Au Creux de la Tempête
Gianni
Quelques semaines avant l’accident…
La tempête rugit, déchaînant sa fureur tout autour de moi. Chaque vague s’écrase avec une violence inhumaine, comme un monstre insatiable prêt à nous avaler. L’air est saturé d’odeurs de sel et de pluie, chaque bourrasque me fouette le visage, acérée comme des éclats de verre, m’arrachant des lambeaux de chaleur. Mais je ne ressens plus vraiment le froid. Le vent hurle, il martèle mes oreilles, me mord jusqu’à l’os, mais dans ce chaos, je suis un corps en lutte, obstinément rivé à l’horizon, à l’eau déchaînée.
Je scrute la mer, désespéré, mes yeux fouillant chaque creux de cette houle sauvage, espérant… Non, priant pour que la fille Esposito ressurgisse. Elle était là, juste là, à portée de main. Maintenant, elle a disparu, happée par ce magma salé. Avalée par les flots comme si elle n’avait jamais existé. Mon cœur bat à une cadence folle, un rythme infernal qui me donne l’impression qu’il va exploser. L’air me manque. Chaque souffle que je prends est coupé par l’angoisse, par cette pensée obsédante qui se glisse dans ma tête : et si j’étais arrivé trop tard ?
Le goût de l’eau salée envahit ma bouche à chaque inspiration haletante, et mes yeux, brûlés par le sel, peinent à rester ouverts. Le vent s’engouffre sous mes vêtements détrempés, me déchire, mais rien n’a plus d’importance que cette étendue furieuse. Rien sauf elle. Cette fille disparue. Les vagues me narguent, elles me battent, comme si la mer elle-même se jouait de ma faiblesse, de mon désespoir. Mon corps est figé par la peur. Une peur qui me paralyse l’esprit.
Le temps semble se dilater, chaque seconde est un coup de poignard. Les éclairs qui zèbrent le ciel éclairent par intermittence cet enfer liquide, et c’est là, dans un flash de lumière aveuglante, que je l’aperçois. Un éclat, une tête… Giulia. Elle surgit, rejetée par les flots, ses bras battant désespérément contre l’eau. C’est elle. Elle lutte, elle se bat encore, quelque part entre la vie et la mort. Son corps, fragile et presque invisible dans cette mer déchaînée, est un point de lumière dans cette nuit noire. Mon cœur explose dans ma poitrine. Elle est là, à quelques mètres, et je ne peux pas la laisser partir.
Je plonge. Mon corps répond avant même que mon cerveau ne puisse réfléchir. Plus rien n’existe, plus rien d’autre ne compte que l’atteindre. Le monde se dissout autour de moi, il ne reste que l’urgence, ce besoin viscéral de la sauver. L’échec n’est pas une option. Pas ici, pas maintenant. Mon honneur, ma valeur, tout ce que je suis est en jeu à cet instant. Si je la perds, je me perds avec elle.
Je nage, de toutes mes forces, chaque brasée est un défi lancé à la mer, un refus de céder. L’eau glaciale me mord les muscles, les pétrifie, mais je continue. Le froid tente de m’engourdir, de me voler ma volonté, mais je serre les dents. Les vagues me boxent, me projettent, me secouent comme une poupée de chiffon, mais je résiste. Chaque coup résonne dans mes os, mais je m’enfonce plus loin encore dans cette mer furieuse, refusant de céder un pouce à cette force implacable.
Le combat contre les flots est brutal. Mes bras se battent, mes poumons brûlent, réclamant de l’air, mais je ne m’arrête pas. Giulia. Je dois l’atteindre. Je dois la ramener. C’est tout ce qui compte. Chaque mouvement est une bataille contre cette voix intérieure qui murmure que j’arrive trop tard, que je vais échouer. Mais je la refuse, je la rejette. Je dois la sauver. C’est plus qu’une question de vie ou de mort, c’est une question de sens, de tout ce que j’ai à prouver. À elle. À moi.
Et puis, je la sens. Mes bras encerclent son corps, froid comme la mort elle-même. Elle est glacée, spectrale, son souffle à peine perceptible. Une part de moi panique, terrorisée par cette fragilité, par cette proximité avec le néant. Mais l’autre part se bat plus fort.
— Tiens bon ! Ne me lâche pas, tu m’entends ?
