Faida – Chapitre 76

F
Table des matières

Entre douleur et colère

giulia

Je suis coincée entre ma mère et Marisa, Marco à mes côtés. Mon cœur, lourd, bat douloureusement, comme s’il menaçait d’éclater sous l’angoisse. L’air de l’hôpital est dense, saturé de désinfectant, chaque respiration me brûle les poumons. Tout semble figé, chaque minute qui passe est un pas de plus vers l’inconnu. Autour, le silence est à peine troublé par les murmures des infirmières et le grésillement des machines, des sons qui s’accrochent à moi, plus lourds à chaque instant. Un chariot passe, son grincement résonne comme une épée de Damoclès.

Je cherche le regard de ma mère, de Marisa, espérant un lien, mais elles évitent mes yeux. On est ensemble, dans la même tempête, mais chacune se noie dans sa propre douleur. Le silence entre nous est un mur infranchissable, un poids qui nous écrase un peu plus à chaque seconde. L’attente devient un monstre, se nourrissant de notre angoisse. Je suffoque, l’air semble s’épaissir, comme si l’attente allait finir par me dévorer toute entière. L’absence d’Ezio est une chute libre, un abîme sans fin.

Je n’attends plus Gianni. Mes appels sans réponse ont laissé sur mon cœur des cicatrices invisibles, des cris muets résonnant dans l’immensité vide de cet endroit impitoyable. Les absents ont toujours tort, dit-on, mais ici, son absence dépasse l’erreur : c’est une trahison qui me transperce jusqu’aux os. L’espoir m’a quittée, glissant comme du sable entre mes doigts, remplacé par une trahison sourde qui pulse à chaque battement de mon cœur. Je me sens vide, seule, l’attente me ronge comme un poison lent. Ce n’est plus seulement lui que j’ai perdu, c’est une part de moi-même. Le néon froid des plafonds renforce cette sensation : cet hôpital, indifférent, devient une prison.

Puis, la porte s’ouvre. Gianni entre. L’onde de choc me frappe au ventre. Son costume parfait, son visage fatigué, tout en lui crie que quelque chose cloche. La colère monte en flèche, rapide, brûlante. Le claquement de la porte derrière lui est un coup de fouet, et le silence qui suit est presque assourdissant. Je le fixe, le regard chargé de reproches que je ne peux plus contenir.

— Giulia… Je suis désolé de ne pas être arrivé plus tôt. J’ai été retenu.

Ses excuses résonnent comme une partition jouée au pipeau. Chaque mot est une braise jetée sur l’incendie de ma rage, attisant les flammes au lieu de les éteindre. Comment un simple “désolé” pourrait-il effacer la solitude, l’angoisse que j’ai ressentie sans lui ?

— Pourquoi tu n’as pas répondu à mes messages, Gianni ? Je t’ai appelé… J’avais besoin de toi !

Son visage se fige sous le poids de la culpabilité. Ça ne m’apaise pas, au contraire, ça enflamme ma colère. Son hésitation est une nouvelle trahison, une lame qui s’enfonce plus profondément. Il balbutie une réponse dérisoire, un rempart fragile contre l’inévitable.

— Je sais… Je suis vraiment désolé. Ma voiture est tombée en panne, et j’ai dû…

Ma mère et Marisa le fusillent du regard. Leurs yeux, des lames acérées, prêtes à le trancher. Leur colère silencieuse est presque palpable. Gianni le sent aussi, nerveux, conscient que sa présence ici est une provocation. Il se tient là, comme un intrus, ne réalisant pas que chaque seconde empire sa faute. Leurs visages fermés, immobiles, reflètent la tempête en moi. Ce n’est pas une simple absence, c’est un abandon, et cet abandon hurle dans chaque silence entre nous. Son arrivée tardive ne fait qu’ajouter de l’huile sur un feu déjà incandescent.

Chaque mouvement de Gianni semble déplacé, maladroit, dans cette salle où la tension est palpable. Il n’est pas le bienvenu, et il le sait. L’ombre de sa faute plane au-dessus de lui, amplifiant la gêne et la colère. Le poids de la vérité qu’il évite est visible dans ses gestes mal assurés, dans ses yeux fuyants. Ma mère serre les lèvres, Marisa croise les bras, tout en elles crie à Gianni qu’il a déjà trop tardé, que chaque seconde ici empire sa faute.

