Faida – Chapitre 61

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Au sommet des promesses

giulia

On monte lentement les marches usées de la vieille Torre Saracena, chaque pas résonne doucement contre les murs de pierre. L’air frais s’engouffre par les ouvertures, portant le parfum de la mer et de la terre humide. Gianni est à mes côtés, sa présence rassurante. La lumière dorée filtre à travers les fentes des murs, découpant sa silhouette. Chaque frôlement de nos mains fait naître cette tension douce, un fil invisible qui nous lie.

Le silence est rythmé par nos souffles, nos pas, et le murmure éternel de la mer. Je laisse mes doigts glisser sur les murs rugueux, comme si chaque fissure pouvait raconter l’histoire des falaises. L’ascension est aussi intérieure. Pas après pas, on se rapproche de quelque chose de plus intime, une marche vers ce qu’on a de plus vrai. Le moindre geste, le moindre silence, nous rapproche, nous élève vers quelque chose de plus profond.

Arrivés au sommet, je m’arrête, émerveillée. La côte d’Atrani s’étend devant nous, mosaïque de toits colorés, ruelles serpentines et mer bleu profond. Tout semble paisible, pur. Un sentiment de liberté m’envahit, comme si ce moment contenait la promesse de recommencer.

Je me tourne vers Gianni, mais son regard me fait hésiter. Il semble ailleurs, perdu dans ses pensées, les yeux fixés sur l’horizon. Une ombre traverse ses traits, une tristesse subtile, presque belle, dans ses yeux d’habitude si lumineux.

— Gianni ?

Ma voix est douce, mais teintée d’inquiétude. Il reste immobile, le regard légèrement fuyant. Cette ombre fragile glisse encore sur son visage, une fissure qu’il tente de dissimuler, mais qui trahit une lutte intérieure, silencieuse.

— C’est juste que… tout ça…

Je le vois se débattre, le masque qu’il porte craquelant sous le poids de ce qu’il ne dit pas. Il laisse sa phrase en suspens, cherchant ses mots. Il prend une inspiration, sa voix teintée d’émotion.

— Est-ce que tu as déjà eu la sensation que… que tout est trop beau pour être vrai ? Que si tu baisses la garde, la vie va tout t’arracher ?

Je ressens sa peur, l’idée que ce bonheur est fragile, prêt à s’effondrer. Je m’approche doucement, posant ma main sur son bras, le sentant trembler légèrement sous mes doigts.

— Gianni, regarde-moi.

Je pose mes mains sur ses joues, ancrant mon regard dans le sien.

— Tu mérites ce bonheur. Autant que n’importe qui. Peut-être même plus.

Je caresse doucement ses joues, plongeant mes yeux dans les siens pour lui transmettre ma certitude.

— Ce n’est pas la vie qui décide. C’est nous. Tant qu’on est ensemble, rien ni personne ne pourra nous l’enlever.

Gianni reste silencieux, les yeux un peu perdus.

— J’aime vraiment croire qu’on contrôle tout. Mais parfois, j’ai l’impression que tout est déjà écrit. Comme si on n’avait pas vraiment le choix.

Je pose ma main sur son bras, sentant sa tension.

— On ne contrôle pas tout. Mais on choisit comment réagir. Ce n’est pas ce qui nous arrive qui compte, c’est ce qu’on en fait.

Il fronce les sourcils, toujours hésitant.

— Mais pourquoi ça semble toujours nous échapper ?

Je me rapproche un peu plus.

— Parce que la liberté, ce n’est pas tout maîtriser. C’est savoir qu’on a toujours le choix de continuer, même quand tout va mal. Traverser la tempête plutôt que se laisser submerger.

Son regard s’adoucit, et je vois la lueur du libre-arbitre remplacer l’ombre dans ses yeux. Il rit légèrement, comme pour dissiper le poids sur son cœur.

— Tu as ce don… me faire croire que tout est possible.

Je souris, soulagée. Un silence s’installe, comme une promesse. Puis, mon ventre gronde, brisant la gravité du moment.

— Toi aussi, tu as un don… Me donner faim à toute heure !

Gianni éclate de rire, et les dernières ombres disparaissent. Je pointe l’esplanade près du port en contrebas.

— Tu vois cette gelateria ? On descend se prendre une glace ? C’est moi qui régale !

Un sourire éclaire ses traits, amusé.

— Vu ce qu’en pense ton ventre, je ne peux pas refuser !

Nos rires se mêlent à la brise alors qu’on descend vers le village. Le soleil projette de longues ombres sur les pavés, chaque pas nous rapproche. Je profite de l’instant pour poser une question.

— Ton parfum de glace préféré ? Le melon ?

Il rit, réfléchit un instant.

— Citron vert, avec un twist de basilic. J’aime les saveurs fraîches, mais avec un petit plus.

Je souris, trouvant son choix sophistiqué, à son image.

— Citron vert-basilic ? Tu ne fais rien comme tout le monde…

— Que veux-tu… Classe et distinction. Et toi ?

— Vanille-pistache, c’est mon enfance en une bouchée.

Il grimace, secoue la tête en feignant l’horreur.

