Complicités naissantes
gianni
Le matin s’étire, laissant la lumière dorée filtrer à travers la brume au-dessus de nos gobelets de café vides. Enveloppé dans ce calme presque irréel, j’observe les stigmates du feu autour de moi. L’air est lourd, saturé d’odeurs âcres : bois brûlé, métal rouillé, eau stagnante. Pourtant, mes pensées ne se fixent plus seulement sur l’incendie ou les traces dans la suie.
Je la regarde, là, à mes côtés, absorbée dans sa tâche, ses doigts glissant sur les planches usées comme si elles étaient une part d’elle-même. Cette connexion avec le bois… C’est quelque chose que je ne comprends pas, mais que je veux saisir. Pas seulement pour le travail. Pour elle.
Je m’approche, décidé à pénétrer un fragment de ce monde qu’elle semble garder secret. Je pose ma main sur le bois, imitant ses gestes, mais je sens déjà son ironie.
— Monsieur a peur des échardes ?
— Non. Monsieur craint juste de ne rien sentir.
— Ferme les yeux. Sens-le au lieu d’écouter. Le bois te dira s’il est sain ou s’il cache quelque chose.
Je ferme les yeux, suivant son conseil, même si l’idée me paraît étrange. Je me concentre, tentant de me connecter à cette planche comme elle le fait, mais la frustration monte. Le silence devient pesant, les secondes s’étirent, et après un moment, je secoue la tête.
— Ce n’est pas aussi simple que tu le laisses croire.
Giulia me regarde, amusée, mais avec un nouveau respect. Fidèle à elle-même, elle partage peu mais assez pour que je comprenne qu’elle apprécie l’effort.
— C’est pour ça que tout le monde te laisse faire, non ? Peu de gens savent vraiment faire ça.
Elle hausse les épaules, ce sourire en coin qui la rend insaisissable.
— Ça prend du temps et de la patience. Mais une fois que tu sais écouter, ça devient plus qu’un travail. Ça devient presque… vivant.
Elle parle autant d’elle que du navire. Sous la simplicité de ses mots, elle dévoile une vulnérabilité. Je me sens plus proche d’elle, subtilement.
Un bruit métallique retentit, brisant le calme. Nos regards se croisent, et sans un mot, nous nous dirigeons vers la source. Sous cette lumière dorée, le chantier, familier pour elle, devient mystérieux, plein de secrets à découvrir. Chaque pas résonne d’une légère appréhension.
Je repose ma main sur le bois, mes doigts glissant sur la surface rugueuse, cherchant à comprendre. Et soudain, je remarque quelque chose. Sous une fine couche de cendres, des empreintes, trop nettes pour être accidentelles. Mon souffle se suspend.
— Tu vois ces empreintes ?
Giulia se penche, intriguée.
— Ça pourrait être n’importe quoi…
Je secoue la tête, une intuition m’étreint.
— Peut-être. Mais regarde comme elles s’éloignent des débris principaux. Ce n’est pas une coïncidence.
Les empreintes tracent un chemin à travers le chaos. L’atmosphère change, le silence devient oppressant, seulement troublé par le craquement des débris sous nos pieds.
— Si le feu a pris ici, ces traces pourraient indiquer que quelqu’un a fui après l’incendie.
Giulia plisse les yeux, intéressée.
— Ce n’est pas impossible… Tu penses vraiment qu’il y a quelque chose ?
— Il y a quelque chose qui cloche. On devrait suivre cette piste.
Un éclat d’excitation traverse mes pensées. Ensemble, nous avançons, suivant les empreintes, chaque pas révélant des indices subtils dans le chaos. La tension monte entre nous, palpable.
Les marques nous mènent à une trappe, dissimulée sous des morceaux de bois brisés.
— Regarde. Quelqu’un a forcé cette trappe, mais en essayant de le faire discrètement. Les marques sont à peine visibles, comme une cicatrice.
Giulia observe en silence, un sourire discret aux lèvres.
— T’as vraiment l’œil.
Je souris modestement.
— Parfois, ce sont les détails infimes qui révèlent les vérités les plus importantes. Comme dans la vie.
Sous un morceau de tôle près de la trappe, je découvre un dispositif électronique, partiellement fondu. Mes doigts glissent dessus, reconnaissant immédiatement le type d’appareil.
