Faida – Chapitre 36

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Gianni

Je fais tourner la clé de ma Maserati autour de mon doigt. Un geste Automatique. Comme si ça pouvait apaiser le chaos à l’intérieur. Mais chaque cliquetis résonne dans le vide, tranchant, dans cette rue déserte. On ne fuit pas l’orage en fermant les yeux, il gronde toujours en nous. Les vagues s’écrasent contre les falaises de Positano, mais c’est en moi que tout explose. Le ciel se teinte de rose, douceur étrangère, en contraste total avec le tumulte qui me ronge. La ville s’apaise, et moi, je reste en vrac.

6h45. Ma montre m’agresse, chaque seconde s’étire. Mon regard fixe la rue pavée qui s’enroule jusqu’au Bar del Marinaio. Je suffoque. J’ai besoin d’une échappatoire. Rien ne vient. Juste cette fatigue, ce fardeau qui m’enserre. Quelques pêcheurs, silhouettes floues, déjà debout. Puis je le vois. Angelo. Il émerge à l’angle, nonchalant, comme d’habitude. Mais quelque chose cloche. Ses traits sont tirés. Fatigué, comme moi.

— Avec tout ce que je fais pour toi, t’aurais au moins pu m’inviter à bouffer.

Je capte une pointe d’ironie dans la voix, malgré ses cernes. Je le fixe. Gratitude silencieuse. Je lui glisse une liasse de billets, plus par automatisme que par générosité. Un sourcil haussé, il est surpris, mais ne bronche pas. Angelo sait quand il ne faut pas poser de questions.

— De quoi te payer un paquet de petits-déj’, chez Francesco, de ma part.

— Toujours aussi généreux…

Les mots sont superflus entre nous. Angelo sait. Il désigne du menton le Bar del Marinaio, sa porte entrouverte, un coup d’œil rapide.

— Il est là. Comme je te l’avais dit, pas facile à choper, mais il garde ses habitudes.

Je serre les clés un peu plus fort, tic nerveux, le compte à rebours silencieux qui gronde dans ma tête. Angelo reste là, plus soucieux que d’habitude, et son silence en dit long.

— La fille Esposito, tu l’as prévenue ? Ma voix claque, plus dure que je ne le voudrais.

Il tire une dernière bouffée de sa cigarette avant de l’écraser sous son talon.

— Ouais. J’ai laissé un mot au port. Elle sera là.

Une pause. Il hésite, chose rare chez lui.

— Tu pouvais pas t’en charger toi-même, Gianni ? T’es vraiment en train de prendre l’habitude de me faire venir pour ces conneries ?

Il marque un point. J’aurais pu m’en occuper, mais parfois, la distance est plus facile. Ou alors… peut-être que je me planque derrière des prétextes.

— On a tous nos limites, Angelo.

Il me jauge un instant, puis pose une main sur mon épaule. Son regard se fait plus lourd.

— Et ton père ? Ça va mieux ?

La question me coupe le souffle. Réponse bloquée dans ma gorge. Angelo serre les lèvres, boutonnière de son costume serrée, comme pour percer ma fatigue.

— Fais gaffe, Gianni. Certaines choses, vaut mieux les laisser enterrées.

Je le regarde s’éloigner, silhouette avalée par les ruelles de Positano. Ses mots résonnent en moi, comme un coup de semonce que je refuse d’entendre. Mon regard se pose à nouveau sur la rue, et puis… sur elle. Giulia. Elle approche, déterminée, cheveux humides plaqués contre son front. Ses bottes tachées de sel. Elle me balance un sourire ironique, masque d’agitation derrière lequel elle se cache.

— Désolée pour le look, mais tu t’en remettras, non ?

Elle est là, dans sa veste de pêche, lourde, usée. Ancrée dans un monde que je ne maîtrise pas toujours, mais que je respecte. Je souris à peine.

— Ça te va bien. Disons que c’est nature. Tu te parfumes toujours aux algues ?

Le sarcasme dans ma voix est léger, mais en dessous, y’a autre chose. Une forme d’admiration peut-être. Ce n’est pas la tenue qui m’impressionne, c’est la manière dont elle porte cette dureté, ce poids du vent et des vagues, comme si ça faisait partie d’elle. Comme façonnée par les vagues, par le vent, par les tempêtes. Une force qui me trouble.

— Hilarant, Gianni.

Son regard me transperce, cherche à voir au-delà de mes murs. Mais je détourne les yeux. Le ciel s’éclaircit, pourtant je ne ressens rien. Elle insiste, piquante.

— T’as l’air crevé. C’est pas ton genre de te lever à l’aube. J’imagine que les Rossi et le boulot difficile, ça fait deux.

Ses paroles touchent juste. Trop juste. Je détourne les yeux.

— Mon père est malade, Giulia. Je l’ai veillé toute la nuit.

Silence. Les mots sortent, durs, presque rauques. Je n’aurais pas dû l’éclabousser de mes emmerdes. Elle cherche à dire quelque chose, mais je l’arrête net.

— Ne t’excuse pas.

Ma voix est glaciale. Mes yeux rivés au sol. Je ne veux pas qu’elle voit combien ça me bouffe, combien tout ça me pèse. Alors j’enfonce le clou, porté par un cocktail d’instinct de survie et de fatigue.

— J’imagine que je ne devrais pas attendre une analyse fine de la part d’une fille qui passe ses journées sur un chalutier.

Blesser pour se protéger, c’est creuser plus profond la plaie. Elle se crispe, et je regrette aussitôt mes mots. Trop tard pour rattraper le coup. Mais c’est elle qui invite à une trêve.

— Désolée, Gianni.

Sa voix est douce, presque coupable. La tension monte, incontrôlable. Alors je tranche, plutôt que de démarrer du mauvais pied.

— Laisse tomber. Allons voir notre homme…

Si cette histoire te plaît, partage-la avec ceux que tu aimes ! Ensemble, faisons voyager ce roman.

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A propos de l'auteur

Matthieu Biasotto

Auteur indépendant toulousain, rêveur compulsif et accro au café. J'écris du thriller, du suspense avec une touche existentielle.

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