— Tu as dû quoi, Gianni ? Trouver une excuse pour ne pas venir ?

Les mots jaillissent de ma bouche, portés par une vague de ressentiment incontrôlable. Je croise les bras, sentant mon cœur se durcir à chaque mot qu’il prononce. Il ne fait qu’aggraver la situation. Comment peut-il ne pas comprendre la gravité de son absence ? Sa négligence me fait me sentir plus seule que jamais. Et dans cette solitude, je me demande s’il est encore possible d’appeler cela de l’amour.

Puis, je le vois jeter un coup d’œil à Marco. Ce geste, si petit, trahit une jalousie que je ne comprends pas, un venin ancien qui semble le consumer. Gianni sort son téléphone, tape rapidement un message. Ce geste insignifiant me frappe comme une gifle.

— Je te parle, Gianni. Qu’est-ce que tu fais ?

Il relève la tête, surpris par la sévérité de mon ton. Son hésitation amplifie ma méfiance. Il cherche une échappatoire, encore une fois.

— Je voulais juste m’assurer de ne pas rester coincé ici, au cas où…

Mes sourcils se froncent. Ses mots sont une lame s’enfonçant dans mon cœur. Il envisage déjà de partir. Comme si, même dans ce moment de crise, il n’était qu’à moitié ici, prêt à s’échapper.

— Coincé ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Tu voulais être là pour moi ou tu cherches déjà un moyen de t’enfuir ?

Il tente de se justifier, mais je le sens hésitant, presque coupable. Ses hésitations amplifient mes doutes. Est-il encore là pour moi ? Chaque mot qu’il prononce menace de briser ce qu’il reste de notre relation.

Puis son téléphone vibre. Le nom d’Isabella s’affiche à l’écran, transperçant mon cœur comme un poignard. La colère se transforme en une douleur si vive que je ne peux plus la contenir. C’est une trahison vivante, respirant à travers ce nom.

— Sérieusement… Tu as demandé à Isabella de rester ici ?

Il s’approche, tendant la main pour m’apaiser, mais je recule instinctivement, comme brûlée. Ce geste est un rappel cruel de ce que nous étions, de ce que nous aurions pu être, mais que nous ne sommes plus.

— Alors, c’est ça ? Au moment où j’ai le plus besoin de toi, tu viens avec elle ? Après la discussion qu’on a eue, Gianni ! Tu sais ce que ça représente pour moi ?

La panique traverse ses yeux, mais il est trop tard. Ses excuses, ses explications, n’ont plus d’importance. Ma colère a pris le dessus. Ses yeux trahissent une peur que je ne peux plus ignorer, mais ça ne change rien. Ce n’est plus lui contre moi, mais la somme de toutes nos erreurs qui nous dévore.

— Giulia, ce n’était pas prévu. Ma voiture est tombée en panne, je tenais absolument à être présent… Elle était là juste pour m’aider…

— Elle était avec toi ? Pourquoi ?

— Peu importe. Il fallait que je vienne en urgence. Je pensais pouvoir gérer ça, mais…

— Gérer ça ? Comme si c’était une simple tâche ? Je n’ai pas besoin de toi si tu ne comprends même pas ce que je traverse !

Chaque mot que je prononce semble tirer un rideau sur ce que nous étions, sur ce que j’ai espéré de lui. Marco, silencieux jusque-là, se lève et pose une main réconfortante sur mon épaule. Ce geste ajoute une tension insupportable entre nous trois. L’air devient plus lourd, saturé de cette rivalité muette qui ne fait qu’aggraver ma peine.

— Giulia a raison, Gianni. Si tu ne peux pas être là sans ajouter des problèmes, tu devrais vraiment te demander pourquoi tu es ici.

Le visage de Gianni se durcit, ses mâchoires se serrent. Je le connais trop bien, je vois cette fureur sourde monter en lui, mais cette fois, elle n’a plus aucune prise sur moi.

— Marco, un conseil : baisse les yeux. Tu devrais éviter de te mêler de ce qui ne te concerne pas. Mais tu vas regretter de jouer à ce petit jeu avec moi.

— Une menace ? Angelo va encore venir me casser la figure, c’est ça ?

Les mots de Marco frappent Gianni de plein fouet. Son visage se fige, comme s’il venait de recevoir un coup imprévu. Et dans ce silence brutal, je réalise que je suis coincée entre deux hommes qui se battent pour des raisons qui dépassent ce moment.

