Faida – Chapitre 17

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La Tempête Intérieure

Gianni


L’image de Giulia s’éloignant résonne dans mon esprit comme un écho douloureux. Je repense à cette nuit de tempête, il y a seulement quelques heures. La mer déchaînée avait failli l’emporter. Je la revois, ses cheveux plaqués sur son visage par la pluie, son corps tremblant contre le mien, cherchant désespérément de la chaleur. Chaque éclair illuminait ses traits, et dans ses yeux, une terreur brute, palpable. Cette même peur semble flotter maintenant dans l’air entre nous, alors qu’elle s’éloigne, comme un mirage qui glisse hors de portée. L’impuissance me frappe de plein fouet, aussi dévastatrice que les vagues de cette nuit-là. Je crains de la perdre, d’une façon ou d’une autre, comme si une marée impitoyable venait tout emporter.

Les silhouettes des marins sur le quai deviennent floues, insignifiantes. Tout se réduit à elle et moi, à cette distance qui grandit à chaque pas qu’elle fait. Mon regard reste fixé sur elle, et chaque mouvement alourdit un peu plus ce poids sur ma poitrine, oppressant, douloureux. Je serre les poings, pris dans une lutte intérieure : dois-je la laisser partir, fuir cette confrontation qui me terrifie ? Ou tenter de la retenir, prendre le risque de la perdre pour de bon ? Le souvenir de cette nuit, à lutter ensemble contre les éléments, pulse encore trop fort pour que je la laisse s’éloigner sans un mot.

Finalement, je me décide. Je la rattrape. Le vent souffle avec force, comme une main invisible me poussant à agir, à sortir de ma torpeur. Chaque pas que je fais est une traversée hors de ma zone de confort, une lutte contre moi-même, mais je ne peux plus reculer. Mes hésitations s’effacent, emportées par les rafales. Quand je suis enfin assez proche, je l’appelle, ma voix essayant de se faire assurée :

— Giulia.

Elle s’arrête, mais ne se retourne pas. Le vent soulève quelques mèches de ses cheveux, et un mélange de soulagement et de peur m’envahit. Elle est encore là, devant moi, mais pour combien de temps ?

— Quoi, Gianni ?

Sa voix est froide, tranchante, et semble ériger un mur entre nous. Je m’approche encore, hésitant, mais je garde une certaine distance, ne sachant plus quelle limite je peux franchir.

— À propos de tout à l’heure… Je ne voulais pas être…

Les mots s’étranglent dans ma gorge. Mon cœur bat si fort qu’il en devient assourdissant. Chaque phrase non dite me brûle.

— Un lâche ?

Le mot claque, brutal. Je serre la mâchoire, tentant de maintenir un semblant de contrôle.

— J’aurais dit maladroit…

Elle se retourne lentement, son visage à demi masqué par la lumière du crépuscule, mais ses yeux, eux, sont limpides, perçants. Ils cherchent à travers mes hésitations, tentent de lire ce que je cache.

— Tu as pourtant été l’un et l’autre.

Ses mots sont comme des lames, mais je n’essaie pas de les esquiver. Je baisse légèrement les yeux, accablé par ma propre lâcheté.

— Je sais… Les choses sont compliquées.

Elle arque un sourcil, et son rire sec me frappe de plein fouet.

— Compliquées ? On a survécu à une tempête, passé la nuit ensemble pour ne pas mourir de froid, et c’est compliqué ?

Son regard devient électrique, un reproche silencieux qui me transperce. Je frissonne, un frisson qui me ramène à cette nuit où nous avons affronté la mer. Incapable de soutenir son jugement, je détourne le regard, fuyant vers l’horizon.

— Disons que je ne gère pas toujours bien ce genre de situations.

Elle croise les bras, son corps se raidit, et un gouffre invisible s’ouvre entre nous, vaste et insurmontable.

— Écoute, Gianni. Si tu as quelque chose à dire, dis-le. Sinon, je vais y aller.

Le silence qui suit est oppressant. Chaque seconde semble nous éloigner un peu plus l’un de l’autre. Les vagues s’écrasent contre le quai, comme une métaphore de mon propre chaos intérieur. Je la regarde, désespéré de ne pas trouver les mots. Elle secoue la tête, un sourire triste et résigné effleure ses lèvres, comme un adieu.

