L’éveil des cœurs
giulia
Un crabe file dans le sable, et ça me sort doucement du sommeil. Le soleil n’est qu’une lueur diffuse derrière la brume, comme si la journée hésitait encore à naître. L’air frais serpente dans la crique, picotant ma peau, mais le manteau de Gianni m’enveloppe, me garde bien au chaud. Tout est si paisible. Trop paisible, en fait. Rien à voir avec le tumulte d’hier soir. Les mouettes, au loin, lancent leurs cris aigus, et je me dis que la vie continue, même quand tout en nous voudrait s’arrêter.
Je reste là, étendue sur le sable, nichée dans cette chaleur réconfortante, même si je sais que ce moment est éphémère. Les souvenirs de la fête reviennent par vagues : rires, regards en coin, comme si tout le village attendait de rendre son jugement. C’est fou comme tout ça semble déjà si lointain. Presque irréel.
Je me redresse lentement. Le matin, avec sa lumière douce, éclaire chaque recoin de la crique. Gianni est déjà debout, face à la mer. Je le vois parler au téléphone, à voix basse. Sa silhouette, solide et immobile, se dresse comme un rocher face à l’immensité de la Méditerranée. Les vagues viennent caresser le rivage, sans se presser. Quelque chose a changé en lui. Peut-être cette tranquillité nouvelle. Quand il raccroche, il se tourne vers moi. Son sourire, fatigué, irradie pourtant de douceur. Ses traits sont marqués par la nuit, mais il a cette lueur dans le regard, une tendresse que je n’avais pas vue depuis longtemps.
— Salut.
Sa voix grave et calme rompt le silence avec délicatesse. Je lui rends son sourire, mais une légère inquiétude persiste, sans que je sache vraiment pourquoi.
— Salut…
Il vient s’asseoir à mes côtés, tout en jetant un coup d’œil à sa montre.
— T’es sûr que tu vas pas être en retard ?
Il secoue la tête.
— J’ai tout annulé. Claudia gère.
Je le fixe, sceptique. Son téléphone vibre à nouveau, il y jette un coup d’œil rapide avant de le ranger, comme si de rien n’était. Ce geste ne m’échappe pas. Il attend quelque chose. Peut-être un appel. Mais il reste silencieux.
— T’étais pas obligé de faire ça, tu sais.
Je le vois ramasser un bâton et commencer à tracer des lignes dans le sable, presque distraitement. Des cercles, des formes aléatoires sans queue ni tête.
— Tu es ma priorité ce matin.
Ses mots me touchent. Ses mains continuent de tracer des cercles, et je réalise que ça ressemble vaguement à un melon. Un sourire étire mes lèvres alors que je me redresse un peu. Je sors mon vieux couteau de ma poche, celui que je trimballe toujours en mer, et m’agenouille devant un rocher, à quelques pas de là. Je commence à graver, laissant la lame danser sur la pierre.
— Signor Melon est passé ici…
Gianni s’approche, curieux, et me regarde. Puis, avec douceur, il prend ma main, m’arrachant presque le couteau des doigts. À son tour, il se met à dessiner quelque chose dans la roche, une forme simple et grossière, ressemblant vaguement à une bouée.
— Et ici, la reine des tempêtes a survécu à l’orage.
Le sourire en coin qui éclaire son visage trahit sa fierté. Nos dessins, aussi naïfs soient-ils, prennent vie sous les premiers rayons du soleil. Ce n’est rien, et pourtant, c’est tout. Comme si, en gravant ces traces, nous laissions une part de nous ici, dans cet endroit caché, à l’abri du monde.
Gianni se redresse et jette un coup d’œil à son téléphone. Je remarque un changement dans son expression, comme s’il avait reçu un signal. Puis il sourit en me regardant.
— Tu as faim ?
Je hoche la tête, amusée et curieuse de ce qu’il mijote. Peu importe ce qu’il a en tête. Ici, avec lui, je me sens bien. Loin des jugements et des rumeurs, juste nous deux, dans cette paix fragile.
Gianni
On plie notre campement avec une lenteur presque rituelle, chaque geste empreint de douceur, comme si ces derniers moments méritaient d’être savourés. Le frottement du tissu sur les pierres humides, les mouvements silencieux dans l’air calme, tout semble accentuer l’intimité de cet instant. Ranger côte à côte, en silence, crée une complicité tacite, chaque geste renforçant ce lien invisible entre nous. Une sérénité profonde s’installe en moi, une paix que je n’avais pas ressentie depuis longtemps.
— J’avais en tête de t’offrir un petit déjeuner pour te remettre de tes émotions, dis-je en la regardant, un sourire en coin.