— Ça suffit, vous deux ! Je n’ai pas besoin d’un combat d’ego.

Gianni baisse les épaules, légèrement abattu. Puis il toise Marco avec un mépris évident. Son regard n’est plus celui de l’homme que j’ai aimé, mais celui d’un étranger qui se bat pour sauver son honneur, pas notre relation.

— Je vois que tu es bien entourée, Giulia… Peut-être que je ne devrais pas être ici.

Mon cœur se serre. Ce n’est pas une rupture, pas encore, mais chaque mot nous en rapproche inexorablement. Je n’ai jamais voulu que ça se termine ainsi. Je fais un pas vers lui, tendant la main dans une tentative désespérée, comme si ce geste pouvait encore saisir ce qui nous échappe depuis trop longtemps.

— Gianni, attends…

Il me coupe, les yeux emplis de douleur. Cette douleur que je reconnais, mais qui n’a plus de place ici. Il est trop tard.

— Tu me reproches Isabella… mais regarde autour de toi, Giulia. Tu as l’épaule de ton ex pour pleurer. Peut-être que tu n’es pas la mieux placée pour me faire une scène.

Ses mots me frappent en pleine poitrine. J’encaisse, figée, tandis que les larmes coulent sans bruit, glissant le long de mes joues. Elles descendent, témoins silencieux de la fracture que ses paroles ont laissée. Je voudrais répondre, mais les mots s’étranglent dans ma gorge. La douleur est un nœud trop serré pour être défait. Je me perds entre la colère et les regrets, incapable de trouver une issue. Marco est là, en silence, conscient de la situation mais impuissant.

Gianni se détourne. Ses pas résonnent, lourds, chaque mouvement enterre un peu plus ce que nous étions. Ce n’est pas son départ qui fait le plus mal, mais le vide qu’il laisse derrière lui. Un gouffre immense, que rien ne pourra jamais combler. Je le regarde s’éloigner, sentant qu’à cet instant précis, quelque chose s’est brisé. Quelque chose qu’on ne pourra plus réparer.

Dans le calme revenu après la tempête, une question reste suspendue : était-ce déjà trop tard depuis bien longtemps ?

*

L’air, saturé de tension, semble se refermer sur moi depuis son départ. Chaque respiration est un combat, une épreuve contre cette atmosphère lourde qui m’écrase. Je fixe l’horloge, mais le temps s’étire comme une torture, me laissant piégée dans cette attente étouffante. Le monde tourne au ralenti, tout me ramène à Gianni. Chaque pensée, chaque instant me perd un peu plus dans un océan d’incertitudes. Je me débats, mais je ne sais plus comment sortir de ce gouffre.

Marco est là, face à moi, son regard cherche quelque chose que je ne peux pas lui offrir. Il est calme, posé, un roc face à la tempête que je deviens. Son regard me rassure autant qu’il me trouble. Il est là, mais je suis encore coincée avec Gianni. Cette douleur qui nous lie, qui nous déchire. Lâcher prise ? Oublier cette lutte pour peut-être accepter la main que Marco me tend ? Mais je ne suis pas prête. Pas encore.

Ma mère, à ma gauche, son angoisse est un reflet parfait de la mienne. Ses doigts crispés me rappellent que je suis tout aussi prisonnière de cette spirale. À ma droite, Sofia pose une main sur mon épaule, un geste habituellement réconfortant, mais aujourd’hui, il semble creux, lointain. Leur présence ne comble en rien l’absence dévorante de Gianni. Comme si tout l’amour du monde ne pouvait pas recoudre ce qui s’effiloche entre lui et moi.

Je touche le pendentif en cornicello que Gianni m’a offert. Ce contact froid me ramène à un autre temps, celui où ce bijou était synonyme de promesse. Maintenant, c’est juste un poids, un rappel de cette relation qui vacille. Il l’avait attaché à mon cou comme s’il scellait quelque chose d’éternel. Et pourtant, il est si loin maintenant. Plus que physiquement, émotionnellement. Ce silence entre nous, ces disputes… ils me rongent.

Mes doigts tremblent alors que je saisis mon téléphone. Les mots me manquent. Que dire à un homme que j’aime encore, mais qui me détruit peu à peu ? Je tape lentement.

« Je suis désolée. »

C’est tout ce que je trouve. C’est si peu comparé à ce qu’il y a entre nous. Mais je l’envoie quand même, comme une bouteille à la mer. Le silence qui suit est pire que tout. Il m’écrase un peu plus.