— Regarde ça. Un boîtier de contrôle…
— Une télécommande ?
— Non, un récepteur. Si quelqu’un a déclenché l’incendie à distance, ça expliquerait bien des choses…
Son regard devient dur, son souffle s’accélère, et je sens la panique monter.
— Si c’est ça… quelqu’un a voulu me détruire.
Je tourne l’objet dans ma main, plissant les yeux pour deviner ce qu’il pourrait être sous cette surface brûlée et fondue. Des boutons, un petit écran, des circuits visibles… Il y a quelque chose d’étrange, mais je ne suis pas sûr de quoi.
— Ça ressemble peut-être à un vieux GPS ou un appareil de navigation. Les circuits… ça me rappelle un vieux modèle.
Giulia se penche vers moi, son regard change instantanément, aiguisé, comme si une idée venait de jaillir. Ses doigts effleurent l’appareil, et je sens que ça lui dit quelque chose. Elle murmure doucement :
— Un GPS… Oui, peut-être un Seacron GX-90. C’était courant sur les bateaux dans les années 90, pour suivre les trajets ou enregistrer les données météo.
Je la regarde, impressionné par sa précision. Aussitôt, je sors mon téléphone et tape rapidement quelques mots-clés autour de « Seacron ». Quelques secondes plus tard, je trouve l’information.
— C’est exactement un Navitrack 2000.
Aucun doute. Le soulagement traverse Giulia, elle inspire profondément. L’idée d’un sabotage s’évanouit doucement.
— Rien de dangereux. Juste un vieux gadget oublié.
— J’ai peut-être voulu jouer les Sherlock un peu trop vite.
Elle secoue la tête, un drôle de sourire sur les lèvres.
— Sherlock, hein ? Alors, je suis ton « Watson »… Pas sûre d’être prête pour ce rôle, Gianni.
Je ris, un rire qui brise enfin la gravité de l’instant. C’était ce qu’il fallait.
— Allez, Watson, t’es pas si mal. Faut juste que t’apprennes à ne pas toujours t’attendre au pire.
— Attends, c’est moi qui imaginais le pire ? Sérieux, on a failli résoudre le mystère du siècle, hein ? Une seconde de plus et tu m’aurais convaincue qu’on avait trouvé une bombe nucléaire.
Je souris légèrement, acceptant sa remarque. Elle me donne un coup de coude léger, essayant de dissimuler l’émotion qui flotte encore entre nous. Puis, un petit rire s’échappe, brisant cette barrière invisible qui nous enfermait dans une inquiétude passagère.
— Vraiment, tu devrais songer à l’investigation… Il suffit juste de différencier un GPS d’un explosif.
Je ris doucement, reconnaissant son style.
— Mais peut-être que l’enquête n’est pas terminée…
Elle illumine la pièce de son sourire, une lueur de défi brille dans ses yeux. Elle croise les bras, mi-moqueuse, mi-provocante.
— Alors, Gianni, que reste-t-il à découvrir ?
Je la fixe un instant, un sourire en coin.
— Tu n’as pas encore réparé le médaillon de ton grand-père. Parce que tu veux prendre ton temps pour bien le faire. Il compte trop pour que tu le risques à la va-vite.
Elle fronce les sourcils, surprise par mon observation, mais reste silencieuse. Je continue doucement.
— Et le bracelet que je t’ai offert… Tu ne l’as pas encore mis, et je parie que tu ne le mettras pas tout de suite.
— Voyez-vous ça ?
— Tu attends. Peut-être que tu veux voir si je suis fiable avant de le porter. C’est ta façon de me dire que je n’ai pas encore fait mes preuves.
Elle reste silencieuse, mais son regard change légèrement. Elle ne s’attendait pas à ce que je remarque tout cela.
— Ensuite, il y a ta façon de traiter chaque objet ici, comme s’il avait une valeur bien plus grande qu’un simple morceau de bois. Chaque chose te rappelle une part de toi, un lien avec ton grand-père et ce chantier. Tu portes cet héritage avec fierté, mais c’est aussi un poids.
Elle me fixe, un mélange d’admiration et de défi dans les yeux, ses bras toujours croisés.
— Pas mal, Sherlock, pas mal…
Je souris, amusé par sa résistance.
— Parfois, les gestes en disent plus que les mots.
