Faida – Chapitre 72

F
Table des matières

Les éclats de vérité

giulia

Je rentre chez moi, le cœur lourd, l’esprit embrouillé, chaque pas pesant une tonne. Les mots de Gianni résonnent encore en moi comme un écho douloureux : Massimo, mafia, dette. Ce que j’ai appris ce soir laisse un goût amer de trahison, un sentiment de désillusion profonde. J’avais cru en nous, en notre avenir. Mais tout semble s’effondrer.

Quand j’ouvre la porte de mon appartement, l’odeur familière de plats en préparation m’accueille. Une première depuis longtemps, cette fragrance réconfortante contraste avec le chaos qui m’habite. Pourtant, le nœud dans ma poitrine refuse de se relâcher. Les cartons empilés dans le salon me rappellent à quel point tout est encore provisoire, jamais tout à fait fini, comme si chaque chose attendait une validation, une raison de se poser pour de bon.

Je m’arrête un instant, observant la pièce à vivre. L’écran plat est fendu, la console d’Ezio est éteinte — une vision inhabituelle. Pas de bruit de jeu, pas de manettes abandonnées sur le canapé. Le silence étrange qui règne ici est une question sans réponse. Où est-il ? Cette absence m’inquiète, et je suis poussée à avancer, guidée par le crépitement de l’huile dans la poêle et les effluves d’herbes méditerranéennes qui s’échappent de la cuisine.

En m’approchant, je la vois, penchée au-dessus de la cuisinière, remuant doucement la poêle. Elle se retourne en entendant ma voix, et ses yeux fatigués se posent sur moi, un sourire éclairant son visage malgré tout. Elle essaie de garder une certaine lumière dans son regard, même si je perçois la fatigue qui s’y cache.

— Maman ?

— Ah, Giulia, ma chérie, tu es là. Est-ce qu’il te reste du sel ou peut-être un peu de piment dans le placard ? Je n’en trouve plus.

Je m’approche, la gorge serrée, l’émotion m’étreignant. Je jette un coup d’œil aux étagères, presque vides, avec des bocaux éparpillés qui témoignent de notre situation difficile. Puis je me dirige vers le frigo. Je l’ouvre, et une vague d’angoisse m’envahit en voyant son état. Presque vide aussi. Les placards ne sont guère mieux lotis, seulement quelques boîtes de conserve et des paquets de pâtes entamés.

— Il n’y a plus grand-chose, maman…

Elle soupire, un sourire désolé flottant sur ses lèvres.

— Tant pis, on va s’adapter… On a toujours fait avec ce qu’on avait, n’est-ce pas ?

Elle est là, penchée au-dessus de la cuisinière, concentrée sur son plat, et moi, je ressens la douleur de tout ce que nous avons perdu. Je cherche les mots pour m’excuser, mais ma gorge est sèche, l’émotion m’étouffe.

— Je suis désolée, maman. Je sais que tout ça… c’est de ma faute. J’ai été distraite. Avec Gianni… et ça a coûté cher à notre entreprise.

Ma mère pose une main douce sur mon bras, ses doigts réconfortants malgré la fatigue.
— Ne t’en fais pas, Giulia. On trouvera une solution, comme toujours. Les Esposito survivent à tout.

Elle sourit, et je ressens un peu de chaleur dans ses mots, mais je ne peux ignorer la vérité dans ses yeux : la fatigue, l’inquiétude qui ne la quitte jamais. Le bruit de l’eau de la douche se mélange aux crépitements de la poêle, créant une sorte de mélodie familière dans la cuisine. Maman, concentrée, continue de remuer ce qu’elle prépare, tandis que je mets la table pour ne pas craquer. Mes gestes sont un peu trop précis, trop rigides, une tentative de dissimuler la tension qui me ronge.

— Ça ne va pas, ma Giulietta ? Qu’est-ce qui te tracasse ?