— Très bien. Ça veut tout dire. Tu préfères faire comme si ce n’était rien.

Elle fait un pas pour partir, et à cet instant, la terreur me saisit. Je ne peux pas la laisser partir comme ça.

— Ce n’est pas que ce n’était rien, mais peut-être que c’était juste… un moment hors du temps.

Elle secoue la tête, un sourire amer aux lèvres.

— Je vois. Pour toi, c’était juste une parenthèse. Merci de me le faire savoir.

Elle s’apprête à repartir, mais mon corps agit avant que mon esprit ne le rattrape. Je lui attrape doucement le bras, une tentative désespérée de la retenir.

— Attends, ce n’est pas ce que je voulais dire.

Elle se dégage, son regard plongé dans le mien, mais malgré la courte distance, je sens qu’elle est déjà loin. Une partie d’elle s’éloigne, glissant hors de portée.

Je reste là, le souffle coupé, incapable de réparer ce qui se brise sous mes yeux. Finalement, elle murmure, sa voix empreinte d’une douleur sourde :

— Ne t’inquiète pas, je t’ai déjà oublié.

Je reste là, immobile, regardant sa silhouette s’éloigner. Le poids de ses paroles s’ajoute à celui de mes non-dits. Les marins au loin sont des ombres sans importance. Le seul son est celui de mon cœur qui bat trop vite.

Le silence retombe, lourd, étouffant. Un silence qui hurle tout ce que je n’ai pas su dire.

 

Giulia

J’ai déjà vécu des conversations difficiles, mais celle-ci me laisse un goût amer que je n’arrive pas à chasser. Je marche le long de la plage, mes pas résonnant avec le fracas des vagues qui s’écrasent contre le rivage. Le rythme de la mer semble calquer celui de mon cœur, désordonné et intense. Le ciel est lourd, chargé de nuages sombres, comme un reflet de mon esprit tourmenté.

Comment peut-il faire preuve d’autant de courage une nuit, puis se montrer si distant le lendemain ? Cette contradiction me déchire. Merde, il m’a quand même sauvé la vie ! Je ne suis pas folle, ce n’est pas le genre de truc qu’on balaie d’un revers de la main. Je me sens en colère, mais surtout profondément déçue. Une partie de moi espérait que cette nuit passée ensemble signifiait quelque chose de plus, que derrière son masque, il y avait une ouverture. Mais ses paroles ont brisé cette illusion.

Mes pieds s’enfoncent dans le sable humide, chaque pas devient plus difficile, comme si la terre elle-même cherchait à me retenir. Le froid s’insinue en moi, remplaçant la chaleur par une froideur qui érige une muraille autour de mon cœur. Je continue d’avancer, m’éloignant de lui, de tout ce qui pourrait encore me blesser. Mon regard se perd à l’horizon, mes pensées s’assombrissent, et à chaque pas, je sens une partie de moi se refermer.

Puis sa voix éclate derrière moi, tranchant dans le vacarme des vagues :

— Giulia, attends !

Encore ? Je m’arrête, mais ce n’est pas par envie. Le silence s’impose, comme si même la mer attendait ma réponse. Je ferme les yeux un instant, laissant sa voix s’infiltrer, fissurant ma détermination. Juste assez pour que le doute s’immisce. Je me retourne lentement, inspire profondément, et je le cherche du regard. Mes yeux, durs, impénétrables, se posent sur lui. Je m’efforce de garder cette carapace intacte.

— Gianni, on va jouer à ça combien de fois ? Tu deviens lourd, là.

Mes mots sont des lames, aiguisées pour blesser. Je vois son visage se tordre sous l’impact, et quelque part, une part de moi regrette déjà cette cruauté. Mais ce regret est vite enterré. Je dois me protéger.

— C’est pas… Je ne voulais pas que ça se termine comme ça…

Sa voix tremble, et malgré moi, je sens mon cœur se serrer. Ses mots, fragiles, brisent mes défenses un peu plus à chaque syllabe. Mais je ne peux pas flancher. Pas maintenant.

— Mais ça se termine exactement comme ça, Gianni.

