Ombres Sous l’Orage
Giulia
Troublée, je serpente à travers les ruelles de Positano, la lettre de Marco froissée dans ma main, la colère enflant jusqu’à un point de non-retour. Le ciel est lourd, saturé d’ombres menaçantes, et je me sens écrasée sous ces nuages noirs. Une brise glacée me traverse, annonçant la tempête. Les mots de Marco résonnent dans mon esprit, se mêlant à la moiteur étouffante de cette journée qui s’efface sous les premières gouttes de pluie. Les pavés, luisants d’eau, ralentissent mes pas, comme si la ville elle-même cherchait à me retenir, à m’empêcher d’avancer vers l’inévitable.
Je ne suis plus la femme naïve d’avant. Chaque pas m’éloigne de celle qui croyait encore aux promesses. Sous l’ombre des nuages, le vent mordant sur mon visage, je sens cette part de moi se dissoudre à jamais. La colère me réchauffe plus que le manteau que je serre contre moi. La Zagara, autrefois refuge, est aujourd’hui un champ de bataille. C’est là que je vais rendre mon verdict, sans pitié.
Je repense à cette lettre, remplie de fausses excuses et de promesses trahies. Marco prétend avoir tout fait pour “nous”, pour bâtir un futur commun, mais ses mots sont vides. La pluie ruisselle sur mon visage, pourtant je refuse de pleurer. Marco parle de maison, de projets, mais je ne vois que des ruines. Des ruines de notre amour, que même cette tempête ne lavera pas.
Quand j’arrive enfin au café, La Zagara est presque méconnaissable. Les volets sont fermés, les tables rangées sous des bâches pour se protéger de l’orage. Ce lieu, autrefois rempli de nos rêves, n’est plus qu’un vestige. Je jette un dernier regard à la terrasse déserte avant de pousser la porte.
Marco est déjà là, à notre table habituelle, les yeux rivés sur une tasse à moitié pleine. La lumière vacille sous les rafales de vent. L’odeur du café flotte dans l’air, amère, tout comme cette rencontre. Il est là, face à moi, accablé. La tempête gronde dehors, mais la véritable dévastation se joue ici, entre nous.
Depuis l’entrée, je l’observe. Il ne lève pas les yeux, comme s’il redoutait de me faire face. Peut-être qu’il sait que ses paroles ne changeront rien. Le contraste entre la quiétude trompeuse du café et ma rage est presque insupportable. Je m’avance, mes pas résonnent faiblement sur le carrelage. Je prends place en face de lui. Mes doigts effleurent la surface humide de la table, autrefois lisse et familière, désormais gonflée par l’humidité et le mensonge.
Le silence est lourd, oppressant. Dehors, la mer se fracasse contre les rochers, chaque vague rappelant le chaos en moi. Je pose enfin mon regard sur Marco, incapable de soutenir le mien. Ses mains tremblent autour de sa tasse. Rien ne pourra racheter ce qu’il a fait.
— Alors, quelle est cette vérité si terrible que tu ne pouvais pas dire et qui nécessitait que tu m’écrives ?
Ma voix est une dague glacée, aussi acérée que l’air lourd qui nous enserre. Il tente un sourire, faible et pathétique.
— Giulia… merci d’être venue. T’es… t’es très belle.
Son compliment est creux, un geste dérisoire pour adoucir l’inévitable. Mais je n’ai plus de patience pour ces futilités.
— On peut en venir au fait ? J’en ai marre des politesses.
Il soupire, tentant de rassembler ce qui lui reste de courage.
— Giulia… Je voulais que tu comprennes que tout ça… je l’ai fait pour nous. Ce terrain, c’était une opportunité, pour notre avenir… une maison…
Je le fixe, immobile. Ses mots n’ont plus aucune emprise sur moi. Le tonnerre résonne à nouveau, amplifiant l’absurdité de ses propos.
— Pour nous ? Tu penses vraiment que je vais te croire ? Tu espérais construire un avenir en me mentant ? Et pire encore… avec cette cousine des Rossi ?
Il sursaute, son visage se tend, mais je poursuis, implacable.
— Ce n’était même pas vraiment une Rossi…
— Peu importe ! Cousine par alliance ou non, c’est encore pire.
— Giulia, c’est plus compliqué que ça. Bene’ est au conseil municipal, elle nous a souvent aidés pour…
— Bene’ ? Je lâche un rire sec. Bien sûr, elle a même un petit surnom. Est-ce que coucher avec elle était nécessaire pour cette fameuse dérogation ?
Marco baisse la tête, frappé par la dureté de mes mots, mais je ne lui laisse aucune issue. Je veux qu’il ressente une petite fraction de ce que j’ai subi.
— Je n’ai jamais eu besoin d’une maison ni d’un terrain. Tu as tout sacrifié pour toi, Marco. Pas pour nous. Et ça, je ne te le pardonnerai jamais.
Je lui lance un dernier regard. Il est nerveux, les yeux fuyants, fixés sur l’extérieur. Une Maserati noire, phares éteints, est garée devant le café, presque invisible sous la pluie battante.
— Tu as perdu ta langue ? Ou elle est encore coincée dans la bouche de l’autre ?
