu, mais je sens que tout est encore brisé. Je le scrute, je cherche, dans chaque trait de son visage, un signe, un éclat de vie. Mais ses yeux sont voilés, comme si ce que j’avais cassé ne pouvait pas être réparé.
Ses yeux me fixent sans véritable éclat, et je sens un flottement, une hésitation qui ne ressemble pas à de la simple fatigue. Son visage est impassible, et pourtant il y a un doute qui y transparaît, comme s’il cherchait à comprendre qui je suis vraiment. Mon souffle se brise alors que je murmure, comme si ces mots pouvaient le ramener à moi, combler cette distance insupportable. Une distance qui ne se mesure qu’en regrets, en silences et en cicatrices invisibles.
— Gianni…
*
Le silence qui suit est lourd, chargé de tout ce qu’on n’a pas su se dire ces derniers jours, de ces tensions qui nous ont éloignés. Un silence assourdissant, un vide qui me punit, me rappelant cruellement chaque mot que j’aurais dû dire, chaque geste que je n’ai pas su faire.
Mes larmes, longtemps retenues, éclatent enfin. Elles brûlent ma peau, creusent des sillons de douleur sur mon visage. Elles ne sont pas seulement pour lui, mais pour tout ce qu’on a été, pour tout ce que je ne pourrai plus jamais réparer. Je serre sa main, plus fort, mais elle reste inerte, glaciale, comme si notre histoire elle-même l’avait quittée, me laissant seule face à ce corps blessé, couvert de contusions.
Le vide me happe, ce gouffre de désespoir où chaque seconde sans “nous” m’attire un peu plus près du bord. Je m’accroche à lui, comme si ce simple geste pouvait le ramener. Comme si mon amour pouvait le sauver de ce silence. Je me penche, ma voix à peine un souffle, brisée par la douleur.
— Je suis désolée pour tout… pour chaque dispute, chaque moment où je n’ai pas su être là pour toi…
Ma voix tremble, mes doigts se crispent sur les siens. Jamais je n’ai été aussi vulnérable. Mais je n’ai pas le choix, il faut qu’il entende. Il faut qu’il sache.
— Je sais que j’ai été dure, que je t’ai poussé trop loin parfois… J’ai exigé tellement de toi, plus que je n’en avais le droit.
J’ai compris un peu tard que demander trop à ceux qu’on aime, c’est parfois oublier qu’ils luttent déjà pour ne pas s’effondrer. Je voulais qu’il soit à la hauteur de l’image parfaite que j’avais fabriquée de lui, aveuglée par ce qu’il aurait pu être, plutôt que de voir l’homme qu’il était vraiment. Plutôt que de prendre en compte ce qu’il ressentait, ce qu’il vivait. J’ai été égoïste, parfois. J’en ai conscience maintenant, alors qu’il est là, silencieux, à me fixer sans rien dire.
— J’ai été injuste, Gianni. Je t’ai blessé, je le sais… et peut-être que j’étais trop fière pour l’admettre. Mais crois-moi, ça n’a jamais changé ce que je ressentais pour toi.
Les mots s’échappent enfin, comme un torrent que je ne peux plus contrôler. Il est là, éveillé, mais silencieux, et je ne sais pas ce qu’il pense, ce qu’il ressent. Chaque seconde s’étire dans un silence lourd, presque insoutenable.
— J’ai fait des erreurs, Gianni. J’ai voulu que tu sois fort, parce que je croyais que c’était ce dont j’avais besoin, mais… je n’ai jamais pris le temps de voir à quel point je te mettais sous pression.
Un soupir tremblant m’échappe, alors que ma gorge se noue. Je caresse doucement sa joue marquée par la fatigue et sa mâchoire autrefois illuminée de sourires. Ces aveux me pèsent, mais ils sont indispensables. Il doit savoir que je vois tout à présent, que je comprends tout ce que j’ai mal fait.
— Je t’ai peut-être demandé de m’aimer d’une manière que je ne méritais pas. Et je suis désolée pour ça. Désolée pour t’avoir repoussé, pour ne pas avoir été assez là quand tu en avais besoin.
Puis, je sens sa main serrer la mienne légèrement, un frémissement imperceptible qui fait bondir mon cœur, réveillant en moi un espoir que je croyais mort. Mon cœur s’arrête un instant, suspendu entre espoir et coup dur. Gianni lève lentement les yeux vers moi, ses paupières semblent peser des tonnes, ses lèvres bougent, formant des mots que je peine à comprendre. Je me penche plus près, chaque fibre de mon être tendue vers lui, suspendue à ces mots qui pourraient tout changer.
— C’est gentil, mais… qui êtes-vous ?
Si cette histoire te plaît, partage-la avec ceux que tu aimes ! Ensemble, faisons voyager ce roman.
Mais non … 😱
[…] Continuer la lecture >> 0 0 votes Évaluation de l'article […]