Faida – Chapitre 16

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Les Mots Qui Blessent

Gianni


Dans ce rôle que je connais trop bien, celui du parfait salaud, je reste planté là, immobile, à la regarder. L’air entre nous est lourd, saturé de tout ce qu’on ne dit pas. Giulia, debout face à moi, me transperce de ce regard dur, forgé par la douleur. Ses cheveux en désordre tombent sur ses épaules, comme après une tempête, une tempête qui, je le sais, n’est pas complètement derrière nous. Mais ce n’est pas la tempête en elle qui m’effraie. Non, c’est ce qu’elle réveille en moi.

Une colère sourde monte, une rage que je tente d’étouffer. On dirait que Giulia voit tout, chaque faille, chaque peur. Et c’est ça qui me détruit, cette vulnérabilité exposée. Je me sens mis à nu, comme autrefois, avec Isabella. La même trahison revient me hanter, ce souvenir amer qui m’étouffe à chaque fois que je baisse ma garde.

Giulia ne bouge pas. Ses yeux, d’un noisette profond, me fixent, emplis de souffrance et de frustration. Et je sens mon masque se fissurer sous son regard. Puis viennent les mots que j’attendais, ceux que j’avais redoutés :

— Je ne suis qu’un pion ? N’attends plus rien de moi. Tu es exactement ce que je pensais… un Rossi sans cœur.

Ses paroles frappent fort, comme des coups de couteau. Je savais que ça arriverait, je l’ai poussée jusqu’à ce point. Parce que je ne peux pas espérer, je ne peux plus me permettre de m’effondrer encore une fois.

Je serre les poings, luttant contre cette vague de rage qui monte en moi. Une rage qui n’est pas dirigée contre elle, mais contre moi-même. Les cicatrices d’Isabella, cette trahison qui m’a brisé, sont encore là, ouvertes. Je tente de garder mon calme, de maintenir ce masque glacé.

— Giulia… tu ne comprends pas…

Les mots restent coincés dans ma gorge. Trop lourds. Trop dangereux. Son regard, devenu méprisant, me fige sur place. Je me sens comme ce gamin impuissant, incapable de lutter contre l’abandon.

Elle recule, doucement, chaque pas résonnant en moi comme un coup de plus. Et je la laisse faire, encore une fois, impuissant, bloqué derrière cette muraille que j’ai érigée. Mais je sais que c’est un mensonge, un mensonge qui me ronge.

Les pêcheurs, dans leur coin, nous observent, témoins silencieux de ma défaite. Leurs jugements sont invisibles, mais je les sens peser sur moi. À quoi bon les affronter ? Ils ne sont que spectateurs de ma propre chute.

— Au contraire, je comprends très bien. T’es doué pour jouer les héros quand personne ne te regarde…

Son regard brûle de colère et de déception. Chaque mot qu’elle prononce me transperce.

— Mais dès qu’il s’agit d’affronter la réalité… tu te rétractes comme un lâche.

Je sens mon masque craquer un peu plus. Je croise les bras, essayant désespérément de conserver cette façade froide.

— Et toi, tu es douée pour les leçons de morale, Giulia. Je t’ai sauvée, non ? Qu’est-ce que tu veux de plus ?

Elle ne dit rien, et je me noie dans ce silence. Ses yeux, d’habitude si vifs, sont maintenant emplis de douleur. Je pourrais tendre la main, la toucher, apaiser cette distance. Mais je ne bouge pas.

Il y a cette tempête en moi, ce conflit que je ne maîtrise plus. Mes doigts se crispent, cherchant à briser cette barrière que j’ai construite pour me protéger, pour ne plus souffrir comme avec Isabella. Mais est-ce vraiment une protection, ou juste une prison ? Elle brise enfin le silence, sa voix est douce, teintée d’un reste d’espoir :

— Je pensais… je pensais que cette nuit avait changé quelque chose.

Ses mots flottent entre nous, fragiles et naïfs, sur le point de se briser sous le poids de la réalité. Une vague défensive monte en moi, froide et implacable.

— Giulia, tu te fais des idées. C’était juste une nuit pour échapper à la tempête.

Je sens le mensonge sortir, amer, mais plus facile à avaler que la peur d’une nouvelle trahison. Son visage se ferme, une fissure s’élargit dans ses yeux. Une blessure que je n’avais pas voulu infliger, mais qui est là, pourtant.

— Juste une nuit ? Très bien, je vois…

Je détourne le regard. Affronter cette détresse dans ses yeux est trop dur. La chaleur de la culpabilité monte en moi, je sens mes joues chauffer, brûler. La vérité est là, devant moi, mais je n’ose pas la saisir.

— Écoute, c’est compliqué.

Son soupir lourd de résignation emporte avec lui un fragment de ce lien fragile que nous avions commencé à construire. La distance entre nous s’agrandit, même si elle est encore là, tout près, à portée de main. Mais je ne bouge pas.

— Peut-être que ce n’est pas si compliqué. Peut-être que tu te compliques la vie pour rien.

Ses mots frappent comme un coup de vent glacé sur un bateau perdu en mer. Une part de moi sait qu’elle a raison, mais l’autre, celle qui refuse d’admettre la vérité, lutte pour garder le contrôle. Mon cœur pèse une tonne, je me perds dans ce combat intérieur.

— Et toi, tu t’attends à quoi ?

Son regard se voile de tristesse, et je sens une lame invisible me transpercer. Pourquoi est-ce si facile de blesser ceux qu’on aime ?

— De toi, je n’attends plus rien.

Dans ses yeux, la lumière vacille. Elle lit en moi comme dans un livre.

— Tu préfères ta petite forteresse. Tu te protèges de tout, surtout de toi-même.

Ses mots me frappent en plein cœur. J’ai envie de la rassurer, de lui dire qu’elle compte, qu’elle est bien plus que ce que je laisse paraître. Mais je suis prisonnier de mes peurs, et mes bras restent immobiles. Le silence retombe, pesant, oppressant. Mais le sarcasme, mon ultime défense, jaillit par réflexe avant que je ne puisse le retenir.

— Décidément, tu es aussi bonne navigatrice que psychologue.

Son regard me foudroie, et à cet instant, je comprends que j’ai dépassé les limites. Ses yeux brisés, l’éclat des larmes qu’elle retient… C’est insupportable.

— Va te faire foutre.

Elle tourne les talons, et le silence retombe, lourd, étouffant. Un silence qui hurle tout ce que je n’ai pas dit.
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A propos de l'auteur

Matthieu Biasotto

Auteur indépendant toulousain, rêveur compulsif et accro au café. J'écris du thriller, du suspense avec une touche existentielle.

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Julie
28 jours il y a

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