Soudain, la porte de la salle d’attente s’ouvre avec fracas. Le chirurgien entre, épuisé, son visage marqué par les heures passées sous les néons froids du bloc opératoire. Mon estomac se noue violemment lorsqu’il s’adresse à ma mère.

— Mme Esposito, nous avons réussi à stabiliser votre fils, mais l’opération a été complexe. L’hameçon a causé de graves dommages.

Maman vacille, sonnée par le choc de la nouvelle, et mes jambes semblent se dérober sous moi. Les mots résonnent dans l’air, flottent autour de moi sans que je puisse vraiment les saisir. Marisa serre mon épaule, mais je ne sens presque rien. Sa main est loin, tout est loin, sauf cette panique qui me submerge.

— L’hameçon ? Pouvez-vous nous dire ce qu’il s’est vraiment passé ?

Ma voix est tremblante, faible, perdue sous le poids de la terreur qui monte en moi. Le chirurgien inspire profondément avant de donner des détails.

— Selon les sauveteurs, une vague violente a frappé le chalutier, plaquant votre frère contre un morceau d’équipement de pêche. Un gros hameçon s’est profondément enfoncé dans son flanc, lui déchirant les tissus sur plusieurs centimètres. Il a perdu beaucoup de sang, et c’est passé à quelques millimètres d’une artère. C’est ce qui a rendu l’intervention particulièrement délicate.

Les explications se brouillent dans mon esprit, envahies par des images de cauchemar : mon frère, la mer teintée de rouge, cet hameçon brutal… et moi, incapable de l’aider. Je serre le pendentif plus fort. Gianni me manque tellement. S’il était là, peut-être que tout serait plus supportable. Mais même là, est-ce que ça suffirait ?

Marco murmure, sa voix douce tentant de me ramener à la réalité :

— Ils ont réagi vite en appelant les secours. Ton frère est fort. Il va s’en sortir.

Je veux croire en ses mots, mais quelque chose en moi reste figé dans la peur. Et si rien n’allait bien, en réalité ? Mon téléphone vibre. Gianni par SMS. Mon cœur fait un bond.

« Vraiment ? Parce que moi, je ne suis pas sûr que tu sois désolée. »

Son message est sec, froid. Chaque mot est un coup. Pourquoi doit-il toujours être si dur ?

« Pourquoi tu me parles comme ça ? Mon frère est à l’hôpital et toi… toi, tu me reproches des choses alors que j’ai juste besoin de ton soutien. »

Je relis ces mots. Mes mains tremblent. Puis sa réponse arrive, tranchante.

« Je suis là, Giulia. Mais tu m’as demandé de partir. Tu te souviens ? »

La frustration monte en moi. Pourquoi doit-il toujours tout ramener à ça ?

« Je ne t’ai jamais demandé de partir pour de bon. Juste… juste de comprendre. Je ne voulais pas que tu me laisses seule dans un moment pareil. »

Le silence s’installe avant que son prochain message ne m’arrache un soupir.

« Difficile de savoir ce que tu veux, Giulia. Quand je suis là, tu me repousses. Quand je pars, tu te plains d’être seule. »

Sa remarque me blesse. Je sais qu’il a raison, en partie. Mais je ne peux pas m’empêcher de répliquer :

« Je suis perdue, Gianni. Mais là, tout ce que je sais, c’est que j’ai besoin de toi. Pas de reproches. Juste de toi. »

Je pose mon téléphone, fermant les yeux un instant. Mais sa réponse arrive, glaçante.

« Je fais de mon mieux, mais visiblement, ça ne suffit jamais. Peut-être que c’est moi le problème. »

Je sens la colère monter. Pourquoi doit-il toujours se poser en victime ?

« Arrête avec ça. Ce n’est pas une compétition de qui souffre le plus. On devrait être là l’un pour l’autre. »

J’attends, espérant une réponse différente. Mais son message suivant me coupe le souffle.

« Tu as Marco avec toi, non ? Il semble parfaitement capable de te soutenir. »

Je tape frénétiquement, la vision brouillée par les larmes.

« Marco n’a rien à voir avec nous, Gianni. Je veux que toi tu sois là. Arrête de te comparer à lui. »

Je me sens seule, perdue, comme si tout autour de moi s’effondrait.