Sa voix est douce, mais elle me connaît trop bien pour être trompée par mes faux-semblants. Je m’arrête, une assiette à la main, incapable de lui mentir. Je voudrais répondre quelque chose de léger, mais je sais qu’elle verrait immédiatement la supercherie.

— Je… je vais bien, mamma.

Je pose l’assiette, évitant son regard. Ses mots restent suspendus entre nous, en attente, et je sais que la vérité ne pourra pas rester enfouie longtemps. Elle jette un coup d’œil dans ma direction, sans s’arrêter de remuer la poêle.

— Giulia, ne me mens pas. Je te connais trop bien pour ça.

Je ferme les yeux un instant, la gorge serrée. Les couverts tremblent dans ma main, et je finis par les poser sur la table, un peu trop brusquement. Une lourdeur s’installe dans ma poitrine, et je sens que je ne pourrai plus faire semblant. Je m’approche du plan de travail, respire profondément, puis laisse les mots s’échapper, presque malgré moi.

— C’est Gianni… On s’est disputés.

Maman se fige, levant à peine la tête. Ses sourcils se froncent, une inquiétude silencieuse traverse son visage.

— Gianni ? À quel sujet ?

Je sens la panique monter en moi, ma poitrine se serre. Les mots se bousculent, lourds et difficiles à prononcer.

— Il veut me pousser à vendre le navire, maman. À un Rossi. Son oncle… quelqu’un de mêlé à des affaires louches. Des choses bien plus sombres que ce que j’avais imaginé.

Les mots sont durs à dire, et leur poids semble m’écraser. Chaque phrase est une confession douloureuse, et je peux voir la stupeur puis l’inquiétude se dessiner sur le visage de ma mère. Elle laisse la cuillère reposer sur le bord de la poêle, se tournant lentement vers moi. Ses yeux rencontrent les miens, emplis d’une inquiétude si lourde, presque palpable.

— Les Rossi… Tu sais, Giulia… Parfois, certains secrets devraient vraiment rester au fond des mers.

Je baisse la tête, mes doigts se crispant contre le rebord de la table. Ses mots résonnent en moi, une peur partagée qui s’amplifie, comme une vague prête à tout submerger. Une vague qui menace de m’entraîner avec elle, et de noyer toute ma famille.
— Je sais, mamma… Mais j’ai l’impression de tout empirer, à chaque pas. De vous entraîner avec moi…

Elle pose la cuillère et vient vers moi. Ses pas sont lents, ses yeux cherchent les miens. Elle lève une main et la pose sur ma joue avec une tendresse qui me frappe en plein cœur. Son regard est fatigué, mais empreint d’une force que je ne pensais plus avoir en moi.

— Oh, Giulia… La vie est pleine de courants que nous ne contrôlons pas. Tu as fait ce que tu pensais être juste. Parfois, c’est tout ce que l’on peut faire, même si ça ne suffit pas à éviter les tempêtes.

Je ferme les yeux, essayant de retenir les larmes qui menacent de jaillir. Je respire profondément. Pas maintenant. Pas devant elle. Je rouvre les yeux, forçant un sourire qui vacille.

— On y arrivera, hein ? Même si on doit affronter la tempête…

Son regard reste un moment accroché au mien, une ombre de tristesse adoucissant ses traits. Elle hoche doucement la tête, puis se détourne, reprenant la cuillère pour remuer le contenu de la poêle.

— Oui, ma fille. Mais pour l’instant, mettons la table. Un pas à la fois, d’accord ?

Je hoche la tête, serrant un peu plus les doigts autour des couverts. Un pas à la fois, je me répète. C’est tout ce qu’on peut faire. Emportée par sa lancée, ma mère cherche à me transmettre un peu de son entrain.

— Aujourd’hui est un jour spécial…

Mon regard se pose sur la petite table où quelques sacs de courses sont posés. Ce sont les derniers achats faits avec les toutes dernières économies de ma mère. Ce n’est pas grand-chose, juste de quoi préparer un repas symbolique. En voyant mon expression, elle soupire légèrement, presque désolée.