Je l’attire contre moi, mes bras se resserrent autour de son corps tremblant, comme si la serrer pouvait la maintenir ancrée à la vie. Je lui hurle de ne pas fermer les yeux, mais ma voix se noie dans le rugissement des vagues. Peu importe. Elle doit m’entendre, même si c’est au-delà des mots.
— On va s’en sortir, tous les deux !
La fille Esposito tente de répliquer, mais ses forces l’abandonnent. Elle se débat faiblement, épuisée, mais il est hors de question que je la lâche. Je la tire vers la surface, vers la lumière. Chaque mouvement est une déclaration, un combat contre cette mer qui cherche à nous séparer. Ses frissons me parcourent, son souffle chaotique est tout ce qu’il me reste pour la sauver, pour rester accroché à cet espoir qui vacille. Sa survie est ma raison d’avancer.
Je nage, encore, toujours, mes muscles hurlant sous l’effort. Les vagues continuent de s’abattre sur nous, implacables, mais je m’accroche. Je m’accroche à elle comme à une dernière chance, une dernière bataille que je ne peux pas perdre. Chaque coup de bras me coûte, chaque respiration est une lutte pour ne pas sombrer à mon tour.
Giulia est contre moi, son souffle fragile résonne comme un écho lointain, battu par le vent et les flots, mais elle est là. Elle est vivante. Pourtant, ce n’est pas fini. La mer cherche encore à nous séparer, les vagues déchaînées s’acharnent, nous repoussent, nous frappent.
— Agrippe-toi ! Ne t’arrête pas de pousser avec tes jambes !
Et maintenant, il reste l’épreuve ultime. Le hors-bord, secoué par cette mer enragée, à quelques dizaines de mètres, battu par les flots comme un fétu de paille dans une tempête. Une silhouette chancelante dans cette obscurité sans fin.
Je serre les dents. La distance semble infinie, mais je ne peux pas faillir maintenant. Pas avec elle dans mes bras. Le froid mord mes muscles déjà épuisés, la mer tente de nous aspirer vers les profondeurs, mais je repousse tout ça. J’enroule la corde comme je le peux. Même quand tout semble perdu, il suffit parfois de s’accrocher à une seule chose pour ne pas sombrer.
Giulia
La mer n’est plus qu’un lointain tumulte, un grondement sourd qui semble s’effacer, comme un écho venu du fond des âges, un souvenir oublié des abysses. Je ne sais plus où je suis, ni depuis combien de temps je lutte contre cet enfer liquide. L’eau semble me dévorer, m’enserrant dans ses griffes glacées. Mes pensées sont troubles, tout comme la frontière entre l’air et l’eau. Mon corps, engourdi par le froid mordant, ne m’obéit plus. Mes membres, lourds comme du plomb, sont figés, prisonniers de la mer, paralysés par la fatigue, comme si je me fondais dans cet océan sans fin. Chaque mouvement que j’essaie d’esquisser est un supplice, une brûlure glaciale dans mes muscles, comme des lames givrées qui lacèrent ma chair à chaque geste. Mes paupières, aussi pesantes que le reste de mon corps, ne veulent plus se soulever. Le poids de l’épuisement pèse sur elles, écrasant le peu de vie qui me reste. Mon esprit flotte dans un espace brumeux entre souvenirs et présent, entre la réalité et l’illusion.
Mon père… Sa silhouette se découpe dans ma mémoire, fragile et vacillante, floue et imprécise, comme si l’eau avait dilué ses contours. Son visage, autrefois si net, se dissout, se brisant en fragments. Je revois cette nuit, de la fumée, des flammes… Une déflagration. La mer qui me le prend. Le goût salé des larmes se mélange à celui de l’eau, brûlant ma gorge, comme un feu liquide consumant ma voix, ma peine. Un instant, je crois encore entendre sa voix, mais elle se dissipe avec les vagues, s’éteignant comme un souffle trop faible pour survivre à la tempête.
Soudain, une force brutale. Quelque chose m’agrippe, me ramène vers la surface. Mes pensées se disloquent, se dispersent comme des morceaux d’écume. La réalité se confond avec un rêve trouble. Je sens des bras puissants m’enlacer, fermes et protecteurs, comme une étreinte entre la vie et la mort, mais tout est trop flou pour que je comprenne si c’est un souvenir ou la réalité. Est-ce lui ? Je ne peux pas réfléchir, je ne sais plus. La mer me berce encore, mais cette fois, c’est une promesse, celle de la survie. Mon corps s’abandonne, cédant à cette force qui me tire hors de l’eau, m’arrachant aux ténèbres glacées.