Mon ton est cinglant, mais il ne m’écoute plus. Son regard reste rivé sur la voiture dehors, un détail que je ne saisis pas encore pleinement.
Le silence s’épaissit, le tonnerre rugit de plus en plus fort, et soudain, Marco pâlit. Son visage se fige, ses lèvres tremblent. Il sait que quelque chose de plus grave se profile.
— J’aurais pas dû t’écrire…
Son aveu est un souffle presque inaudible, comme s’il comprenait trop tard l’erreur fatale qu’il venait de commettre.
Il se lève brusquement, le visage empreint d’une panique que je n’avais jamais vue chez lui. Je lui lance un dernier regard. Il est nerveux, les yeux fuyants, fixés sur l’extérieur. Sur cette étrange voiture noire aux airs de prédateur faussement tranquille.
Gianni
De l’autre côté de la rue, je suis là, figé dans ma Maserati, les mains crispées sur le volant. Mes yeux sont rivés sur La Zagara, où Marco et la fille Esposito se trouvent. Le ciel au-dessus de Positano est sur le point d’exploser. Les nuages noirs pèsent sur la ville, et chaque éclair déchire l’horizon, projetant une lumière froide sur les falaises. L’air est lourd, saturé d’électricité, reflétant la tension qui bouillonne en moi.
Je n’ai pas besoin d’être dans le café pour deviner ce qui se passe. Les mots acérés, les reproches, les regards de ressentiment. Je les imagine derrière la vitre embuée par la pluie battante. Mes yeux restent fixés sur Giulia, droite et imperturbable malgré la tempête. Marco, en revanche, ne tient pas en place. Son agitation est visible, même à travers le verre. Il se tortille sur sa chaise, nerveux, chaque mouvement trahissant son incapacité à contrôler la situation.
Je me concentre sur Marco. Il m’a toujours frappé par sa capacité à manipuler les situations. Mais aujourd’hui, quelque chose est différent. Il semble acculé, piégé dans une confrontation qui le dépasse. Ses mains crispées sur sa tasse, ses yeux fuyants, cherchent désespérément une issue. À chaque fois que la pêcheuse ouvre sa jolie bouche, il se replie un peu plus, son assurance fondant sous la pression.
Je plisse les yeux à travers la pluie ruisselante sur le pare-brise. Quelque chose change dans l’attitude de Marco. Son corps se fige, et cette fois, il regarde dehors. Dans ma direction. Et là, son visage se transforme. Un éclair de panique traverse ses traits. Son regard s’arrête sur ma voiture, à moitié dissimulée dans l’ombre. Oui, la Maserati.
Il comprend. En une fraction de seconde, il réalise que je suis là, caché, mais omniprésent. Son visage, déjà pâle, devient livide. Toute l’assurance qu’il pouvait avoir se dissipe. Il sait que je l’observe, que je guette chacun de ses mouvements. Ce simple constat suffit à le faire vaciller, à faire tomber les dernières défenses qu’il croyait pouvoir maintenir.
Sa nervosité explose. Ses gestes deviennent brusques, désordonnés. Il tente de dire quelque chose à Giulia, mais ses mots se perdent, sans cohérence. Puis, dans un dernier élan désespéré, il se lève précipitamment. Ses mouvements sont maladroits, frénétiques. Je le regarde quitter le café sous la pluie, ses vêtements déjà trempés, collés à sa peau.
Il sort, et son regard balaie la rue avant de se poser à nouveau sur ma voiture. Cette fois, il n’y a plus de doute. Il sait que je sais. Son visage blême se fige, le regard perdu entre la panique et une prise de conscience brutale. Marco hésite. Un instant, il semble sur le point de venir vers moi. Mais la peur l’emporte. Il tourne brusquement les talons et disparaît dans une ruelle, fuyant comme un rat pris au piège.
Je reste là, immobile, le moteur toujours coupé. Mes pensées sont tournées vers Giulia. Elle n’a pas bougé de sa place. Toujours assise à la même table, seule. Elle semble calme en apparence, mais je sais que cette confrontation l’a bouleversée. Ses yeux sont fixes, rivés sur la table. Elle paraît solide, mais je devine le poids qui pèse sur ses épaules.
Mon téléphone vibre soudain sur le siège passager, ramenant mes pensées à la réalité. Je décroche sans quitter Giulia des yeux.
— Gianni ?
La voix de ma mère, ferme et directe, comme d’habitude.
— On est rentrés.
— Comment s’est passée la sortie, maman ?
— Amalfi me laisse toujours aussi indifférente. Le temps s’est gâté, alors nous avons écourté.
Sa réponse est tranchante, sans chaleur. Puis elle rompt mon silence.
— Tu manges avec nous.
Je sens la tension monter, une pression sourde s’installer dans ma poitrine. Elle sait toujours appuyer là où ça fait mal.
— Je vais voir. Pas sûr. Je suis sur un dossier, là.
— Ce n’était pas une question.
Sa voix se fait plus dure, presque tranchante.
— Ton père veut te voir. C’est important.
Un frisson me parcourt. Quand mon père exige une rencontre, ce n’est jamais pour discuter de choses légères. Un mauvais pressentiment grandit en moi. Rien de bon n’en sortira.
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