— Ils ont retiré le bracelet d’Ezio. Je voulais préparer quelque chose pour fêter ça. Même si ce n’est pas grand-chose, il le mérite bien.

Une bouffée de joie m’envahit pour mon frère, mêlée d’une peine profonde en pensant aux sacrifices que ma mère continue de faire, jour après jour. Mon cœur se serre, et une question me traverse.

— Où est-il, d’ailleurs ?

Ma mère sourit, ses yeux plissés par la tendresse.

— Sous la douche. Il se fait beau pour l’occasion. Il veut marquer le coup.

J’acquiesce doucement, un sourire flottant sur mes lèvres. Ezio, avec sa force tranquille, son courage obstiné, mais aussi son sale caractère qui le rend parfois si difficile à suivre. Il est impulsif, il a fait des erreurs, beaucoup même, et ces erreurs nous ont coûté cher. Pourtant, malgré tout ce qu’il a traversé, il est là, prêt à aller de l’avant, à se remettre en mouvement. Et moi, je dois être là, pour lui, pour nous. L’imaginer enfin quitter la manette et les jeux vidéo pour se reconnecter à la réalité, à la vraie vie, me soulage. C’est comme s’il avait décidé de revenir vers nous, vers moi.

Je commence à dresser la table, essayant d’y mettre un peu d’entrain, quand j’entends la porte de la salle de bain s’ouvrir. Ezio sort, essuyant ses cheveux avec une serviette. Lorsqu’il m’aperçoit, il sourit et s’approche pour m’embrasser sur le front. C’est un geste de réconfort silencieux, une force que j’accueille avec gratitude. Puis il s’arrête, son regard croisant le mien. Je lis une hésitation, presque une honte, dans ses yeux.

— Giulia… excuse-moi pour ce que j’ai dit en visio. Parfois, je suis con. J’étais en colère, tu sais bien… Mais on doit se serrer les coudes, pas se tirer dans les pattes.

Son ton est sincère, et je ressens toute la frustration et la culpabilité qu’il porte. Sa voix est rauque, marquée par l’émotion. Je hoche la tête, un poids s’envolant de mes épaules, et je pose une main sur son bras.

— T’en fais pas, frangin. On est dans le même bateau, on se soutiendra, toujours.

Il hoche la tête, et pendant un instant, nous restons là, en silence, unis malgré les tempêtes, prêts à affronter ensemble ce que la vie nous réserve.

— Allez, viens, c’est l’heure de manger.

Je m’assois avec eux, mais la culpabilité me ronge encore. La table est modeste, les portions soigneusement calculées, et le contraste avec nos souvenirs d’avant est déchirant. Ces nuits où la pêche était bonne, où nous riions ensemble en partageant les histoires de la mer, où la nourriture ne manquait jamais. Aujourd’hui, tout semble devenu fragile, incertain. Ma mère sert les assiettes en silence, chaque geste marqué par la fatigue. Ezio aussi a les traits tirés, et malgré son sourire, je vois l’inquiétude dans ses yeux.

Un silence s’installe, seulement interrompu par le bruit des couverts sur les assiettes. Finalement, Ezio prend la parole, rompant la tension d’une voix grave et posée.

— Il faudra que je sorte ce soir.

Une onde d’appréhension me traverse, je cesse de mâcher, inquiète de ce qu’il prépare. La dernière fois qu’il est sorti faire la fête, il a fini devant un juge.

— Tu ne comptes pas aller boire jusqu’à pas d’heure, hein ?

— Pas du tout. J’ai parlé à ta copine Marisa. Les Marini sont d’accord pour qu’on vienne pêcher avec eux. On a besoin de couvrir les dépenses courantes, malgré l’interdiction.

