Faida – Chapitre 41

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Les Secrets du Bois et des Cœurs

giulia

Des coups de feu virtuels provenant du salon me sortent brutalement du sommeil. Le son métallique des tirs me percute avant même que je sois complètement éveillée. J’ouvre les yeux au milieu des cartons, encore engourdie, fatiguée d’être une fois de plus réveillée par ce fichu jeu vidéo. Je me redresse lentement dans mon lit, les draps collés à ma peau à cause de la chaleur étouffante, et cette toux persistante qui ne me quitte pas. La fumée de La Speranza semble encore accrochée à mes poumons, un rappel constant des heures passées à respirer cet air vicié.

En passant devant la fenêtre, j’aperçois les premières lueurs de l’aube. Il est encore tôt, beaucoup trop tôt pour qu’Ezio soit déjà devant son écran, mais il a perdu toute notion du temps depuis longtemps. J’émerge péniblement, les muscles endoloris, mes pensées flottant entre le chantier naval et ma dernière conversation avec Gianni. La nuit n’a rien effacé. Les cendres de La Speranza et les sous-entendus du pompier restent suspendus dans mon esprit comme une menace silencieuse.

Je me dirige vers la cuisine, surprise par une odeur de café. Je m’arrête en voyant la table dressée. Des toasts, quelques fruits… Mon regard parcourt la pièce. Qui a fait ça ? Certainement pas mon frère.

— T’es déjà debout ?

La voix pâteuse d’Ezio me parvient sans qu’il ne lève les yeux de l’écran. Je le regarde, affalé sur le canapé, complètement absorbé par son jeu. Le bruit incessant des tirs continue, les lumières clignotantes de la console illuminent son visage concentré, ses doigts dansant sur les boutons comme un automate. Mais quelque chose ne colle pas. Il ne prépare jamais le petit déjeuner.

— T’as fait le petit déjeuner ?

Mon ton est plus acide que prévu, mais je ne peux m’en empêcher. Il ne bouge pas, toujours rivé à son écran.

— Ouais. Enfin, j’ai aidé maman, elle est passée tôt.

Il martèle frénétiquement la manette, ponctuant ses mouvements d’une série de jurons, avant de reprendre d’un ton plus neutre :

— Elle m’a parlé de l’incendie. Ça va mieux ? T’as toussé toute la nuit.

Je soupire, attrapant une tasse de café.

— C’est à cause de la fumée. J’ai respiré trop de saletés.

Il grogne, indifférent.

— Dommage pour le bateau… Il ne doit plus valoir grand-chose maintenant.

Ses mots me hérissent. Comment peut-il être si détaché ? La Speranza, tout ce qu’elle représente, ses histoires, son poids symbolique, lui échappent complètement. J’ai envie de lui répondre sèchement, de lui faire comprendre à quel point il est insensible, mais en le voyant ainsi, absorbé par ses jeux, je réalise qu’il a peut-être laissé une partie de lui-même se perdre dans ces mondes virtuels. Il sent sûrement mon regard, car il finit par briser le silence.

— Maman a laissé des fruits. Tu peux me passer du raisin ? J’suis en pleine partie, là.

Je le fixe un moment avec mépris, sentant l’irritation se transformer en lassitude. Je n’ai plus la force de réagir. Je prends une grappe de raisin et la lui tends sans un mot. Il tend la main sans quitter l’écran des yeux.

C’est là que je remarque une marque rouge, vive, une brûlure nette sur son avant-bras. Mon instinct protecteur d’aînée s’éveille immédiatement.

— Qu’est-ce que t’as fait à ton bras ?

Ezio secoue la tête, toujours concentré sur son jeu.

— Rien. Je me suis brûlé en aidant à faire le petit dej’, avec la poêle. J’suis pas doué, tu sais…

Je continue de le fixer, sceptique. Ce n’est pas la première fois qu’il se blesse, mais quelque chose dans son attitude, ce matin si étrange, me dérange. Une gêne sourde s’installe en moi. Peut-être est-ce la fatigue ou la fumée encore imprégnée dans mes poumons, mais je ne peux m’empêcher de sentir que quelque chose ne va pas.