Nos pas résonnent doucement dans les ruelles de Positano, mêlés au murmure lointain des vagues. Nos rires légers rebondissent sur les murs anciens, créant une mélodie intime qui semble n’appartenir qu’à nous. Les premiers rayons du soleil transforment les pavés en un chemin d’or. Le village, encore endormi, nous entoure d’un calme bienveillant. Chaque pas nous rapproche de la villa que Francesco, mon complice de toujours, m’a prêtée pour la journée. Une excitation me gagne, mélange de fierté et de joie enfantine.
— Mais les habitants ne sont probablement pas prêts à voir un Rossi et une Esposito autour d’un brunch romantique.
En réponse à mon clin d’œil, elle sourit, haussant légèrement les épaules.
— Peut-être pas, mais au point où on en est…
— J’ai arrangé quelque chose de spécial pour nous.
D’humeur taquine, je ris doucement, savourant ce moment de légèreté. Alors que l’on gravit les dernières marches vers la villa, je m’arrête pour l’observer. Ses cheveux, encore en bataille après la nuit, encadrent son visage illuminé par la lumière matinale. Elle est magnifique, d’une beauté simple et naturelle, une douceur qui éclipse tout le reste. Mon cœur se gonfle de gratitude. J’inspire profondément, me sentant incroyablement chanceux d’être ici avec elle.
— Tu sais, l’avantage d’être né avec une cuillère en argent dans la bouche et de bosser dans l’immobilier, c’est qu’on détient pas mal de clés qui ouvrent pas mal de portes…
Je plaisante en brandissant la clé de la villa avec un clin d’œil complice. Giulia rit doucement. Je glisse la clé dans la serrure, puis, avant d’ouvrir, je m’approche d’elle, mes mains se posant doucement sur ses yeux. Elle sursaute légèrement sous mes doigts, amusée par mon geste.
— Qu’est-ce que tu fabriques, Gianni ?
Je me penche à son oreille, mes lèvres frôlant sa peau.
— Je veux que la surprise soit totale.
Tandis que je chuchote avec un sourire, je sens son souffle ralentir, intriguée mais docile, elle me laisse la guider. Je pousse doucement la porte, la tenant par la taille pour qu’elle ne trébuche pas. La lumière du matin inonde la pièce, et l’air est empli du parfum du bois ciré et du linge propre. Mais c’est la vue sur la terrasse qui, je le sais, va la couper du monde.
Je retire mes mains de ses yeux.
— D’accord, tu peux regarder maintenant.
Elle cligne des yeux, s’habituant à la lumière, avant que son regard ne se fige sur la scène qui s’étale devant nous. La mer infinie, le village accroché à la falaise, et cette terrasse surplombant tout, baignée de soleil. La mer d’un bleu éclatant semble se fondre dans l’horizon, tandis que les bateaux se balancent doucement sur l’eau.
Ses lèvres s’entrouvrent, ébahie. Ses yeux brillent légèrement, trahissant une émotion que je n’attendais pas.
— Gianni… C’est… C’est magnifique.
Je souris en la regardant, touché par son émerveillement. Ce n’est pas seulement la vue qui compte, c’est l’instant partagé, la sensation d’être ensemble dans ce moment suspendu. Sur la terrasse, une table en bois, couverte d’une jolie nappe en lin blanc, est dressée avec soin. Le parfum des croissants chauds et du café se mêle à l’air marin.
Je m’assois en face d’elle, prenant doucement sa main dans la mienne.
— S’il y a bien une chose que j’ai apprise en tant que Rossi, c’est qu’il faut saisir le bonheur quand il se présente. Personne ne le fera à notre place.
Elle me regarde avec cette intensité qui me bouleverse. Nos regards se croisent, et je poursuis.
— Du coup, j’ai pris les devants… Histoire de te consacrer du temps.
Un sourire traverse son visage, dissipant les derniers doutes. Ses doigts se resserrent autour des miens, et je sens cette connexion, cette gratitude silencieuse entre nous.
— Tu… Tu as vraiment annulé tes projets à Naples pour moi ?
Elle semble incrédule. Je hoche la tête, sérieux.
— Je voulais que tu saches… Peu importe ce que disent les autres, les pêcheurs ou ta famille. Tu es la personne la plus importante pour moi.
Elle me fixe, émue, puis un sourire radieux éclaire son visage.
— Mais de quelle planète tu viens ?
Je caresse doucement sa joue, souriant à mon tour.
— D’une planète où te rendre heureuse est ma priorité.
— Eh bien, c’est une planète que j’ai hâte d’explorer…
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