Faida – Chapitre 89

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Entre l’Amertume et l’Espoir

giulia

3 heures avant l’accident…

Le soleil décline lentement, enveloppant la Punta Reginella d’une lumière dorée, douce et apaisante. Mais cette chaleur lumineuse, qui effleure les falaises et irradie la mer, ne fait qu’amplifier le poids de mes pensées. Chaque rayon caresse la roche et l’eau, mais laisse intacte la froideur qui s’insinue en moi, incapable de percer la muraille de mes souvenirs. Le ciel s’embrase, tandis que la mer étincelle comme un miroir brisé, une mosaïque de reflets dorés qui dissimulent les abîmes en-dessous. Elle ressemble à mon propre cœur, en apparence calme, mais sous la surface, un tumulte inarrêtable.

Le fracas des vagues contre les rochers rythme ma respiration désordonnée. Cette brise marine, mêlée au parfum vif des agrumes des vergers alentour, m’aurait autrefois apaisée, mais aujourd’hui, ces odeurs sont lourdes, saturées de souvenirs d’un passé plus simple. La Punta Reginella, autrefois un refuge, semble suspendue entre deux mondes : celui de mes souvenirs et celui de mes incertitudes.

À mes côtés, Marisa est assise en silence, immobile comme un phare dans la tempête. Elle ne dit rien, mais sa présence, solide et fidèle, me rappelle à quel point j’ai dérivé loin de ce qu’elle symbolise. Son visage doux, rond comme un bonbon, émane une chaleur réconfortante, et son regard vif porte cette malice gourmande qui a toujours fait partie d’elle. Elle fouille dans son sac, dont elle a toujours le don de tirer mille délices, et en sort une bouteille de Peroni bien fraîche, dont la condensation perle sur le verre, ainsi qu’un assortiment de fruits de mer, préparés par son oncle. Le froissement du papier, le sourire satisfait de Marisa, me ramènent à l’instant présent. Ses gestes simples, pleins de tendresse et de soin, me rappellent la beauté des petites choses, la chaleur des moments partagés.

Elle sort aussi une tablette de chocolat noir, mon préféré, qu’elle a certainement emportée en pensant autant à moi qu’à elle-même. L’odeur douce-amère me ramène à des jours heureux, un contraste poignant avec la tristesse qui me ronge. La capsule de la bière s’ouvre dans un pschitt sonore, un bref éclat qui semble essayer de percer la densité de mes pensées. Marisa me regarde, puis brise enfin le silence.

— Tu sais, Giulia, quand tu reviens de la mer, ça se voit tout de suite. Tu portes la mer en toi… dans ton regard, dans ta façon d’être. Comme si elle t’avait marqué à jamais.

Je hoche la tête, mes yeux rivés à l’horizon où le ciel s’embrase en teintes pourpres et rosées, les couleurs du crépuscule se fondant l’une dans l’autre, aussi confuses que mes émotions. Je prends une gorgée de bière, laissant son amertume pétillante envahir ma gorge, me ramenant à une époque où tout était encore clair.

— J’avais besoin de passer un moment avec mon père… en mer.

Ces mots murmurés brisent quelque chose en moi. Une vague de tristesse s’élève, inarrêtable, plus forte que tout le reste, et s’écrase contre moi comme les vagues contre les falaises, usant peu à peu la pierre. La figure de mon père se superpose à l’horizon, son absence pesant comme un poids constant. Mes souvenirs de lui sont à la fois douloureux et réconfortants, une trace que je refuse de laisser disparaître.

Marisa m’observe avec cette compassion tranquille qui me rappelle pourquoi elle est restée à mes côtés toutes ces années.

— Je me souviens combien il était respecté. Ton père… Jacopo était un exemple pour tout le monde.

Ses paroles viennent toucher mes blessures invisibles, y déposant un baume silencieux. Elles ravivent l’image de mon père, cet homme fort et bon que tout le monde admirait, et qui était tout pour moi. Je bois une nouvelle gorgée de bière, l’amertume m’apportant une étrange consolation.

— Oui… mais vers la fin, il était changé. Préoccupé. Juste avant son dernier départ en mer, il ne dormait plus. Il ne disait rien, mais quelque chose le hantait, j’en suis sûre.

Ces questions non résolues me tourmentent, comme un poison qui me ronge. Marisa fronce les sourcils, mesurant ses mots avant de parler.

— Giulia, parfois je pense que tu te tortures avec des questions auxquelles tu n’auras jamais de réponse. Peut-être que ce qui est arrivé à ton père n’aurait rien changé, peu importe ce que tu aurais pu faire ou dire.