« Je ne sais pas si je peux te donner ce que tu veux. Peut-être que je suis juste incapable de te rendre heureuse. »

Ses mots sont comme un couperet. Mon cœur se serre, mais je finis par taper ce que je ressens vraiment.

« Peut-être… Peut-être qu’on est juste en train de se détruire, Gianni. Et tu sais quoi ? Je suis tellement déçue. De toi, de nous. Je ne pensais pas que ça finirait comme ça. »

Je relis ces mots, mes doigts tremblant sur l’écran. La vérité me brûle les lèvres, elle me dévore de l’intérieur. C’est comme si tout ce que je tais depuis des jours remontait à la surface, impossible à contenir. Gianni doit comprendre à quel point il m’a blessée. À quel point nous nous sommes blessés. Il faut qu’il voie la réalité, qu’il arrête de fuir.

Quelques secondes passent, interminables. Puis mon téléphone vibre à nouveau. Sa réponse tombe comme un couperet, m’arrachant le peu d’espoir qu’il me restait.

« Que veux-tu… Il paraît que je suis une déception permanente. C’est l’histoire de ma vie. »

Ses mots claquent comme une gifle. Je les relis, le cœur serré, incrédule. Pourquoi, Gianni ? Pourquoi choisis-tu toujours de te draper dans ce rôle de victime ? Pourquoi refuses-tu de faire face à ce qui nous détruit ? La frustration monte en moi, accompagnée d’une vague de tristesse étouffante. Nous sommes au bord du gouffre, et il se replie, incapable de comprendre que tout pourrait changer, s’il faisait juste un petit effort.

Je serre les lèvres, retenant un sanglot. J’ai cherché de l’amour, du soutien, quelqu’un à qui m’accrocher. À la place, je me retrouve à ramasser les morceaux seule, à porter le poids de tout ce qui ne va pas.

Le silence qui suit est une enclume sur ma poitrine. Mon cœur bat à tout rompre, prêt à éclater. Marco s’approche doucement, sa voix tendre brisant enfin ce silence insupportable.

— Un café ?

Je hoche la tête, sans vraiment savoir ce que je fais. Peut-être qu’il est temps de lâcher prise.

Je serre la tasse chaude dans mes mains, mais la chaleur ne chasse pas le froid qui m’envahit. Autour de moi, tout est flou, irréel. Les visages, les bruits, tout semble lointain. Mon esprit, lui, est embourbé dans un tourbillon de regrets et de questions sans fin.

Gianni. Toujours Gianni. Chaque pensée revient à lui. Mais plus j’y pense, plus je sens l’épuisement m’envahir. Ce qui autrefois était une source de force est maintenant un poids qui m’entraîne vers le fond. J’ai toujours voulu croire qu’on pouvait se sauver, sauver ce que nous étions. Mais peut-être que ce n’était qu’un rêve, un mirage auquel je m’accrochais désespérément.

Je prends une gorgée de café, mais l’amertume est insupportable. Je repose la tasse, le regard vide. Et là, tout devient clair : Gianni n’est plus là. Il ne l’a pas été depuis longtemps. Physiquement, peut-être, mais son esprit, son cœur… ils sont ailleurs. Peut-être même que je ne les ai jamais vraiment eus.

Je fixe mon téléphone, guettant une réponse qui ne viendra sans doute jamais. Le silence de Gianni est plus cruel que n’importe quelle dispute. Plus tranchant que n’importe quelle trahison. Un mur, infranchissable.

— Giulia ?

La voix de Marco me ramène à la réalité. Je relève la tête, nos regards se croisent. Il comprend, sans que je dise un mot. Dans ses yeux, je vois une tendresse silencieuse, là où Gianni ne m’a laissé que des reproches.

— Je vais bien.

Les mots sortent, faibles, faux. Marco ne répond pas, il sait que ce n’est pas vrai. Et peut-être que moi aussi, je dois l’admettre. Je ne vais pas bien. Gianni et moi ne sommes plus que des fantômes de ce que nous étions, et l’espoir de recoller les morceaux s’amenuise un peu plus à chaque instant.

Je prends une grande inspiration, tentant de retrouver un semblant de contrôle. Il faut que je sois forte, pour Ezio, pour ma mère. Pour moi. Le temps des illusions est fini. Je ne peux plus me perdre dans ce qui aurait pu être. Il est temps de faire face à ce qui est.