— Pistache ? Sérieusement ? Ce goût n’a rien à voir avec une pistache !

Je le regarde, amusée. Nos petites différences nous rapprochent.

— Et le rhum-raisin ?

Il médite à ce parfum, un sourire en coin. Comme s’il cherchait une option parfaite.  

— Joker…

— Il n’y a pas de mauvaise réponse !

— C’est pas trop mon truc. Mais j’aime bien les glaces alcoolisées. Ça ajoute un petit plus sympa.

Il a cette lueur dans les yeux, une idée en tête.

— Je monterais bien un business de granités à base de cocktails. Daiquiri, Cosmopolitan, Bloody Mary. Parfait pour l’été, non ?

Son enthousiasme est contagieux.

— J’adore ! Ouvre ton bar à granités, je serai ta première cliente. Mais avant, si tu pouvais inventer une glace qui ne coule pas.

— Pourquoi tu dis ça ? Un problème avec la gravité ?

— Tu comprendras bientôt…

Nos rires se mêlent à la brise. On continue de descendre les ruelles d’Atrani, le soleil baissant lentement. Chaque instant nous rapproche un peu plus, chaque silence fait disparaître les doutes.

*

Quand on arrive enfin à la gelateria, l’odeur sucrée des glaces flotte dans l’air, mêlée à celle du cacao. Je savoure ma glace vanille-pistache, chaque bouchée fond sur ma langue, ravivant des souvenirs d’enfance. À côté de moi, Gianni déguste son sorbet citron avec un plaisir évident, et je ris doucement en le regardant, amusée par sa maladresse.

— Je mange vraiment comme une cochonne, je t’avais prévenu.

Gianni sourit, malicieux.

— Pour une pêcheuse sur un chalutier, ça colle bien. Le raffinement, c’est pas trop ton truc, non ?

— Hey ! C’est pas sympa, ça.

Je fais mine d’être vexée, mais au fond, je sais qu’il a raison. Ce naturel rend nos moments ensemble encore plus précieux.

— Tu sais, il y a bien des domaines où je peux me montrer délicate.

Gianni rit doucement, visiblement intrigué.

— Vraiment ? Lesquels ?

Son regard devient plus tendre, presque irrésistible, et mon cœur s’emballe.

— Si je ne devais pas me débarbouiller entièrement, je te le montrerais volontiers…

Avec son petit côté gentleman, il réduit la distance et me tend une serviette en papier.

— C’est ce qui fait ton charme. Et ça me donne une excuse pour me rapprocher un peu plus.

Une douce chaleur m’envahit, et je glisse mes lunettes de soleil sur mon nez pour cacher mes yeux rieurs.

— Tu dis ça à toutes les filles, ou juste à celles qui mangent leur glace salement ?

Gianni rit en se rapprochant légèrement.

— Je suis grillé. Seulement à celles qui ont un peu de crème au coin de la bouche.

Je retire lentement mes lunettes et plonge mes yeux espiègles dans les siens, un sourire sucré aux lèvres. J’adore ce jeu de séduction subtil, l’atmosphère entre nous devient plus intense, à l’image de mon cornet qui dégouline.

— Eh bien, j’espère que t’as des serviettes… J’en ai encore besoin.

Il en prend une autre, effleurant intentionnellement ma peau. Ce simple geste me provoque un frisson, et je sais qu’il l’a remarqué. La température entre nous monte bien au-delà de cette glace qui fond entre mes doigts. Gianni prend une profonde inspiration, se délectant de la tension entre nous.

— On dirait qu’on va devoir garder la tête froide encore un peu.

— On dirait bien, Monsieur Melon…

— Peut-être en se rendant chez l’artisan pour le mât avant qu’il ferme. Qu’en dis-tu ?

Je ris doucement. Un peu frustrée, mais heureuse de céder à ses côtés.

— C’est peut-être l’idée la plus sage de la journée…

Nos regards se croisent une dernière fois avant que nous ne nous levions, complices, prêts à continuer cette danse délicate.

 

Gianni

L’air marin se fait plus vif alors que nous quittons la gelateria, laissant derrière nous la douceur des glaces et nos plaisanteries légères. Nos pas résonnent sur les pavés d’Atrani, nous guidant vers l’atelier de l’artisan, un joyau caché dans les ruelles, comme un secret murmuré.

Dès que nous entrons, l’odeur du bois travaillé envahit mes narines, mélange de résine, de sciure et de tradition. Ce parfum raconte des heures de patience et de respect sacré pour le bois. Dans ce sanctuaire qui respire la patience et l’habileté, Giulia scrute chaque recoin, fascinée. Ses yeux brillent de curiosité, absorbant chaque détail de cet atelier où anciens outils et machines modernes cohabitent. Des éclats de lumière dorée, tamisés par les vitres poussiéreuses, illuminent les surfaces de bois et de métal, baignant l’espace d’une douceur mystique.

L’artisan, robuste et marqué par le labeur, s’approche de nous avec un sourire chaleureux. Il porte un vieux tablier de cuir, marqué par des années de travail.

— Vous devez être Monsieur Rossi ?