Ses paroles percent une brèche en moi, comme des gouttes d’eau qui érodent la pierre. Une part de moi sait qu’elle a raison, mais accepter cette idée me semble insupportable.

— Tu veux dire que je devrais accepter sa disparition sans comprendre pourquoi ?

L’idée de tourner la page sans réponses me paraît insurmontable. Marisa détourne le regard vers la mer, cherchant elle-même une réponse dans cette immensité.

— Ce n’est pas ce que je dis… Mais à trop chercher des réponses, tu risques de t’oublier toi-même. Ton père a fait ses choix, Giulia. Peut-être qu’il est temps que tu fasses les tiens, sans laisser son absence te définir.

Ses mots ébranlent les bases fragiles que j’avais construites autour de cette perte. La disparition de mon père a façonné chacun de mes choix, mes peurs, mes espoirs. Mais suis-je prête à affronter cela ? L’idée me terrifie, comme si avancer signifiait le trahir. Je prends une autre gorgée de bière, et pour la première fois, son goût m’apaise.

— Peut-être que tu as raison, Marisa… Peut-être qu’il est temps pour moi de trouver ce que je veux, moi.

Ces mots, dits à voix basse, résonnent entre nous, fragiles mais sincères. À mesure que je les prononce, une clarté commence à émerger au milieu du chaos. Marisa me regarde avec cette bienveillance qui m’a toujours aidée à voir plus loin que moi-même.

— Tu n’es pas seule dans ce chemin, Giulia. On a tous des moments de doute, des remords, des « et si ». Mais parfois, se perdre, c’est la seule façon de vraiment se retrouver.

Elle serre doucement ma main, un geste de tendresse simple mais puissant. Ce contact réchauffe mon cœur là où la lumière du crépuscule échoue.

— Et je serai là, Giulia, peu importe où ce chemin te mènera.

Son sourire, empli de chaleur et de sagesse, est comme un phare au milieu de l’obscurité qui m’entoure depuis trop longtemps. Il éclaire un chemin, un que je n’avais pas encore osé voir. Pour la première fois depuis des semaines, je me sens prête à relâcher un peu de cette douleur, à envisager que cette perte puisse se transformer en quelque chose d’autre. Peut-être qu’au-delà de ce crépuscule intérieur, il y a un lever de soleil qui m’attend.

 

Gianni

2h30 avant l’accident…

La Caravella est baignée d’une ambiance feutrée, enveloppée dans cette lumière tamisée qui confère au lieu une élégance hors du temps. Ici, c’est un refuge où les tourments extérieurs se dissipent, un cocon où je viens respirer quand tout devient trop chaotique. L’horloge antique au-dessus du bar attire mon regard ; son balancier doré oscille avec lenteur, chaque tic-tac agissant comme une ancre, me maintenant au présent. Elle est là, silencieuse, comme un rappel apaisant que le temps continue, même lorsque tout semble s’écrouler.

Francesco, le propriétaire, m’accueille avec son sourire habituel. Vieil ami de la famille, il a cette chaleur discrète, sans jugements ni questions intrusives, mais avec une bienveillance qui en dit long. Nous nous installons à une table reculée, et il m’apporte un verre de vin, versant le liquide ambré avec le soin attentif d’un connaisseur.

— J’espère que ce vin est à ton goût, Gianni. Je sais que tu es exigeant, surtout dans des moments comme celui-ci.

Le ton de sa voix est tranquille, mais ses yeux me scrutent avec une attention subtile. Je hoche la tête, porte le verre à mes lèvres et savoure chaque note, chaque subtilité. Je repose le verre avec un léger sourire.

— Il est parfait, Francesco. Chaque saveur est là, juste… comme elle devrait être.

Je tente un sourire, mais quelque chose en moi le trahit. Francesco continue de m’observer, son sourire bienveillant intact, mais son regard s’attarde, perçant mon masque. Il n’a jamais besoin de mots pour deviner mes tourments.

— Tu es sûr, Gianni ? Il me semble que tu es un peu… ailleurs.

J’évite son regard, les yeux fixés sur le vin, et on se laisse happer par des banalités – la routine, les affaires, la météo – mais ses yeux me reviennent sans cesse, comme s’il cherchait à comprendre ce que je tente de cacher.

Je tourne lentement le verre entre mes doigts, observant les reflets de la lumière sur le liquide ambré. Le besoin de briser ce silence chargé devient trop fort, et les mots jaillissent malgré moi.

— Tu sais, Francesco, le vin est un peu comme les relations humaines. Parfois, il lui faut du temps pour s’épanouir. Mais il peut aussi se gâter si on le néglige, ou si l’on attend trop.