*

Les premières lueurs de l’aube effleurent à peine l’horizon, enveloppant le chantier naval d’une lumière douce, presque timide. Les coques des bateaux endormis captent la rosée, chaque gouttelette scintillant sous les rayons du soleil naissant comme des diamants minuscules. Je laisse Ezio à ses jeux vidéo, mais mon esprit oscille toujours entre la marque rouge aperçue sur son bras et La Speranza, dévorée par les flammes.

Les ombres s’étirent doucement, révélant les courbes des navires, sans tout dévoiler d’un coup. Cette lumière prometteuse murmure un renouveau, une rédemption, mais mes pensées sont alourdies par le poids des responsabilités familiales. Les regards inquisiteurs de ma famille pèsent sur moi, étouffant cette fragile promesse de matin.

La mer, calme en apparence, vacille entre quiétude et agitation. Les vagues effleurent doucement le rivage, leur murmure se mêle aux cris lointains des mouettes. Pourtant, ce sont les mots de Gianni qui résonnent encore en moi. Ses doutes ont ouvert une brèche en moi, une brèche que je n’osais pas affronter. Sa lutte contre les attentes familiales fait écho aux chaînes invisibles qui m’entravent.

Mes doigts effleurent doucement le bois du navire, sentant chaque fissure, chaque creux, raconter une histoire de survie. Suis-je capable de résister comme lui, de survivre à cette tempête qui s’annonce ?

Des pas brisent le silence. Je me retourne et découvre Gianni, un sourire malicieux flottant sur ses lèvres. Pour une fois, il n’est pas en costume. Il porte une chemise légèrement ouverte, manches retroussées, et un jean simple. Loin de son éternel costume trois-pièces.

— Je vois que tu as laissé tomber ton armure aujourd’hui. Je croyais que tu étais fidèle à tes costumes milanais.

Son sourire s’élargit alors qu’il me tend une tasse de café.

— Il fallait te surprendre un peu. Et puis, les pêcheurs auraient pu critiquer mon excès de classe. Tiens, tu en as bien besoin.

Je prends la tasse, et la chaleur du café m’envahit. Je le taquine, mais son geste me touche plus que je ne veux l’admettre.

— Fais attention, je pourrais m’habituer à ce côté décontracté.

Il sourit, plus doux cette fois.

— Ne t’habitue pas trop. Je reviendrai vite à mon style habituel. J’ai une réputation à défendre.

Je ris doucement, mais mon regard est attiré par un petit paquet qu’il tient dans l’autre main.

— Et ça, c’est quoi ?

Il me tend le paquet avec un sourire espiègle.

— Juste un cadeau.

Les gestes silencieux disent ce que les mots taisent. Mes doigts tremblent légèrement alors que je déballe le paquet. Un bracelet orné de petites breloques en forme de bouée apparaît. Simple, mais symbolique. Une promesse de ne pas sombrer. Gianni me regarde, une sincérité inhabituelle illuminant ses traits.

— Ça m’a fait penser à toi. Juste au cas où je ne serais pas là pour la prochaine tempête.

Son sourire espiègle cache une vulnérabilité inattendue. Ses mots flottent entre nous, serrant doucement ma poitrine.

— Merci, Gianni. Même si tu aurais pu éviter le ton condescendant.

Je veux paraître légère, mais ses mots m’ont touchée plus profondément que je ne l’aurais imaginé. Gianni hausse un sourcil, amusé.

— Moi, condescendant ? Jamais. C’est juste pour t’assurer que tu réfléchiras à deux fois avant de te lancer seule dans une mer déchaînée.

Je lui donne un coup de coude, mi-sérieuse, mi-amusée.

— Très drôle, Rossi. Je me débrouille très bien sans toi.

Même si une petite voix en moi murmure que c’est à moitié vrai. Gianni avance d’un pas, son expression devenant plus sérieuse.