Les Marini… Marisa fait partie de cette famille. Ils ont toujours été là pour nous soutenir, même dans les pires moments. Mais je sais combien ils peinent eux aussi. Leur chalutier est modeste, et ils n’ont déjà pas assez pour eux-mêmes. Une vague de culpabilité me traverse, mais je ne peux pas rester en arrière.

— Je viens avec toi, Ezio. Je dois faire ma part. C’est de ma faute si le Luce di Mare reste à quai. On ne peut pas continuer comme ça, je veux être là avec toi.

Il secoue la tête, un sourire fatigué étirant ses lèvres.

— Tu m’as filé à bouffer durant toute mon assignation à résidence, Giulia. T’as assez fait pour moi, il est temps que je te renvoie l’ascenseur.

Je m’apprête à insister, mais il lève la main, son regard se faisant plus insistant, presque doux malgré son air têtu et ses faux airs de hooligan.

— Et puis, il n’y a pas assez de place sur le chalutier des Marini. On se marcherait dessus. Marisa m’a dit que Pietro venait avec nous. Alors ne t’inquiète pas, ça va aller…

— Je ne sais pas quoi dire…

— Profites-en pour te reposer. T’as une tête de lémurien dépressif.

Malgré sa plaisanterie, je serre les lèvres, le cœur serré. Je déteste l’idée qu’il parte sans moi, qu’il prenne ce risque pendant que je reste ici. Mais je sais qu’il a raison. Le chalutier des Marini est trop petit, et notre situation est déjà assez précaire.

— Promets-moi juste de faire attention.

Ezio pose une main sur mon épaule, son regard plein de tendresse.

— T’inquiète, Giulia. On va s’en sortir, je te le promets.

Il se lève ensuite, le repas à peine terminé, et dépose un baiser sur la joue de notre mère, puis sur mon front. Je le regarde enfiler sa veste, prêt à affronter la nuit en mer, chaque pas résonnant comme un écho de ce que nous avons à perdre. Je lui souris faiblement, essayant de lui transmettre toute la confiance que je peux encore rassembler.

— Je rentre vite. Gardez-moi du dessert.

La porte se referme derrière lui, et un silence pesant retombe sur l’appartement. L’angoisse me tord le ventre en pensant aux vagues, à la mer noire qui l’attend dehors. J’aurais dû être là. Je me promets, une fois de plus, de redresser la situation. De protéger notre famille. Je ne laisserai plus mes sentiments me détourner de mes responsabilités.

 

Gianni

Le cœur lourd, je fais tourner machinalement le trousseau de clés du coffre-fort, accroché à mon petit melon doré. Le mouvement répétitif, le cliquetis métallique du porte-clés, m’apporte un étrange réconfort. Comme si, par miracle, chaque tour pouvait finir par m’apporter une réponse qui refuse encore de se dessiner. Mais le vide persiste, indéchiffrable, pesant.

Depuis que Giulia est partie furieuse, la crique est tristement déserte, baignée par les dernières lueurs du jour. Je n’arrive pas à quitter cet endroit, comme si je refusais de jeter l’éponge. Les vagues déferlent doucement, mais le chaos en moi est loin d’être aussi paisible. Le bruit des vagues est la seule chose qui semble encore me rattacher à une réalité supportable. Je suis assis sur notre rocher, celui où Giulia et moi avions gravé nos symboles, un geste qui, autrefois, portait des promesses. À cet instant, ce rocher me paraît froid, distant, comme si même la pierre avait changé, tout comme moi.

Je laisse mes doigts effleurer la surface rugueuse, traçant le contour du melon et de la bouée que nous avions gravés ensemble. Ces symboles, qui représentaient autrefois notre monde privé, ne sont plus que des marques vides, des cicatrices sur une pierre qui ne comprend pas la profondeur de notre perte. Je me souviens de ses doigts délicats traçant le fruit dans la roche, nos rires se mêlant au bruit de la mer. Le sourire qu’elle m’avait offert ce jour-là me revient en mémoire, un souvenir si vivant qu’il me transperce. Aujourd’hui, tout semble différent, comme si les fondations mêmes de ma vie étaient en train de s’effondrer.

