Faida – Chapitre 38

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Unis par le Sacrifice

giulia

Le seuil des archives maritimes de Positano craque sous nos pas, et un frisson glacé parcourt ma colonne vertébrale. Cet endroit est ancien, presque aussi délabré que le mystère que nous nous apprêtons à dévoiler. Les murs, rongés par l’humidité, semblent ployer sous le poids des secrets enfouis depuis des décennies. L’air est lourd, saturé d’une odeur âcre de papier vieilli, imprégné de la poussière du passé. Chaque respiration a un goût amer, comme si ce lieu tentait de nous engloutir, nous et les souvenirs qu’il renferme.

Une urgence viscérale me traverse. Les événements du port hantent encore mon esprit. Mes pas résonnent sur le sol fissuré tandis que je m’approche des étagères pleines de registres anciens. Gianni est à mes côtés, son regard aiguisé parcourant la pièce avec sa rigueur habituelle.

— Giulia, on doit rester concentrés. Cherchons d’abord les registres des années 80 et 90. Tu prends ceux de 80 à 85, je m’occupe du reste.

— Rassure-moi, tu ne vas pas sortir ta tablette et tes tableaux Excel ?

— Non, je te demande juste de suivre l’ordre chronologique.

Son ton, direct et méthodique, me crispe. Une partie de moi est agacée par son pragmatisme, mais je sais qu’il a raison. Ma voix, tendue par la frustration, s’échappe malgré moi :

— D’accord, d’accord. Mais hors de question d’être juste une assistante docile.

— Tu peux toujours être mon binôme un peu casse-pied. Ça te convient ?

— Dommage que je n’aie pas de clé à molette sous la main !

Son rire discret résonne dans les couloirs vides, adoucissant l’atmosphère. Je me jette sur les étagères, parcourant frénétiquement les reliures poussiéreuses et les cartons délavés. De son côté, Gianni reste calme, précis. Chaque page que je tourne semble murmurer les vérités que ces murs ont si longtemps cachées.

Soudain, Gianni s’arrête. Ses doigts effleurent un vieux registre, et une expression inhabituelle traverse son visage. Il murmure, presque pour lui-même :

— 1986, on s’en approche. Certains secrets ne restent jamais enterrés très longtemps…

Il y a une teinte de mélancolie dans sa voix, et je sens qu’il ne parle pas seulement des documents devant lui. Intriguée, je l’observe, mais il évite mon regard, se plongeant dans les pages jaunies. Il y a quelque chose qu’il ne dit pas, mais je préfère ne pas insister pour l’instant.

Mon attention se porte soudain sur une boîte poussiéreuse, presque cachée derrière des piles de vieux dossiers. Je m’en approche, mes mains légèrement tremblantes en soulevant le couvercle. Un carton usé, avec une inscription tracée à la hâte en feutre noir : « Unis par le sacrifice, divisés par le temps. » Je me fige. C’est la même phrase gravée sur le bois de La Speranza. Ce n’est pas une coïncidence.

— Gianni, regarde ça…

Ma voix n’est qu’un souffle. À l’intérieur de la boîte, des lettres, des manifestes de cargaison, et des relevés techniques liés à La Speranza. Mon esprit tourbillonne, assailli par une vague d’informations. Je prends une lettre au hasard. Elle fait mention d’un certain Signor Bianco, payé pour faire disparaître des « marchandises dangereuses » au nom d’une organisation appelée ODM.

— Signor Bianco… et ODM. Comment est-ce possible ?!

— ODM, tu dis ?

Gianni attrape les documents, et je vois la tension se dessiner sur son visage à mesure qu’il les déchiffre. Impossible de ne pas penser à ce que Giuseppe Falcone nous a révélé au bar. Il reste silencieux un moment, secouant la tête.

— Il y a des incohérences dans les itinéraires des navires. Regarde ces rapports. La Speranza faisait partie d’une flotte, mais…

Je l’interroge du regard, mes pensées s’emballant.

— Mais quoi ?

— Mais selon ces documents, La Speranza n’était pas seule. Il y avait d’autres navires, transportant des cargaisons similaires, souvent à destination de zones de largage en mer. Et puis…

Il continue de fouiller frénétiquement dans d’autres registres, connectant les points sous mes yeux.

— Puis ils disparaissent. Pendant des jours, parfois des semaines, plus aucune trace. Et après la mission, leurs équipages réapparaissent sur La Speranza. Toujours. C’est écrit là, et ici.

Mon front se plisse. Ce qu’il dit semble improbable.

— Comment ça, “réapparaissent” ?

— Ces navires partent d’un port, puis disparaissent comme s’ils n’avaient jamais existé. Mais les équipages, eux, se retrouvent à bord de La Speranza. À chaque fois.