Ma voix vacille, mais je me force à la contenir. L’épuisement de cette bataille intérieure se reflète dans chaque mot. Un rictus douloureux se forme sur mes lèvres, un masque pour cacher la tempête en moi.

— Et encore, je dis « ça se termine », mais rien n’a débuté. Comme tu l’as si bien dit : il aurait fallu qu’il se passe quelque chose, d’abord.

Je perçois la tristesse dans ses yeux, mais je détourne le regard avant qu’elle ne m’atteigne. Je ne peux pas m’attarder sur ce que je lis en lui. Je dois rester forte, même si ça me ronge de l’intérieur. Après tout, il m’a simplement ramené sur la terre ferme, filé une couverture qui puait et craqué une allumette dans une cabane. Plus je m’en persuade, et plus je suis cassante.

— Je ne sais pas ce que tu cherches, mais… T’avais raison, il s’est rien passé, y’a pas de quoi fouetter un chat.

Mon cœur s’emballe, chaque battement une nouvelle attaque dans cette guerre intérieure. Je sens que je suis sur le point de craquer, mais je me force à rester ferme. Je le regarde droit dans les yeux, impassible, essayant de contenir la tempête qui gronde en moi. Un sourire glacé étire mes lèvres.

— Retourne jouer à ton jeu dans lequel les gens ne sont que des pions, Gianni.

Je prononce ces mots comme une incantation, espérant qu’ils deviendront vrais. Mais je sais qu’ils sont vides, que ce ne sont que des mensonges que je jette au vent. Je vois l’impact sur lui, mais je refuse de m’attarder sur sa douleur. Je dresse un mur entre nous, mais je sens qu’il est fragile, prêt à s’effondrer. Et ça me terrifie.

Gianni ne dit rien. Son silence me transperce, il pèse sur moi comme un poids insupportable. Dans ses yeux, je lis du regret, de la résignation. Et quelque chose d’autre, une peine que je refuse de reconnaître. Parce que si je l’admets, je devrai affronter ce qu’il s’est passé cette nuit. Et je ne peux pas.

— Moi, je vais reprendre le cours de ma vie, ok ?

Ma voix est dure, glaciale. Chaque mot tranche les derniers fils qui nous retenaient encore ensemble. Je sens la douleur, mais je ne la laisse pas transparaître. Ces mots sont mon armure, mon serment : ne plus jamais dépendre de lui, ne plus jamais me laisser affaiblir. Mais en les prononçant, je sens un vide immense grandir en moi.

Gianni hoche la tête, son regard rempli de respect mêlé de regret. Il comprend qu’il ne pourra plus me ramener à lui. Et pourtant, il reste là, comme s’il espérait encore.

— Très bien, Giulia. Fais ce que t’as à faire.

Sa voix est un murmure, chargé de tout ce qu’il ne dit pas. Le silence retombe, lourd, étouffant. Chaque seconde qui passe creuse un fossé entre nous, le rendant infranchissable. On sait tous les deux que ce silence marque la fin, le point de non-retour. Je me retourne une dernière fois, nos regards se croisent.

— Et la prochaine fois que tu vois quelqu’un en difficulté, Gianni, viens pas jouer les héros pour flatter ton ego.

Je prends une grande inspiration, prête à lâcher les mots qui scelleront notre fin. Je sens la fragilité du mur que j’ai dressé entre nous, prêt à s’effondrer à la moindre faille. Une part de moi se demande si on peut vraiment briser quelqu’un quand on est soi-même en morceaux.

— Je ne suis pas une âme à sauver pour apaiser ta fichue conscience ou ton foutu syndrome du sauveur. C’est bien clair ?

Je le vois encaisser ces mots comme un coup qu’il n’a pas vu venir. Je me détourne avant que l’émotion ne m’atteigne. Il reste là, assommé, incapable de me retenir cette fois.

— Très clair.

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A propos de l'auteur

Matthieu Biasotto

Auteur indépendant toulousain, rêveur compulsif et accro au café. J'écris du thriller, du suspense avec une touche existentielle.

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Julie
1 mois il y a

Avec dans le mille… fichu syndrome 😅

N'hésite pas à m'aider dès maintenant à construire le monde de demain : me soutenir ❤️

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