La mer, autrefois mon alliée, est devenue une force implacable, reflétant le tumulte en moi. Chaque vague déferle avec une douceur trompeuse, mais je sais ce qu’elle cache : une puissance prête à tout emporter, à tout ravager. Le vent marin me fouette le visage, et pour la première fois, l’air salé ne me réconforte pas. Il est chargé de quelque chose de sombre, quelque chose que je ne peux plus ignorer.

Je me perds dans mes pensées, l’esprit embrouillé, les mots de Giulia résonnant encore en moi. « Non, Gianni. Tu l’as fait pour toi. » Elle a raison. Je ne suis même pas allé voir l’état de La Speranza depuis ma descente du ferry. Cette part de vérité me hante, elle se répète sans fin. Mais avant que je ne m’y enfonce complètement, un bruit attire mon attention. Des pas légers crissent sur les galets derrière moi.

Je me retourne brusquement, mon cœur s’accélérant un instant, porteur d’un espoir irrationnel que ce soit Giulia, revenue pour me sauver de cette folie. Mais cet espoir se brise aussitôt. Ce n’est pas elle.

Une femme s’avance, une inconnue. Elle est élégante, d’une allure qui ne passe pas inaperçue avec sa chevelure flamboyante et son foulard savamment noué au cou, mais il y a quelque chose dans son regard, une froideur calculée, qui me met mal à l’aise. Elle sourit légèrement en s’approchant, mais ce sourire n’atteint jamais vraiment ses yeux, un masque comme ceux qu’on porte dans les carnavals, une façade sans vie.

— Bonsoir Gianni.

Elle parle avec assurance, comme si elle connaissait tous mes secrets, comme si elle me tenait déjà dans le creux de sa main.

Je la fixe, surpris et méfiant, mon corps se tend instinctivement.

— Bonsoir… Qui êtes-vous ?

Elle s’arrête à quelques pas de moi, suffisamment proche pour que je sente son parfum piquant, qui contraste violemment avec celui doux et apaisant de Giulia. Ce parfum est une intrusion, une présence étrangère qui semble vouloir s’imposer. Elle sort une carte de visite de la poche de son manteau avec une lenteur calculée. La lumière mourante du crépuscule semble souligner chaque geste, comme si le temps lui-même s’attardait.

— Vous ne me reconnaissez pas, c’est normal. Nous ne nous sommes jamais rencontrés… du moins, pas vraiment.

Sa voix est douce, mais chaque mot est une lame qui coupe.

— Je suis Elena Verdi, journaliste à Naples. J’attendais votre appel, Gianni… Vous n’avez pas trouvé ma carte à la villa ?

Je fronce les sourcils, une vague de souvenirs flous m’envahissant. La villa, cette soirée où tout a basculé, cette ombre que je n’avais pas pu rattraper. Mon esprit s’emballe, des images fragmentées surgissent.

— C’est… C’était vous, à Atrani ? L’ombre que j’ai vue s’enfuir ?

Elle hoche la tête, un sourire énigmatique aux lèvres.

— Exactement. Je suis désolée de ne pas m’être présentée plus tôt, mais je dois être prudente. Je devais m’assurer que vous comprendriez l’importance de ce que j’ai à dire.

Le poids de ses paroles pèse sur moi comme une ancre qui me tire vers le fond. Mon cœur s’emballe, battant à tout rompre, résonnant douloureusement dans mes tempes. Je pense à Giulia, à ce que tout ça pourrait signifier pour elle. L’image de ses yeux remplis de confiance traverse mon esprit, une confiance que je sens glisser entre mes doigts. Si cette femme est celle que j’ai vue à la villa, alors elle sait des choses. Peut-être trop de choses.

