Entre Deux Souffles
Giulia
Ici et maintenant…
Mon regard s’accroche à lui. Gianni. Immobile, étendu dans le sable, assailli par les secouristes qui s’agitent autour de son corps figé. Le vent, mordant comme des lames, hurle à mes oreilles, déchaîné, il me transperce. Mais ce froid n’est rien à côté de ce qui me glace à l’intérieur. Le véritable froid, il ronge mes os, s’infiltre sous ma peau. Une terreur glacée, pure, qui me saisit, née du doute. De l’incertitude. Gianni…
Quelques minutes plus tôt, tout s’est brisé. Mon univers s’est effondré quand le SUV rouge a quitté la route. J’étais au téléphone, le crissement des pneus, l’impact contre ce muret… Et puis la chute. Je suis encore hantée par ce hurlement métallique déchirant, l’écho de l’impact, son corps emporté par le vide. L’image de Gianni, projeté dans l’abîme. J’ai crié. Son nom s’est perdu dans la nuit, emporté par le vent. Et j’ai sauté. Plongé dans cette mer furieuse, tirée par une force que je ne reconnais plus. Les vagues m’ont frappée, ont tenté de me noyer, de me voler mon souffle. Mais je me suis battue. Pour lui. Contre la mort. Je l’ai ramené. Hors de cette épave, hors de l’emprise des flots. Un miracle. Et maintenant, tout repose entre les mains de ces hommes qui s’affairent, de leurs gestes précis. Et moi, j’attends.
Enveloppée dans une couverture de survie, je sens les bords métallisés m’érafler la peau, une barrière fragile contre ce monde qui semble prêt à m’engloutir. À chaque expiration, mon souffle se transforme en une brume désespérée, s’échappant de mes lèvres tremblantes. L’air lui-même semble chargé de cette peur omniprésente, et à chaque inspiration, je sens la précarité de l’existence peser sur moi.
Sous mes yeux impuissants, les gestes des urgentistes sont rapides, précis—une danse désemparée contre la mort. Leurs visages, tendus par la concentration, paraissent encore plus pâles sous la lumière crue des phares des véhicules de secours. Je devine une angoisse grandissante derrière leur professionnalisme, une inquiétude qui enfle à chaque seconde. Leurs ombres se tordent et se déforment, comme si la nuit elle-même hésitait. Chaque seconde s’étire, mais Gianni reste inerte, emprisonné dans cette immobilité effrayante.
Le monde s’est rétréci, il ne reste plus que cet instant, cette lutte acharnée pour maintenir Gianni en vie, ce fil ténu suspendu entre l’espoir et le néant. Je veux hurler, les secouer, les forcer à faire plus, à se battre plus fort pour lui. Mais je ne peux rien tenter. Je suis impuissante, figée. Condamnée à observer, à attendre que le destin tranche. Les minutes s’écoulent comme des heures, et dans chaque battement, il y a ce gouffre, cette terreur viscérale qui monte. Mon souffle se brise, chaque inspiration est une lutte contre l’étau qui se resserre sur ma poitrine. Comme si l’air lui-même devenait rare, comme si je devais le partager avec Gianni, comme si sa survie en dépendait.
Puis, soudain, une vague de panique m’envahit. Écrasante, dévastatrice. Elle monte, me submerge, et je lutte pour ne pas sombrer. Gianni a besoin de moi. Il a besoin que je sois forte, que je ne m’effondre pas. Si je cède, si je laisse la peur me dévorer, je ne me relèverai pas. Alors je serre les dents. Je m’ancre dans le sol, je résiste. Pour lui.
Les voix des secouristes s’élèvent, portées par le vent. Elles sont sèches, tranchantes. Leurs mots résonnent comme des coups de poignard, glissant jusqu’à moi, me lacérant. Je comprends ce qu’ils disent, même si chaque syllabe me cloue un peu plus. Le temps, l’eau glacée, le cœur… je refuse que la sentence tombe. Brutale. Implacable.
— Il est resté trop longtemps sous l’eau. On doit le transporter.
Les phrases claquent. Froides, tranchantes. Je chancelle. La réalité me frappe de plein fouet. Il faut l’emmener. Maintenant. Un autre secouriste, penché sur Gianni, acquiesce gravement, ses mains s’acharnant sur sa poitrine, tentant de faire repartir un cœur qui refuse de battre, comme un mécanicien désespéré s’efforçant de réparer une machine en panne.
— A-t-il des antécédents médicaux ? Des problèmes cardiaques ? Vous êtes de la famille ?
Le regard du secouriste se fixe sur moi, en quête de réponses que je n’ai pas. Sa question me frappe, me coupe le souffle. Famille ? Suis-je sa famille ? Qu’est-ce que je suis pour Gianni, vraiment ? Je vacille, comme si le sol s’ouvrait sous mes pieds, incapable de trouver un repère dans cette crise. Les mots tournent en boucle dans ma tête, m’étouffent, me laissent sans voix. Je suis… Je suis quoi, pour lui ? Une amie, une alliée, une amante ? Chaque rôle me semble soudain terriblement insuffisant, dérisoire face à l’urgence. Et si j’étais la pire chose qu’il lui soit arrivé ?
— Je suis… sa moitié.
Les mots sortent de ma bouche comme des pierres, lourds de tout ce que je voudrais être pour lui, de tout ce que je crains de ne pas être.
— Je… je ne sais pas pour ses antécédents…
Ma voix tremble, se brise sur la dernière syllabe, et je sens les larmes monter, chaudes et amères, prêtes à déborder. Je suis à la dérive, noyée dans l’incertitude. Le secouriste hoche la tête, mais je sais que le temps presse. Gianni s’en va peut-être, et tout ce que je peux faire, c’est espérer. Les secondes s’allongent, chaque instant est un pas vers l’inconnu. Jusqu’à ce qu’une étincelle me redonne espoir. Soudain, un sursaut de la part des secours. Tous les regards se figent, suspendus au-dessus de ce corps immobile, à la limite de basculer dans l’irréversible. Le monde s’arrête.
— J’ai un pouls ! Son cœur repart !
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