Mon téléphone vibre enfin. Je regarde l’écran, le cœur battant. La réponse de Gianni est glaciale, mais je l’avais devinée.

« Peut-être qu’on se fait plus de mal qu’autre chose, Giulia. »

On fonce dans une impasse. Je le sais. Lui aussi, sans doute. Et pour la première fois, je n’ai plus envie de me battre contre ça.

Je lève les yeux vers Marco, puis je contemple le vide autour de moi. Il y a encore des choses à construire, des gens qui sont là, vraiment là. Le chemin avec Gianni s’achève, mais le mien ne fait que commencer.

Je prends une dernière inspiration et tape une réponse, simple, nécessaire.

« Peut-être que tu as raison, Gianni. »

Je relâche enfin le souffle que je retenais, le cœur encore lourd, mais étrangement soulagée. Comme si c’était fini.

Je ferme les yeux un instant, laissant la réalité de ce moment s’installer en moi. Ce n’est pas la fin que j’avais espérée, mais c’est celle qu’il fallait.

Marco s’assoit en silence à mes côtés, et pour la première fois depuis longtemps, je sens qu’un nouveau chemin s’ouvre devant moi. Un chemin où, peut-être, je pourrai enfin retrouver la paix.

 

Gianni

Après des mots trop durs jetés par SMS, la propriété familiale m’accueille comme un piège. Ses murs épais, gardiens silencieux des secrets de ma famille, semblent peser sur moi, répercutant l’écho de mes pensées tourmentées. Ici, tout respire les attentes insatisfaites et les promesses brisées. L’air, lourd, saturé de poussière, est imprégné de cette odeur familière de bois vieilli et d’actes manqués. Chaque brique, chaque poutre chuchote des reproches, me rappelant les erreurs du passé. Même le vent, dans les branches des arbres, semble murmurer des accusations. La demeure, autrefois un refuge, est devenue un tribunal silencieux, où chaque recoin semble me juger.

Je traverse la cour pavée, les graviers crissant sous mes pas comme un souvenir récurrent. Chaque détour ravive des images d’Isabella, nos vies d’avant se superposant à chaque ombre projetée sur les murs de la demeure. Les souvenirs s’infiltrent dans la moindre fissure, s’accrochant à chaque geste comme des fantômes que je ne peux chasser. Une maison pleine de fantômes, d’erreurs indélébiles. Devant moi, Isabella gare son cabriolet allemand, et les phares projettent sur les murs des ombres dansantes, accentuant mes doutes et mes responsabilités, lourdes comme des chaînes rouillées. Les chaînes d’un passé auquel je ne peux échapper, un passé où les promesses ne tenaient jamais.

— C’est étrange de revenir ici, Gianni…

Sa voix, douce mais tranchante comme un sabre dans de la soie, rompt le silence. Elle perce l’air comme un rappel douloureux de tout ce que j’ai perdu. Je la regarde, ses traits parfaits, mais son regard est froid, calculateur. L’ancienne Isabella a disparu. Celle qui se tient à mes côtés n’est qu’un miroir de mes propres faiblesses. Elle est tout ce que je ne veux plus être : une façade, une illusion. Chaque fois que je croise ses yeux, je revois Giulia, sa chaleur, sa sincérité. Giulia était un phare dans l’obscurité. Isabella n’est qu’un reflet, un écho vide.

Je sors de la voiture, l’air frais me giflant le visage. Je prends une profonde inspiration, espérant que le vent emporte avec lui le poids de cette rencontre. Sans un mot de plus, je lui fais signe de partir, espérant que sa présence s’évanouisse aussi vite qu’elle est apparue.

— Merci de m’avoir ramené. Tu peux faire demi-tour devant le patio.

Elle acquiesce, un léger sourire aux lèvres, mais ses mots frappent avec une précision cruelle.

— Comme au bon vieux temps…

Ces mots s’infiltrent en moi, glacials, déstabilisants. Les fantômes du passé ne partent jamais vraiment, ils attendent juste d’être invités. Je ferme les yeux, tentant d’ignorer notre histoire qu’elle évoque si légèrement. Le “bon vieux temps”, pour elle, c’est la surface brillante. Pour moi, c’est le vide sous cette couche de vernis. Je m’éloigne, mais sa voix me rattrape, comme toujours.