Il a mis le doigt sur un mystère troublant. La Aurora, Il Destino, La Vittoria, et d’autres navires ont disparu des radars. Un nœud se forme dans mon estomac. La perspective que La Speranza, la fierté de ma famille, soit mêlée à ces opérations clandestines me terrifie.

— Donc, La Speranza serait une sorte de vaisseau-mère ?

— Exactement. Tout converge ici. Les autres navires faisaient le sale boulot, mais La Speranza était le point de retour, la plaque tournante.

Une sorte de taxi pour un trafic sordide. Cette idée me glace le sang. Je n’arrive pas à comprendre comment notre héritage a pu se retrouver mêlé à une affaire aussi sombre. Mais ce n’est pas tout. Gianni me tend une autre lettre, signée par un cadre de l’ODM. Elle mentionne des paiements à Signor Bianco pour la « gestion discrète des marchandises non conformes ».

— “Non conformes”, ça veut dire que…

— Je sais ce que ça veut dire, Gianni.

Ces cargaisons étaient aussi dangereuses qu’embarrassantes. Une colère sourde monte en moi.

— Il faut qu’on trouve ce type. Il doit nous dire ce qui se passe !

Gianni réfléchit à voix haute, tapotant les papiers.

— Et si Signor Bianco n’était pas une personne ?

— Comment ça, pas une personne ?

— C’est peut-être un pseudonyme, un nom de couverture pour cacher les vrais responsables. Aucun autre nom n’apparaît clairement dans les documents. Ça saute aux yeux.

Je fouille les certificats de cargaison et les bons de livraison. Signor Bianco est mentionné partout. Mon cœur se serre. Gianni s’immobilise soudain, scrutant un rapport.

— Code IMDG 6.1, ça te dit quelque chose ?

Mes yeux s’agrandissent.

— IMDG pourrait signifier International Maritime Dangerous Goods.

Gianni consulte rapidement son téléphone avant de me regarder, visiblement tendu.

— Et la division 6.1 concerne les substances toxiques.

Tout ce que nous pensions savoir pourrait bien n’être qu’une illusion, un écran de fumée dissimulant une vérité bien plus effrayante. Je me tourne vers Gianni, mes mains tremblantes.

— Ils ont utilisé La Speranza pour ça… pour faire disparaître des tonnes de déchets toxiques.

Il hoche la tête, sa voix sombre.

— Ce n’est pas juste un crime contre la nature. C’est une trahison profonde. Des vies ont été sacrifiées.

Il me tend des rapports médicaux trouvés dans la boîte, des dossiers provenant d’associations locales. Les descriptions sont accablantes : cancers, maladies neurologiques, des familles brisées. Mon cœur se serre.

— Ces déchets ont détruit des communautés entières…

Gianni approuve, son visage partagé entre colère et dégoût.

— On ne peut pas laisser ces crimes impunis.

Je croise son regard. Pour la première fois, je sens que nous sommes parfaitement alignés.

— Oui. Il est temps de dévoiler la vérité. Continuons à chercher des informations sur l’ODM…

On reprend nos recherches, mais l’atmosphère devient de plus en plus lourde. Les néons vacillants jettent une lumière blafarde, peinant à percer les coins obscurs des archives. Un murmure léger s’élève dans les couloirs, d’abord imperceptible, puis il s’amplifie. Des ombres bougent. Un groupe de personnes, non loin des fenêtres, se lève lentement, attiré par quelque chose à l’extérieur.

Une tension étrange envahit l’air. Je me tourne vers Gianni, mais il est absorbé par ses papiers. Mon cœur s’accélère, une inquiétude sourde monte en moi.

— Gianni… tu ne trouves pas ça bizarre ?

Avant qu’il ne réponde, un cri étouffé se fait entendre. Une femme se plaque contre une fenêtre, les mains sur la bouche, fixant quelque chose au loin. Des hommes se joignent à elle, et rapidement, une foule se rassemble. Une onde de choc traverse la pièce. Tout le monde semble figé entre la peur et l’incompréhension.

Je me lève, le cœur battant, et m’approche d’une autre fenêtre. De la fumée, noire et épaisse, s’élève au-dessus du chantier naval. Mon souffle se coupe. Gianni me rejoint précipitamment, l’air alarmé.

— Giulia, attends !

Le choc nous frappe en même temps. La fumée. Le chantier naval. La Speranza. Les murmures se transforment en cris de panique, mais je suis déjà en train de courir, priant pour que ce ne soit pas trop tard.

— Giulia, on doit y aller, maintenant !

Si cette histoire te plaît, partage-la avec ceux que tu aimes ! Ensemble, faisons voyager ce roman.

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A propos de l'auteur

Matthieu Biasotto

Auteur indépendant toulousain, rêveur compulsif et accro au café. J'écris du thriller, du suspense avec une touche existentielle.

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