Je lui serre la main, accueillant son sourire.

— Exact. Nous sommes venus régler le solde et admirer votre chef-d’œuvre.

Il s’essuie machinalement sur son tablier et nous conduit vers le mât principal de La Speranza. Le bois, parfaitement poli, capte la lumière et semble briller sous nos yeux émerveillés. Giulia murmure, admirative :

— Il est superbe.

L’artisan incline modestement la tête, humble face à la beauté de son œuvre.

— Merci. C’était un honneur de travailler sur une pièce aussi symbolique.

Je m’approche, mes doigts effleurant le bois lisse, presque vivant sous ma caresse.

— Quelle essence avez-vous choisie ? Il paraît à la fois solide et souple.

L’artisan, fier, répond :

— Du pin laricio. Parfait pour la mer, résistant à l’humidité et aux vents. J’ai renforcé la base avec du chêne pour plus de solidité.

Giulia s’accroupit pour examiner la base.

— Vous avez ajouté quelque chose d’autre ? La texture semble différente ici.

— Exactement. Le chêne renforce la structure et unit la souplesse du pin à la robustesse nécessaire pour affronter les tempêtes.

Il observe Giulia avec respect pour son œil attentif.

— Une couche de vernis marin chaque année est indispensable, et après chaque sortie en mer, passez un chiffon imbibé d’huile de lin. Cela gardera le bois souple et évitera qu’il ne sèche.

Je hoche la tête, conscient de l’importance de ces détails.

— Et pour le transport ?

L’artisan s’essuie les mains, une ombre de regret dans son regard.

— À mon âge, je ne fais plus le transport. Mais je peux vous donner un bon pour le ferry. Le bureau de manutention est près de la propriété de Signor Bianco.
Le nom de Signor Bianco me fait tressaillir, mais je garde mon calme, échangeant un coup d’œil avec Giulia.

— Signor Bianco ? Il est du coin ?


Je feins l’indifférence. L’artisan hausse les épaules.

— Un homme discret mais influent. Il gère ses affaires depuis un moment ici. Vous ne le connaissiez pas ?

Je secoue la tête.

— Non, mais c’est bon à savoir, merci.

Je serre la main de Giulia pour me rappeler que malgré les ombres, nous sommes ensemble. On règle le solde et organisons le transport. Ce voyage nous offrira une pause entre deux tempêtes.

L’artisan prépare les documents tandis que j’enroule machinalement mon bras autour des épaules de Giulia. Elle se laisse faire, apaisée. Ici, loin des regards, nous pouvons être nous-mêmes.

Distraitement, elle joue avec une mèche de cheveux, l’enroulant autour de son doigt, un geste que j’adore. Sans m’en rendre compte, je souris. Ces petits détails d’elle, que j’apprends à chérir, rendent chaque moment unique.

L’artisan revient avec les papiers. En l’apercevant, je frôle la main de Giulia par réflexe. Elle me jette un regard malicieux, un sourire en coin. L’artisan nous observe tour à tour.

— Vous formez un beau duo. C’est rare de voir une telle alchimie.

Giulia, un peu surprise, baisse les yeux, souriante. Sa main glisse dans la mienne, et son pouce trace doucement ma peau. Je souris à mon tour, touché par cette complicité.

— Merci.

Je caresse doucement sa main. Nous nous apprêtons à partir quand l’artisan, toujours souriant, ajoute :

— Vous savez, Atrani, c’est un endroit spécial. Beaucoup de couples laissent un morceau de leur cœur ici.

Je lance un coup d’œil à Giulia. Son sourire s’estompe légèrement, laissant place à une lueur malicieuse dans ses yeux. Nos regards se croisent, et je sens cette connexion indéfectible entre nous.

— On dirait que nous allons le découvrir nous-mêmes…

Atrani capture les cœurs comme la mer retient ses vagues. L’artisan rigole doucement.

— Si vous avez le temps, passez au restaurant de ma famille, A’ Paranza, au bord de l’eau. Vous ne serez pas déçus. Mon gendre est en cuisine, et ma fille s’occupe de la salle. C’est l’endroit parfait pour les amoureux.

Je jette un regard vers Giulia. Elle me sourit, intriguée.

— Leur spécialité, c’est les linguine aux fruits de mer. Si vous n’êtes pas enchantés, je porterai le mât de La Speranza sur mon dos jusqu’à Positano !

Giulia éclate de rire et répond avec légèreté :

— On vous évitera ce mal de dos, promis.

Satisfait, l’artisan retire son tablier.

— Dites que vous venez de ma part, vous serez bien reçus. Et… c’est vraiment un endroit pour les amoureux.

Je me tourne vers Giulia, mes yeux pétillant de malice.

— Ça te dit ? Tu as faim ?

Son sourire s’élargit, ses yeux brillants de malice.

— Très faim.

Si cette histoire te plaît, partage-la avec ceux que tu aimes ! Ensemble, faisons voyager ce roman.

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A propos de l'auteur

Matthieu Biasotto

Auteur indépendant toulousain, rêveur compulsif et accro au café. J'écris du thriller, du suspense avec une touche existentielle.

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