— Au fait, mon dépanneur ramènera ton Alfa Roméo d’ici une heure…

Je me fige, une méfiance instinctive me traverse. Isabella ne fait jamais rien sans arrière-pensée. Rien n’est jamais innocent avec elle, chaque geste est un pas vers un but caché. La remerciant du bout des lèvres, je réprime le malaise qui monte en moi, sachant que rien ici n’est jamais simple. Pas avec elle. Le malaise, c’est ce que je ressens chaque fois que le passé se mêle au présent.

Elle enclenche la marche arrière, met ses lunettes de soleil dans un geste calculé, et me lance un dernier regard, presque amusée.

— On reste en contact pour les contrats de Massimo.

Je m’apprête à répondre, mais une voix glaciale me coupe net.

— Bella ? Quelle bonne surprise !

Mon estomac se noue instantanément. Mon père apparaît au bout de la cour, ses pas incertains mais toujours empreints d’autorité. Son sourire, rare et presque chaleureux, m’étonne, mais il sonne faux. C’est un sourire forgé dans les affaires, un masque plus qu’une émotion réelle. Il s’approche d’Isabella, une lueur dans les yeux que je reconnais trop bien : la manipulation, ce qui a façonné notre famille. Et Isabella, comme toujours, se glisse dans son rôle, celui qu’elle a appris si parfaitement au fil des années.

— Mon fils aurait-il enfin retrouvé la raison ?

Avant que je puisse réagir, il est déjà à côté d’elle, penché comme si elle était une invitée de marque. Le dégoût monte en moi, irrépressible. Son geste de l’embrasser presque comme une vieille amie me donne la nausée. Isabella, fidèle à elle-même, lui rend un sourire éclatant. Tout est calculé, tout est joué d’avance. Je ne suis plus qu’un spectateur dans ce théâtre qui m’étrangle.

— Alessandro, quel plaisir de vous revoir.

— Que fais-tu ici ? Tu es ravissante, ma chère. Ça me comble de joie.

Le ton mielleux de mon père me fait grincer des dents. Isabella se glisse sans effort dans le rôle de la belle-fille idéale, celle qu’il a toujours espérée. C’est une danse qu’ils ont répétée mille fois, et je suis à nouveau coincé au centre, incapable d’en sortir. Je me sens étranger dans cette scène, étranger dans ma propre maison.

— Je travaille avec Massimo maintenant. Nous avons beaucoup de projets en cours.

— Massimo m’en a parlé. Viens boire quelque chose, Bella. Coupe le moteur et viens te rafraîchir.

Je serre les dents, sentant la tension monter. La colère est là, tapie sous la surface, prête à exploser. Je ne peux plus supporter cette mascarade.

— Isabella s’apprêtait à repartir, papa.

Elle refuse poliment, maîtrisant parfaitement la situation. Elle est douée pour ça, jouer sur les failles, naviguer entre les tensions sans jamais se mouiller.

— Une autre fois, Alessandro. J’ai pris du retard en passant par l’hôpital pour Gianni.

Elle s’éloigne, le moteur de son cabriolet s’évanouissant dans la nuit. Et avec elle, le dernier lien avec le passé que j’essaie de fuir. Dès qu’elle franchit le portail, le sourire de mon père disparaît, son visage se refermant. C’est comme si son masque tombait, révélant la vérité crue derrière ses intentions. Son regard se durcit aussitôt, ses yeux étincelant de colère sous l’éclairage des lanternes.

— Les gens du village parlent du sauvetage en hélicoptère. Tu étais à l’hôpital avec cette… Esposito ?

Le mépris dans sa voix est palpable. La simple évocation de Giulia ainsi fait monter en moi une vague de colère que je lutte pour contenir. Le mépris de mon père, si froid, si distant, me coupe le souffle. Comment peut-il réduire Giulia à si peu, alors qu’elle représente tant ?

— Papa, c’était important. Son frère est gravement blessé.

Il n’écoute pas. Il ne voit que ce qu’il veut voir : les alliances utiles, les noms prestigieux, des leviers à actionner et des coups à rendre. Giulia ne fait pas partie de son monde, et pour ça, elle ne vaut rien à ses yeux.

— Bien sûr, tu pensais que c’était ton devoir d’y être. Mais combien d’heures as-tu perdues à jouer les chevaliers blancs au milieu de ces pêcheurs ?

Je sens ma patience s’effriter. Son ton condescendant, cette manière de tout réduire à des gains et des pertes… C’est insupportable.