Le silence qui suit est lourd de sens. Quelque chose s’installe entre nous. Une tension douce, presque dangereuse. Un malaise léger me pousse à couper court.
— Je pense que j’ai découvert assez de secrets pour aujourd’hui.
Giulia sourit, timide mais sincère.
— Peut-être… mais je ne suis pas sûre que tu aies tout découvert.
Une invitation ? Une porte ouverte. Je hausse un sourcil, un sourire taquin.
— Qui sait, peut-être que la prochaine fois que j’ai une intuition sur l’un de tes secrets, je t’enverrai un message.
Giulia plisse les yeux, amusée.
— C’est une bonne idée, mais tu n’as pas mon numéro, Gianni.
— Eh bien, on va régler ça tout de suite.
Je sors mon téléphone, un sourire espiègle sur les lèvres.
— À moins que tu préfères que je fasse appel à mes talents d’enquêteur pour le découvrir ? Je peux mettre des gars sur le dossier.
Giulia éclate de rire, un son léger qui résonne comme une invitation à en savoir plus.
— Non, je préfère te le donner directement.
Nos regards se croisent, complices. Alors qu’elle enregistre mon numéro, ses doigts effleurent l’écran lentement, un sourire imperceptible étire ses lèvres. Un frisson de satisfaction m’envahit. C’est un de ces moments où chaque geste compte un peu plus.
Plus tard, le soleil décline, projetant des ombres dorées sur le chantier. Nous nous retrouvons sur le quai pour notre rituel de lavage des mains. Giulia semble pensive, légèrement distante. Cherchant à prolonger cette connexion naissante, je lance :
— C’est quoi tes plans pour ce soir ?
Elle sort de ses pensées, un léger sourire aux lèvres.
— Je vais cuisiner avec ma mère. Un repas de famille pour célébrer les quatre vents, une tradition locale.
Sa voix a une chaleur rare. Ses yeux brillent, comme si elle m’offrait un aperçu d’un monde auquel je n’ai pas encore accès. Je hoche la tête.
— Ça a l’air sympa.
— Tout dépend des jours… Et toi ?
— Moi, rien de spécial, juste quelques projets à finir.
Elle me regarde, une touche d’inquiétude dans les yeux.
— Toujours à travailler, hein ? Tu ne prends jamais de pause ?
Je ris doucement.
— Je suppose que c’est ma manière de rester connecté à ce que j’aime. Mais ça reste moins excitant qu’un repas de famille.
— Mes repas de famille ne sont pas toujours passionnants.
Un silence doux s’installe. Giulia éclabousse légèrement l’eau vers mes mains, brisant la gravité de l’instant.
Je ris, surpris, et lui renvoie quelques gouttes. La complicité est là, plus intime, plus affirmée. Je promets de ne pas attendre trop longtemps, une lueur de défi passe dans ses yeux.
Le soir venu, mon esprit reste avec elle. Je tape rapidement un message :
« Merci pour ta compagnie aujourd’hui. C’était sympa, même si t’as mis du temps à reconnaître mon génie. »
Un étrange contentement m’envahit. Quelques instants plus tard, sa réponse s’affiche :
« Moi aussi, j’ai beaucoup apprécié… même si je pense que ton “génie” a surtout eu de la chance. Mais bon, je vais faire semblant de croire que tu es doué pour me décrypter. À demain, Gianni. »
Je souris en lisant son message, appréciant le jeu entre nous. Je réponds :
« À demain. Et t’inquiète pas, je t’apprendrai à reconnaître le vrai talent la prochaine fois. L’enquête continue… »
Sa réplique ne tarde pas, je peux presque l’imaginer sourire de l’autre côté :
« Hâte d’apprendre du maître… si tu trouves un miroir assez grand pour ton ego d’ici là. Repose-toi, Sherlock, tu en as besoin. »
Je ris doucement, appréciant le duel verbal.
« Promis, Watson… Je serai prêt… il faut être costaud pour te supporter 🙂 Bonne nuit, Giulia. »
Un instant de silence, puis mon téléphone vibre à nouveau, elle veut le dernier mot.
« Bonne nuit, Gianni. Mais fais attention… demain, c’est peut-être toi qui seras à court d’indices. »
Si cette histoire te plaît, partage-la avec ceux que tu aimes ! Ensemble, faisons voyager ce roman.
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