— Je n’en doute pas une seconde. Mais ça ne veut pas dire que je n’ai pas envie d’être là quand tu as besoin de moi.

Ses mots, si simples, touchent quelque chose de sensible en moi. Est-ce une faiblesse ou une force d’accepter l’aide de quelqu’un ? Je repose ma tasse de café et examine le bracelet avec plus de soin.

— D’accord… Je vais réfléchir à l’idée de le porter. Mais si je le mets, ce sera juste pour prouver que je n’ai pas besoin d’être sauvée.

Un sourire illumine son visage, son rire grave résonne, dissipant un peu les nuages qui pesaient sur moi.

— Je ne m’attends pas à ce que tu l’admettes, mais je suis content que tu l’aies pris.

Nous restons là, côte à côte, dans un moment de complicité silencieuse. Les mouettes, les vagues et le bruit des outils sur le chantier sont les seuls sons qui rompent le calme. Finalement, je me retourne vers le navire, prête à reprendre mon travail. Gianni m’observe, plus attentif qu’avant.

— Tu arrives vraiment à savoir ce qu’il y a à réparer juste en écoutant le bois ?

Je hoche la tête, passant mes mains sur les planches.

— Chaque essence a une voix. Il suffit de savoir l’écouter. Ce bois, par exemple, est sec. Si on le laisse, il va craquer à la prochaine tempête. Il faut le remplacer, sinon c’est tout le flanc du navire qui cède.

Le bois murmure sous mes doigts, racontant ses secrets. Gianni, fasciné, continue de m’observer.

— Et tu as appris tout ça seule ?

Je secoue la tête, un sourire effleurant mes lèvres.

— Mon grand-père m’a tout appris. Il m’a montré comment comprendre le bois, comment le réparer sans l’affaiblir. Chaque fois que je travaille sur ce bateau, c’est comme si je faisais honneur à tout ce qu’il m’a transmis.

Le silence est respectueux. Gianni semble peser mes mots avant de parler à nouveau.

— Jusqu’ici… je n’avais jamais vraiment compris l’importance de tout ça. Pour moi, un bateau, c’était juste un moyen de transport. Mais maintenant…

Je le regarde avec un brin de défi.

— La Speranza, c’est bien plus qu’un bateau. Chaque planche raconte une histoire, une tempête qu’elle a surmontée. Ce navire a traversé des épreuves que toi et moi ne pourrions même pas imaginer.

Nos regards se croisent, et je sens qu’il commence à comprendre, comme s’il laissait de côté son orgueil.

— Tu crois que je pourrais essayer ? Écouter le bois, comme toi ?

Sa curiosité est sincère, et je ne peux m’empêcher de sourire.

— Ça s’apprend, mais ça prend du temps. Il faut accepter que ce n’est pas toi qui commandes, mais le bois qui te parle.

Je lui adresse un sourire moqueur.

— Prêt à te faire humble devant un tas de planches ?

Gianni rit doucement, mais je devine qu’il mijote quelque chose.

— Je peux toujours essayer…

Puis, avec une malice indéniable dans les yeux, il ajoute :

— Après tout, je courbe déjà l’échine devant une princesse en bottes en caoutchouc, parfumée aux algues.

Je plisse les yeux, feignant l’indignation, avant de lui donner un coup de coude dans les côtes.

— Imbécile !

Mi-sérieuse, mi-amusée, mon injure a un arrière-goût presque sucré, comme une provocation qui se mue en complicité.

— Après tout, c’est peut-être le plus beau compliment que tu sois capable de faire, non ?

Je tente de garder mon sérieux, mais nos regards restent accrochés plus longtemps que prévu, ses yeux malicieux devenant plus tendres.

— Je n’ai pas mieux en stock. Du moins, pour l’instant…

Si cette histoire te plaît, partage-la avec ceux que tu aimes ! Ensemble, faisons voyager ce roman.

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A propos de l'auteur

Matthieu Biasotto

Auteur indépendant toulousain, rêveur compulsif et accro au café. J'écris du thriller, du suspense avec une touche existentielle.

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