— Ne parle pas sans savoir. Elle ne voulait même pas de moi.

Les mots sortent avant que je ne puisse les retenir, mais je ne regrette rien. Mon père ne comprendra jamais. Pour lui, chaque interaction est une transaction. Pour moi, c’est bien plus.

— Si seulement tu étais aussi dévoué aux affaires de Massimo qu’à aider ces Esposito. Ou mieux encore, si tu savais tourner la tête de cette fille pour qu’elle nous soit enfin utile.

La colère monte en moi, brûlante. Comment ose-t-il parler de Giulia comme d’un pion ? Elle n’est pas un outil, pas une pièce à déplacer sur son échiquier de pouvoir. Elle est tout ce qui compte, tout ce qui est vrai.

Je le vois vaciller, juste un instant, mais c’est suffisant pour que mon cœur se serre. Sa respiration devient irrégulière, son visage pâlit. Je pourrais le détester encore plus, mais une autre émotion se glisse en moi : l’inquiétude.

— Utiliser les gens… C’est ton seul mode de fonctionnement, pas vrai ?

Il fronce les sourcils, surpris par mon calme. Je le défie, pour la première fois, sans que ma voix tremble.

— Utiliser ? Quand on essaie de construire quelque chose qui dure ? Le monde ne tourne pas autour de tes idéaux, Gianni.

— Ce n’est pas une question d’idéaux, papa. C’est toi qui vois tout comme un jeu de pouvoir. Mais certaines choses ne se manipulent pas.

Je m’approche, refusant de me laisser écraser.

— Giulia n’est pas un pion. Elle n’est pas là pour te servir, ni toi, ni Massimo.

Je n’aurais jamais pensé avoir à dire ces mots, mais il est temps qu’il entende la vérité, aussi brutale soit-elle. On ne joue pas avec un cœur sans en payer le prix. Il me lance un regard perçant, un sourire amer aux lèvres.

— Une fille comme elle… Tu la laisses te détourner de tout ce qui compte ? Tu crois qu’elle t’aime pour qui tu es ?

— Voilà le problème. Tu ne comprends rien. Aimer quelqu’un, ça ne marche pas comme ça.

Il ricane, un rire sans joie. Un rire qui déforme ses traits, qui révèle tout le mépris qu’il garde pour ceux qui osent rêver.

— Aimer… T’es trop faible, Gianni. Le monde n’attend pas que tu comprennes comment il fonctionne.

Je respire profondément et le regarde dans les yeux. Il me voit encore comme l’enfant naïf, mais il ne comprend pas que je ne suis plus celui qu’il peut modeler à sa guise.

— Je ne suis pas toi, papa. Je refuse de vivre comme ça.

Il se fige, pris au dépourvu par ma détermination. Son visage se ferme. Il ne supporte pas que je le défie.

— Tu es prêt à tout laisser tomber pour elle ? Pour ces Esposito qui ne valent rien ? C’est ça, ton plan ?

— Et toi ? Continuer à m’humilier jusqu’à ce que je plie ?

— Si ça peut t’ouvrir les yeux… Seul le résultat compte.

Je le fixe, une étrange clarté envahissant mon esprit. Tout devient soudain évident : je ne suis pas lui, et je ne le serai jamais.

— Peut-être que tu as oublié comment être humain. Tu n’as plus d’âme.

— Ne me parle pas sur ce ton… Je t’interdis de…

Il se tait, ses yeux plissés sous la colère ou le doute. Son visage change soudainement. Une toux sèche l’interrompt. Il est fragile, beaucoup plus que je ne l’aurais imaginé. Même les géants finissent par s’incliner devant leur propre faiblesse. Il tente de parler, mais la quinte s’aggrave. Sa main se porte à sa poitrine, et son souffle devient saccadé. Il vacille.

— Papa ? Ça va ?

Il essaie de parler, mais la toux l’étouffe. Ses jambes fléchissent.

— Appelle… à l’aide…

Sa voix est faible. Et pour la première fois, je vois non pas l’homme d’affaires impitoyable, mais un homme qui se bat pour respirer. Mon père, cet homme si fort, s’effondre devant moi, et je sens le sol se dérober sous mes pieds.

 

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A propos de l'auteur

Matthieu Biasotto

Auteur indépendant toulousain, rêveur compulsif et accro au café. J'écris du thriller, du suspense avec une touche existentielle.

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