Tout autour de moi n’est plus que des éclats indistincts d’ombres et de lumière. Des éclairs d’argent dansent sur les vagues, des vagues de chaleur et de froid se succèdent. La vie et la mort se battent en moi, tour à tour prenant le dessus. Je perçois une chaleur proche, cette présence qui me serre contre elle. Cette chaleur devient mon ultime refuge, et j’y accroche toute ma volonté, parce que c’est tout ce qu’il me reste. L’air, rare et douloureux, pénètre difficilement dans mes poumons brûlants. Mes yeux tentent de s’ouvrir, mais tout ce que je distingue, ce sont des formes informes, des contours brouillés. Qui est-ce ? Je suis trop fatiguée pour me poser la question.
Je sens le pont sous mon dos, une dureté sourde qui résonne à travers mon corps comme un coup de marteau, mais lointain, comme si mon corps n’était plus tout à fait le mien. Le froid du bois est là, je le sais, mais il ne me touche plus vraiment. Il me dépose avec une précaution presque tendre, un geste empli d’une douceur inattendue au milieu du chaos, et pourtant, je ne peux pas me concentrer sur lui. Mes paupières sont si lourdes que les maintenir ouvertes est un effort surhumain. J’entends une respiration haletante près de moi. Forte, désespérée. Une présence, forte mais fragile à la fois, rassurante malgré l’urgence. Qui est-ce ? Je voudrais le savoir, mais mes pensées sont trop embrumées. Ma conscience trop fragile.
Un éclair zèbre soudain le ciel, illuminant tout autour de nous. Pendant un court instant, tout devient net, figé dans une lumière crue. Je vois ses yeux. Deux éclats bleus. Vifs. Profonds, comme les abysses que je viens de quitter. Brûlants d’une intensité qui me transperce. Leur brillance est tout ce qui reste quand le monde replonge dans l’obscurité. Je m’y accroche désespérément, avant que mes paupières ne retombent, alourdies comme si elles étaient faites de plomb, comme une ancre qui me tire vers les profondeurs.
Sa voix me parvient, lointaine mais marquée d’une urgence que je ne peux pas ignorer.
— Hey ! Est-ce que tu m’entends ? Giulia ! Reste avec moi…
Je veux répondre, mais ma bouche refuse de bouger. Mes lèvres sont figées, mortes, comme si le sel avait cristallisé chaque mot que je voudrais prononcer. Mes lèvres, desséchées par le sel et le froid, sont figées. Je suis prisonnière de mon propre corps. Il continue de parler, de me rassurer, mais je perçois dans sa voix une inquiétude grandissante, une peur sourde qui vibre dans ses mots malgré lui, une peur qu’il tente de dissimuler. Je sens qu’il lutte. Il a besoin d’aide.
Le vrombissement du moteur du hors-bord est étouffé par le bruit des vagues qui heurtent la coque. Mais quelque chose ne va pas. Un tremblement sous la coque, irrégulier, comme un souffle épuisé. Je perçois les vibrations irrégulières sous moi, comme si le bateau peinait à avancer. On est tirés vers le large. Il n’y a pas assez de puissance. Le petit bateau lutte, je le sais, contre les courants, contre cette mer traîtresse qui ne nous laisse aucun répit. Chaque vague semble vouloir nous engloutir, nous avaler à nouveau. Une pensée fugace surgit, fragile intuition, mais essentielle. Ma voix, réduite à un murmure, se perd dans l’air lourd d’humidité :
— La crique…
— Quoi ? Quelle crique ? Où ça ?
— Près de Spiaggia Grande… Les pêcheurs… ils… Ils s’y réfugient…
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Je respire enfin un peu je crois bien que j ai aussi bu la tasse avec eux… la mer peut être très puissante et je viens d en goûter l écume au fond de mon canapé 😅
Moi aussi, je m’y voyais quand j’écris cette scène j’avais des images fortes 😁🌊
Je crois que j ai arrêté de respirer à un moment 🤣
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