— Pourquoi vous me suivez ? Qu’est-ce que vous voulez ?

Elle se rapproche, sa voix se faisant plus douce, presque conspiratrice.

— Gianni, je suis sur le point de révéler quelque chose de grand. Je travaille sur une enquête concernant votre oncle, Massimo. Vous êtes sans doute au courant de ses activités… disons, peu scrupuleuses.

Une vague de panique me traverse, comme une lame de fond inattendue, mais je m’efforce de ne rien laisser paraître. Je peux presque sentir les gants noirs de Massimo m’étrangler à cet instant précis. Les conseils de Giulia résonnent en moi, comme un écho lointain d’une époque plus simple.

— Je ne sais pas de quoi vous parlez.

Ma gorge est nouée, essayant de gagner du temps. Les mots sortent de ma bouche, mais ils me semblent creux, vides de sens.

Elle soupire, son regard se durcissant.

— Vous savez exactement de quoi je parle, Gianni. J’ai déjà essayé par le passé de me rapprocher des membres de votre famille, en pure perte.

Ses mots sont plus tranchants, comme si elle creusait une plaie ancienne.

— Je parle de déchets contaminés, des affaires illégales de ODM… des vies en jeu. Vous ne pouvez pas ignorer ça.

Mon esprit s’emballe. Les images de Giulia et moi, sur ce rocher, insouciants, s’entremêlent avec une autre réalité : l’épave du Il Destino, les barils que j’ai pris en photo, les menaces des hommes de mon oncle sur leur bateau. Tout ça devient bien trop compliqué, bien trop dangereux. Je sens le sol glisser sous mes pieds, comme si je perdais pied dans cette mer déchaînée.

— Écoutez, je ne peux pas vous aider. Je ne sais rien, et je ne veux pas savoir.

Les mots sont une tentative désespérée de construire une barrière entre nous, mais je sens qu’elle est déjà fissurée. Les choses sont déjà assez compliquées comme ça pour moi.

Elle semble déçue, mais pas surprise.

— Vous savez que vous ne pourrez pas fuir éternellement. Un jour ou l’autre, la vérité éclatera.

Ses paroles sont comme une prophétie sombre, une vague inévitable qui s’écrasera sur moi. Je fais semblant de réfléchir, cherchant une issue. Mais toutes les portes semblent se fermer autour de moi. Je pense à Giulia, à ce que je dois protéger, à ce que je suis prêt à sacrifier et à ce que je peux encore sauver.

— Je dois y aller. J’ai besoin de me rendre au chantier naval. Je dois… je dois être seul.

Je lance ma phrase en reculant, le cœur battant dans ma poitrine comme un tambour de guerre.

— On se reverra sans doute, Gianni…

— Je ne pense pas.

Sans attendre sa réponse, je tourne les talons et m’éloigne rapidement. Chaque pas que je fais est une tentative de fuir cette tempête qui gronde en moi. À chaque pas, l’angoisse monte en moi. Elle sait. Elle sait des choses que je préférerais que Giulia n’apprenne jamais. Je ne peux pas me permettre de m’impliquer dans une telle affaire. Pas maintenant. Pas avec tout ce qui se passe.

Le trajet vers le chantier naval se fait en silence, mais mes pensées sont en ébullition, un maelström de peurs et de regrets. Les images de la villa, la silhouette fuyante, les mots d’Elena… tout se mélange tandis que je décide enfin de voir à quel point mon oncle a saccagé le bateau auquel Giulia tient tant.

Et peut-être y trouver une réponse. Une façon de rattraper ce que j’ai perdu, ou au moins, de comprendre les dégâts et tenter de les réparer.

Si cette histoire te plaît, partage-la avec ceux que tu aimes ! Ensemble, faisons voyager ce roman.

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A propos de l'auteur

Matthieu Biasotto

Auteur indépendant toulousain, rêveur compulsif et accro au café. J'écris du thriller, du suspense avec une touche existentielle.

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