Francesco acquiesce doucement, son regard captant toute la signification de mes mots.

— C’est vrai. Mais contrairement au vin, on peut agir. On peut éviter que les choses tournent mal. Est-ce cela qui te tracasse ? Que quelque chose ou quelqu’un t’échappe avant que tu ne puisses réparer ?

Je prends une inspiration profonde. Il voit juste. Ces derniers temps, tout semble m’échapper, Giulia en tête.

— Giulia. Avec elle… je n’ai pas su agir au bon moment. J’ai laissé le temps filer, et notre relation a peut-être tourné parce que j’ai trop attendu.

Chaque mot, presque à voix basse, est un écueil, un poids supplémentaire sur mes épaules. Francesco écoute, silencieux, mais son regard est plus expressif que mille discours. Il pose sa main sur mon avant-bras, un geste simple et plein de compréhension.

— Les relations, Gianni, comme le vin, demandent des soins constants. Parfois, il faut savoir ouvrir la bouteille au bon moment, savourer ce que l’on a construit avant qu’il ne soit trop tard. La question, c’est : Giulia est-elle encore ce vin précieux pour toi ? Ou tu crains que le moment soit passé ?

Ses mots me frappent avec une justesse douloureuse. L’idée que notre relation soit « gâtée », qu’il soit trop tard, me hante.

— Je ne sais pas, Francesco. Peut-être qu’il est encore temps. Mais j’ai peur… peur d’avoir laissé le mal s’installer, peur de ne plus être capable de réparer ce qui est brisé.

La peur de l’irréparable me ronge. Francesco, toujours dans sa sagesse tranquille, prend une gorgée de vin avant de reprendre, son regard s’intensifiant légèrement.

— Parfois, un vinaigre peut devenir un condiment exceptionnel. Il suffit de rajouter un peu d’huile, quelques épices, et tu obtiens quelque chose de nouveau. Rien n’est totalement perdu, Gianni.

Je souris malgré moi. Francesco a ce talent de transformer les idées en images simples, pleines de bon sens.

— Toi, tu es un artiste en cuisine, Francesco. Moi, la seule chose que je sais faire, c’est de la sauce tomate. Je ne suis pas sûr d’être à la hauteur.

Il éclate de rire, et pour un instant, l’atmosphère s’allège.

— Alors rajoute de l’huile, un peu d’épices, et fais attention à ne pas laisser la sauce attacher au fond de la casserole. Fais le nécessaire avant qu’il soit trop tard, mon ami.

Son sourire est contagieux, et je sens un apaisement timide naître en moi. Ces paroles me rappellent que parfois, il faut juste se lancer, même si le résultat est incertain.

— Tu te souviens du jour où j’ai voulu vendre La Caravella, Gianni ? Tu m’avais dit de me battre pour ce qui comptait pour moi. Eh bien, maintenant, c’est à toi de te battre pour ce qui compte.

Ses mots résonnent, me renvoyant à cette détermination que j’ai encouragée chez tant d’autres. Un élan naît en moi, une volonté que je ne pensais plus posséder. J’ai pas mal aidé les autres à se battre pour leurs rêves ; il est temps de faire de même pour moi.

Mon téléphone vibre soudain, un rappel de mon rendez-vous avec Elena Verdi. Le balancier de l’horloge continue son mouvement lent et régulier, et je comprends que ce moment est crucial. Ce rendez-vous pourrait changer bien plus que je ne l’imagine.

Je me lève, un nouveau regard déterminé dans les yeux.

— Je dois y aller. Merci pour le vin… et pour cette séance de thérapie improvisée.

Francesco me sourit, un éclat de fierté dans le regard.

— Fais ce que tu dois faire, Gianni. Rappelle-toi : c’est ta vie, et personne d’autre ne peut la vivre à ta place.

Je hoche la tête, comprenant l’ampleur de ses mots.

— Je vais déjà tâcher de rester en vie, c’est un bon début.

Je quitte La Caravella, le cœur battant, emporté par une brise vivifiante, comme une promesse de renouveau. Il est temps d’affronter ce que j’ai évité trop longtemps, de plonger dans les vérités enfouies. Le rendez-vous avec Elena Verdi m’attend, un premier pas vers des réponses, et peut-être vers ma propre rédemption.

Si cette histoire te plaît, partage-la avec ceux que tu aimes ! Ensemble, faisons voyager ce roman.

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A propos de l'auteur

Matthieu Biasotto

Auteur indépendant toulousain, rêveur compulsif et accro au café. J'écris du thriller, du suspense avec une touche existentielle.

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